Président du jury du 21e Festival international du film de Marrakech (FIFM 2024), Luca Guadagnino tisse ses amitiés artistiques au fil de la diversité et de la passion pour le cinéma. Avec huit réalisateurs et acteurs, le cinéaste italien visionne 14 longs-métrages en compétition. Il trouve aussi le temps d'apprécier d'être au Maroc, dont il garde un fort sentiment d'appartenance à travers sa mère. Rencontre avec un artisan du septième art de son temps. Avec une caméra, Luca Guadagnino peut tout faire : documentaires, longs-métrages de fiction, films courts, séries, clips musicaux, publicité… Autant dire que la réalisation n'a aucun secret pour le natif de Palerme (Sicile), qui a un goût prononcé pour allier le simple et le grandiose, l'imperfection dans la perfection, l'harmonie et le contraste, le tout dans des associations improbables. C'est là une marque de fabrique du réalisateur de «Call me by your name», qui voit le cinéma «comme avoir une couverture confortable sur les genoux pour se réchauffer». C'est aussi une manière pour lui d'exprimer une certaine idée de la diversité dans tous ses états, ne connaissant que les frontières que l'on peut se créer à soi-même. Plus qu'un processus créatif, c'est en effet une philosophie de vie qui a enrichi le cheminement personnel du cinéaste italien. Au 21e Festival international du film de Marrakech (FIFM 2024) dont il préside le jury, Luca Guadagnino est revenu auprès de Yabiladi sur cet aspect qui a façonné ce qu'il est désormais : l'un des plus grands artisans du septième art de son temps. Se considérant «à moitié marocain» comme il l'a souligné en ouverture de cette édition, il confirme à notre rédaction que cette diversité influence son cheminement personnel et artistique, mais aussi sa vision de ce que devrait être le cinéma, lui qui est issu de la prestigieuse école cinématographique de l'Italie. «Je me sens très privilégié d'être tout cela en même temps. Je suis heureux d'avoir une mère algérienne, mais culturellement marocaine, puisqu'elle a vécu à Casablanca après son départ d'Algérie dès l'âge de cinq ans, que mon père soit originaire de Sicile mais qu'il ait travaillé [comme enseignant, ndlr] un peu partout dans le monde, que ma famille ait déménagé en Ethiopie, où j'ai finalement grandi. Vous savez, j'ai tellement d'influences qui m'ont nourri au fil des années et de nombreux endroits, tous différents et disparates par essence», a déclaré Luca Guadagnino à Yabiladi, au cœur de cette 21e édition du FIFM. Le jury du FIFM 2024, présidé par Luca Guadagnino / Ph. FIFM Au FIFM 2024, Luca Guadagnino retrouve ses «racines profondes» au Maroc Auprès de notre rédaction, il estime ainsi que «c'est l'une des choses dont [il est] le plus fier, d'avoir pu être exposé à tant de différences et en même temps d'avoir la capacité d'être ouvert à tout ce qu'[il ne connaît] pas encore». La réalisation, un outil d'expérimentation artistique et personnelle Issu d'une formation initiale en lettres, Luca Guadagnino a ainsi fait confiance à sa curiosité pour la création, prenant peu à peu pris la tangente du cinéma dans la suite de son parcours académique. A partir de 1996, il passe derrière la caméra pour se lancer d'abord dans le documentaire. S'ensuit une série de réalisations par lesquelles il étonne toujours et se place là où on l'attend le moins. Avec «The Protagonists» en 1999, Luca Guadagnino décloisonne les genres et explore la fiction. Aux confins de la réalité, c'est la musique qui le ramène au Maroc de sa mère. A Ouarzazate, il coréalise le clip de la chanson «Il Gigante», interprétée par Paola Turci. D'une collaboration artistique à l'autre, il façonne son cinéma à lui, qui lui vaudra le prix du meilleur scénario original adapté pour «Call Me by Your Name» à la Mostra de Venise en 2019, ou encore le Lion d'argent du meilleur réalisateur pour «Bones and All», en 2022. «Io sono l'amore» de Luca Guadagnino Mais pour Luca Guadagnino, le septième art reste bien plus que des récompenses internationales. Ce sont d'abord des amitiés qui se créent comme on collecte les bobines de ses films préférés, pour les conserver longtemps et précieusement. Ainsi aura été le cas pour lui avec l'actrice et productrice écossaise Tilda Swinton, qu'il dirige dans son premier opus de fiction, puis dans «Io sono l'amore» (2009), «A Bigger Splash» (2016), ou encore «Suspiria» (2018). FIFM 2023 : Tilda Swinton «inspirée» par le nouveau cinéma vu au Maroc et en Afrique Elle-même présidente du jury du FIFM en 2019, hommagée en 2022 et présente à l'édition de 2023 pour la sortie de «The Eternal Daughter» (Joanna Hogg), Tilda Swinton forme un tandem artistique avec Luca Guadagnino. Celui-ci en parle affectueusement à Yabiladi. «Elle est l'une de mes meilleures amies. Nous avons toujours un grand plaisir à passer du temps ensemble, pas uniquement à faire des films. Nous apprécions tous les deux de réfléchir à la vie, de partager des réflexions et du temps de qualité», nous dit-il. Le FIFM, point de passage de Luca Guadagnino et de ses amis du cinéma De cette amitié professionnelle et humaine à la fois, Luca Guadagnino nous évoque également Tilda Swinton comme «l'une des grandes cinéastes et l'une des personnes qui [lui] ont tant appris». «A mes yeux, c'est une artiste très généreuse car elle a contribué à aider de nombreux autres créateurs à poursuivre leur propre œuvre, y compris moi-même», nous a-t-il affirmé. Evoquant autrement le soutien nécessaire entre les professionnels de l'industrie cinématographique pour pérenniser un septième art viable, accessible et artistique à la fois, créateur de talents émergents et fenêtre sur les œuvres de diverses générations de réalisateurs, Luca Guadagnino affirme par ailleurs à Yabiladi que la place de ces créations doit être les salles de cinéma plus que les plateformes de streaming. Paolo Sorrentino au FIFM : «Notre devoir comme cinéastes est de sauver les salles de cinéma» A ce titre, le cinéaste nous confie rejoindre le réalisateur italien Paolo Sorrentino, dans cette idée que le président du jury du FIFIM 2022 a bien soulignée devant la presse à Marrakech comme étant «un devoir» afin de «sauver les salles de cinéma». Pour Luca Guadagnino, c'est même «une évidences» que les espaces physiques de projections soient privilégiés.