Dès l'annonce de la sortie de sa traduction du néerlandais vers l'arabe, l'autobiographie de Rahma El Mouden a suscité un grand engouement au Maroc. Rencontrer l'autrice, c'est aller à la rencontre d'une personnalité aussi forte que résiliente et inspirante, à l'image de son livre, «Rahma : le chemin vers ma liberté». Mais bien loin des états d'âme, l'opus littéraire propose une réflexion sur soi, sur le pouvoir de rêver et sur les valeurs de persévérance, sans y perdre sa bienveillance. En 2019, Rahma El Mouden a publié son autobiographie en néerlandais aux Pays-Bas, son lieu de résidence depuis 1975. Désormais, «Rahma : le chemin vers ma liberté» est disponible en arabe. Le temps d'une première rencontre littéraire autour de cette nouvelle version, l'autrice maroco-néerlandaise a présenté son livre, traduit par Mustafa Aarab sur demande du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME) et de Sochepress éditions. En partenariat avec l'Institut Nimar, l'événement tenu mardi à Rabat est inédit à plusieurs titres, puisqu'il met en lumière le récit de vie d'une Marocaine ayant émigré aux Pays-Bas. Dans ce sens, l'opus original constitue aussi le premier ouvrage écrit en néerlandais par une primo-migrante marocaine aux Pays-Bas. En arabe, il illustre tout autant l'aboutissement d'une expérience littéraire pionnière, pour les mêmes raisons. Née à Tanger en 1958, Rahma El Mouden a en effet quitté le Maroc à l'âge de 16 ans. Aujourd'hui, elle est à la tête de l'une des plus grandes entreprises de services de nettoyage, dans son pays de résidence. Un témoignage sur 50 ans de luttes ici et ailleurs Dans son ouvrage, Rahma El Mouden développe à quel point ce chemin a été semé d'embûches, depuis ses premières années en tant que femme de ménage à entrepreneuse, puis autrice travaillant désormais sur des projets littéraires à venir. A l'issue de la présentation, Rahma El Mouden est revenue auprès de Yabiladi sur la symbolique de cet opus, inscrit dans la littérature de l'immigration marocaine : «Les auteurs marocains de la première génération migratoire en Europe sont souvent connus pour des romans. Les femmes qui ont migré à cette époque-là n'étaient souvent pas instruites. De ce fait, leur témoignage de vie a été relayé à travers d'autres personnes.» «Avec le peu de connaissances auxquelles j'ai pu accéder, et avec beaucoup de travail au fil des années, j'ai voulu raconter mon récit à moi et non pas une histoire imaginaire, quand bien même elle serait inspirée d'un vécu ou d'un ensemble de réalités. Les romans de mes pairs sont incontestablement réussis. Mais pour ma part, j'ai souhaité m'inscrire dans un autre genre littéraire, en partant de mon propre parcours. C'est de cette manière-là que j'ai souhaité m'approprier mon témoignage.» Rahma El Mouden En effet, ce choix permet à l'autrice de porter un regard complexe et nuancé, au détail près sur les réalités de l'entre-deux, tout en proposant un livre agréable à lire et à relire. «Jeune, on imagine que l'on s'émanciperait plus facilement ailleurs, mais une fois là-bas, on se confronte à de nouveaux défis. On se retrouve à devoir relever les difficultés propres à ces deux environnements socioculturels que l'on porte et qui finissent par devenir les nôtres. Je n'aurais pas pu raconter cela autrement que sur le ton de l'autobiographie, d'autant que ce sont des choses vécues par moi-même, qui se croisent avec le parcours de beaucoup d'entre nous», déclare Rahma El Mouden à Yabiladi. Des luttes aux triomphes, en passant par la quête de liberté, d'émancipation, d'autonomie, tout en restant en harmonie avec les cultures de ses deux pays, Rahma El Mouden célèbre ainsi sa persévérance plus que son parcours en soi, qui devient un exemple pour illustrer les valeurs auxquelles elle a toujours tenues, contre vents et marrées : «Le travail sérieux, la bienveillance et l'attachement à ses rêves tout en étant juste envers soi-même et envers son prochain sont les clés de la réussite», nous affirme-t-elle. Ph. CCME Un livre de mise en perspective pour les nouvelles générations A ce titre, Rahma El Mouden se réjouit encore plus de la publication en arabe de son ouvrage au Maroc, «car cela permet de le rendre accessible à des personnes très intéressées par le découvrir ici même, surtout parmi les plus jeunes et les entrepreneurs en devenir». «A sa sortie en néerlandais déjà, j'ai été contactée par beaucoup de mes concitoyens parmi les jeunes générations qui ne sont pas néerlandophones, mais qui ont été curieux d'en savoir plus. Ce livre en arabe est donc pour eux», nous dit-elle. Ayant présenté la version arabe de l'ouvrage de Rahma El Mouden, l'autrice Soukaina Habiballah considère d'ailleurs cet opus comme «une œuvre exceptionnelle dans la littérature marocaine de l'intime». Auprès de Yabiladi, elle en explique les raisons : «Non seulement il a été écrit par une femme entrepreneuse, mais il réussit aussi cette jonction entre le traitement des questions liées au monde de l'entrepreneuriat et l'approche sociale dans le récit personnel, avec une démarche littéraire très humaine». «Je pense que l'une des forces de ce livre est qu'il est un écrit féministe, mais qui ne s'inscrit pas dans la reproduction simple du récit féministe contemporain. Je trouve qu'il se fonde sur une perspective féministe très novatrice dans la littérature. En tant que femme et en tant qu'écrivaine, j'y ai trouvé aussi une grande inspiration sur la façon dont une concitoyenne marocaine peut se construire et tracer son parcours de vie en toute autonomie, sans concessions ni d'ordre idéologique, ni en matière de ses droits.» Soukaina Habiballah, autrice Au Maroc, Rahma El Mouden se dit «très contente de la perception de cet ouvrage». «Je n'aurais jamais imaginé qu'après 50 de vie en migration, je retournerai à la mère patrie pour présenter un livre sur mon récit de vie, tout en étant accueillie et entourée de personne chères à mon cœur, comme si je n'étais jamais partie», nous confie-t-elle. Témoignant du succès de l'opus dans les deux langues, celui-ci suscite désormais l'intérêt du septième art. Rahma El Mouden confirme à Yabiladi que son ouvrage autobiographique sera adapté en long-métrage au Maroc et en série aux Pays-Bas. En attendant, elle prend goût à l'écriture dans tous ses états. L'autrice nous confie qu'elle envisage cette fois-ci d'explorer de nouveaux genres littéraires, avec la sortie de son premier roman en 2026. Article modifié le 13/11/2024 à 19h26