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France : Abdelhak Eddouk, aumônier musulman de prison, s'explique sur sa démission [Interview]
Publié dans Yabiladi le 30 - 04 - 2013

Cela faisait 9 ans qu'Abdelhak Eddouk, ce Marocain arrivé en France dans les années 1980, officiait comme aumônier musulman à la plus grande maison d'arrêt d'Europe, celle de Fleury-Mérogis, en banlieue parisienne. Et pourtant, fin février 2013, l'homme, qui préside aussi l'Union des musulmans de Grigny, dépose sa démission auprès de l'aumônier national musulman Moulay El Hassan El Alaoui Talib. Pour en savoir plus sur les raisons l'ayant poussé à partir, nous l'avons rencontré, en début de semaine, lors de son passage à Casablanca, sa ville natale. Interview.
Yabiladi.com : En quoi consiste le travail d'un aumônier musulman?
Abdelhak Eddouk : C'est un peu à l'instar des autres aumôniers, catholiques, protestants, juifs ou autres , qui s'occupent des fidèles de cette religion dans le cadre de l'Etat ou dans une structure lui appartenant. Donc, on va s'occuper des détenus parce qu'ils n'ont pas le moyen de vivre leur religiosité librement, ou des soldats au sein de l'armée, ou des malades dans un hôpital, ou des élèves placés dans un internat - maintenant de moins en moins . L'Etat laïc dit : moi je ne m'occupe pas de la religion. Chacun est libre de la pratiquer bien sûr, mais les gens qui sont sous ma responsabilité doivent pouvoir vivre leur religiosité. Moi l'Etat, je ne peux pas m'en occuper, donc je fais appel aux aumôniers.
En France, vu l'importante présence musulmane, il fallait créer une aumônerie musulmane, chose qui n'existait pas auparavant. Il a fallu donc attendre la mise en place du Conseil français du culte musulman (CFCM). Seulement cette aumônerie musulmane de prison telle qu'elle est structurée actuellement, ne fait que générer des problèmes. C'est un peu ce qui a causé ma démission. L'aumônier national est le seul responsable dans cette structure, mais au lieu d'encourager l'action, ça le gêne
Je précise que nous sommes des bénévoles. J'ai un métier, un travail. L'aumônerie, je la fais bénévolement.
Quand est-ce que vous avez intégré la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis ?
A.E. : Fin 2003, début 2004, on est venu me solliciter. J'habite à côté de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, la plus grande d'Europe, très connue parce que tous les grands dossiers passent par là. J'ai accepté. Comme vous savez, la question de l'islam en France intéresse tout le monde maintenant. C'est pratiquement le sujet qui alimente le plus les débats dans ce pays : le rapport entre la République et l'islam. La question carcérale est aussi au centre de ce sujet. Tout le monde sait que la présence musulmane dans les prisons françaises est plus qu'évidente. C'est très difficile de quantifier, mais il y a des pourcentages annoncés à droite et à gauche, entre ceux qui disent qu'ils représentent 40%, d'autres entre 50 et 80%.
En tout cas, il y a une bonne partie de la communauté musulmane qui est concernée par la prison, souvent dans des cas dits de petite délinquance. C'est une réalité qu'on le veuille ou non. C'est des choses que les gens n'aiment pas entendre, mais moi je le dis parce que je suis conscient de la situation. Depuis le départ, depuis mes premières visites aux détenus, j'avais été choqué par cette situation. Ce qui fait que mon travail dans les prisons ne se limitait pas au fait que j'aille rendre visite aux détenus musulmans, régler un certain nombre de leurs problèmes et partir, mais bien au-delà. Le problème dépasse les murs de la prison. Il touche la famille, la mosquée, la communauté musulmane dans sa globalité. C'est à partir de là que j'ai commencé à pousser la réflexion et la recherche, en assistant à des conférences, séminaires sur le sujet et c'est comme ça qu'on a commencé à me connaitre et à me solliciter pour m'exprimer dans les médias.
Il y a eu ensuite l'affaire Merah, qui a mobilisé beaucoup de monde, notamment les médias. Et on a commencé à dire que Merah s'est radicalisé en prison. Ensuite, il y a eu l'affaire des jeunes convertis arrêtés à Caen et à Strasbourg pour des liens avec le radicalisme, dont un qui été tué. De mon côté, j'ai essayé d'alerter plusieurs fois l'aumônerie nationale, pour dire qu'il fallait faire quelque chose, s'exprimer pour éclaircir la situation. Vu que l'aumônier national ne voulait pas s'exprimer sur ces affaires, c'est moi qu'on est venu voir. Je l'ai tout de même contacté pour le prévenir, mais il ne répondait ni au téléphone ni aux mails. La Croix a alors sorti un article avec mon intervention sur la question de l'aumônerie musulmane des prisons en France.
Que s'est-il passé par la suite ?
A.E. : Près de six mois après la publication de l'article, je croise l'aumônier national dans une rencontre conviviale. A la fin, il me dit : Abdelhak tu ne devrais pas faire ceci, les détenus n'ont pas apprécié. Je lui ai dit : Mais toi qu'est ce que t'en penses ? Il ne m'a fourni aucune réponse. Je voulais alors savoir pourquoi il ne me l'avait pas dit auparavant, au moment de la publication. Ce n'est pas sérieux. J'ai demandé à organiser une réunion pour qu'on en débatte. On ne peut pas se taire alors que le monde entier est en train d'en parler. Les médias font leur boulot, la question est de savoir est ce que nous, on fait notre boulot. Aujourd'hui, on vit dans une société de communication, on ne pas fonctionner sans.
Que lui reprochez-vous exactement aujourd'hui ?
A.E. : A la base je ne lui reproche rien. Moi, je faisais mon travail, je constatais les lacunes comme tout le monde mais je ne m'en occupais pas. Je suis bénévole, j'ai d'autres tâches à faire, d'autres responsabilités. Je ne suis pas là pour prendre la place de qui que ce soit. Ma démission, je l'ai envoyé le 28 février, j'ai dû prendre une dizaine de jours de réflexion avant. Vers la mi-février, l'aumônier national m'envoie un mail pour me dire que je ne valais rien, que je ne savais rien faire, sachant que ça fait neuf ans que je fais ça et que si les médias me sollicitent, ce n'est pas pour rien.
Après, je l'ai également sollicité pour qu'on définisse une communication, une stratégie. Pourquoi ne pas créer un site internet, un bulletin d'information. Mais je n'ai jamais eu de réponses, aucune action ni réaction. J'ai aussi fait plusieurs propositions comme créer un secrétariat national pour qu'on puisse s'organiser. Il a alors nommé son épouse Samia Ben Achouba, qui était déjà également porte-paroles de l'aumônerie nationale, au poste de secrétaire national de l'aumônerie musulmane des prisons. Elle est peut être compétente, mais c'est une chose qui ne se fait pas. Si seulement il officialisait les choses, mais voilà, quand on a une certaine responsabilité nationale, on ne nomme pas son épouse à tel ou tel poste.


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