Depuis le 9 octobre les enfants des immigrés subsahariens en situation irrégulière au Maroc ont le droit d'aller à l'école. Quelques enfants ont d'ores et déjà pu bénéficier de cette réforme à Casablanca, mais beaucoup d'autres risques de rester exclus de leur nouveau droit. «Au CP, j'ai deux enfants subsahariens dont les parents sont en situation irrégulière. Je les ai accueillis après la publication de la circulaire, et je viens d'apprendre de l'assistante sociale que leur dossier scolaire a été régularisé auprès de la délégation de l'Education nationale. Pour moi, ils ont le droit d'être scolarisés comme tous les enfants», estime la directrice de l'école privée Carré Eveil, à Casablanca. Elle est l'une des premières écoles du système éducatif formel à accueillir des enfants d'immigrés subsahariens en situation irrégulière à Casablanca suite à la publication de la circulaire «Concernant l'intégration des élèves étrangers issus des pays du Sahel et subsahariens dans le système scolaire marocain» du ministère de l'Education nationale, publiée le 9 octobre. «Ce projet était en gestation depuis plusieurs mois, avant même le discours royal. Dès juin, l'académie de Casablanca nous avait donnés son accord de principe pour scolariser ces enfants», précise Fanny Curet, chargée de projet au Service Accueil Migrant (SAM) rattaché à Caritas Maroc, association catholique reconnue par dahir. En septembre, le SAM s'attendait donc à recevoir l'autorisation formelle rapidement, mais le rapport du CNDH, puis l'intervention royale ont bloqué l'action régionale. «On a appris qu'il y aurait une circulaire au niveau national», indique la chargée de projet. Une circulaire ambigüe Grâce à la circulaire, les enfants ont non seulement le droit d'aller à l'école - ce qui pouvait parfois être le cas dans le passé lorsqu'un directeur d'établissement était particulièrement compréhensif - mais ils pourront également disposer désormais d'un certificat de scolarité pour chaque année passée dans le système scolaire marocain. Il leur permettra de poursuivre leur scolarité dans d'autres pays si besoin. L'enseignement qu'ils reçoivent au Maroc a une valeur et elle est désormais reconnue. La circulaire du 9 octobre a été immédiatement traduite dans les faits même si son texte lui-même entretien la confusion. «[...] Il a été décidé à partir de la rentrée scolaire 2013-2014 d'inscrire les élèves étrangers issus des pays du sahel et des pays subsahariens dans les établissements de l'éducation et de l'enseignement public et privé et aussi de leur permettre de bénéficier des cours de l'éducation non formelle», y indique le secrétaire général du ministère, comme si auparavant, il était légal de refuser de scolariser un enfant au seul motif qu'il était originaire d'un pays d'Afrique au sud du Sahara. Intérêt des écoles En fait, la circulaire est bien destinée à la scolarisation des enfants de Subsahariens sans papiers et non à tous les Subsahariens puisque que parmi les documents requis pour l'inscription se trouve la copie de carte de résidence pour l'année 2013-2014 «si elle a été octroyée», précise la circulaire. «Personne ne veut utiliser le mot de 'clandestin' ou d''étranger en situation administrative irrégulière' donc on utilise, comme c'est le cas dans la circulaire, le terme de Subsaharien, mais le terme est mal choisi», reconnaît Fanny Curet. Ambigüe dans son énoncé, la circulaire est perçue comme un feu vert pour tous les acteurs de l'éducation de Casablanca. «Nous avons été agréablement surpris, car ce sont les écoles et les associations elles mêmes qui nous ont contactés pour nous demander si nous connaissions des enfants qu'elles pourraient scolariser», explique le SAM. D'ores et déjà, sur 90 enfants accueillis régulièrement par le SAM, 20 ont pu être scolarisés dans le système formel et non formel. «Les 70 autres enfants que nous accueillons sont trop petits pour intégrer le cursus de l'école obligatoire publique, alors nous faisons du préscolaire [maternelle, ndrl] avec eux. L'an prochain par contre, ils pourront intégrer la première année de primaire comme n'importe quel enfant marocain», explique Fanny Curet. 3 ans sans aller à l'école David*, avec ses 16 ans, n'entre pas dans les critères définis par la circulaire, mais son application généreuse lui a permis d'entrer en cinquième année de primaire. Jusqu'en 2010, l'adolescent vivait dans sa famille au Congo Brazaville, puis son père, qui s'était remarié au Maroc où il était venu s'installer pour des raisons professionnelles, l'a fait venir au Maroc. «Quand il est arrivé ici, on a réalisé qu'il ne connaissait rien, même pas l'alphabet», se souvient Fatiha*, sa belle-mère. Marocaine, elle a épousé le père de David plusieurs années auparavant. Faute de carte de résident, l'adolescent vivait depuis 3 ans à Casablanca sans aller à l'école. «Aujourd'hui, avec la circulaire, il est scolarisé dans une école marocaine de l'éducation informelle à Sidi Moumen. Il s'est très vite intégré, il s'est fait beaucoup d'amis marocains avec qui il parle arabe sans difficulté», raconte Fatiha. Si pour David, l'arabe n'est pas un problème, il l'est pour beaucoup d'autres enfants. Ils sont souvent nés au Maroc, mais leurs parents viennent d'Afrique francophone, principalement des deux Congo, du Sénégal, du Cameroun ou de Côte d'Ivoire. Pire, ceux qui viennent d'Afrique anglophone, comme le Liberia, n'ont aucune langue en commun avec les Marocains. Le seul noir de la classe «Ce qui peut être difficile également c'est le fait d'être le seul étranger, le seul noir de la classe ; le seul chrétien aussi. Il arrive que certains parents refusent que leurs enfants aillent aux leçons de Coran. Les enseignants ne comprennent pas parce qu'elles font partie intégrantes du programme, elles donnent lieu à une note», souligne la responsable du SAM. Tous les parents ne réagissent pas de même. A Carré Eveil, «je leur fais les cours d'arabe normalement, y compris les leçons de Coran, sans problème. Leurs parents ne sont pas contre», a remarqué la directrice de l'école. «Nous attendons du gouvernement et des délégations régionale de l'enseignement qu'ils mènent une réelle réflexion sur l'intégration de ces enfants dans les classes», souligne Fanny Curet. Le droit à la scolarisation ne saurait suffire étant donné le racisme que rencontrent et subissent les Subsahariens au Maroc. «Beaucoup de mamans, quand on leur dit de scolariser leurs enfants, disent : non ! On nous insulte dans la rue, à l'école combien de fois nos enfants vont-ils entendre 'azya' ?», rapporte Fatiha. Méfiance face au racisme Si tous les parents des 20 enfants accueillis jusqu'ici par le SAM ont accepté de les scolariser dans des écoles marocaines, qu'en est-il des centaines de parents sans papiers vivant à Aïn Sebâa et Oulfa ? «Les parents sont très méfiants. La peur du racisme est la première raison invoquée par les parents pour justifier leur refus de voir scolariser leurs enfants dans le système marocain. Ils disent également qu'ils ont peur que leurs enfants oublient le français, puisque les premières années du public se font sans. Ils ne voient parfois pas l'intérêt d'apprendre l'arabe», ajoute la chef de projet au SAM. «Entre 4 et 5 ans, j'ai réussi à mettre mon petit garçon dans un groupe scolaire, mais il subissait trop de racisme. Parfois, les surveillant l'insultaient ou il recevait une gifle, pas une gifle parce qu'il avait fait une bêtise, mais parce que c'était un 'azi'. L'école publique, c'était une vraie jungle, les enseignants étaient toujours après lui», raconte Angélique*, Congolaise du CongoBrazzaville, maman d'un petit garçon de 5 ans et d'une fillette de 4 ans, tous deux nés au Maroc. Elle a préféré le retirer de l'école. Les portes s'ouvrent Aujourd'hui, l'enfant est à nouveau scolarisé et son dossier régularisé. «J'ai lutté pour le mettre dans une école privée. Les enfants sont d'un autre niveau social, les parents ont voyagé, ils ont une autre appréhension des choses, mais je reste extrêmement vigilante. Je suis toujours en train de lui demander : est-ce que tu as entendu le mot 'azi' ? Est-ce qu'il y a un groupe d'élèves qui te fait peur ? Est-ce que les maîtresses en ont après toi ? Jusqu'ici il m'a toujours répondu non et puis j'ai confiance dans la directrice, depuis que je l'ai rencontré. Elle a dit que c'étaient les 'enfants de l'humanité'», raconte Angélique. Pour l'heure les retours qui parviennent au SAM sont positifs. «On a vu une vraie différence depuis le rapport du CNDH et l'intervention royale. L'accueil est très positif. Les portes s'ouvrent, il y a un certain engouement, de l'intérêt pour la question des migrants», reconnaît Fanny. «Plus tard, si j'ai de la place, je pourrais en accueillir d'autres enfants [subsahariens et dont les parents sont en situation irrégulière, ndrl] sans problème, propose même la directrice de Carré Eveil. Ces enfants nous sont même utiles parce que comme ils ne parlent pas tellement arabe, mais qu'ils parlent très bien français, les autres enfants marocains sont obligés de parler en français pour s'adresser à eux, et ça les oblige à pratiquer le français.» * Les noms ont été changés.