Dans son rapport, la Banque mondiale indique que d'ici 2030, les ressources en eau disponibles par an et par habitant dans la région MENA tomberont sous le seuil de pénurie absolue de 500 mètres cubes par personne et par an. Elle pointe notamment des problèmes critiques d'efficacité et de gouvernance. La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) est confrontée à une pénurie d'eau sans précédent, empêchant d'assurer aussi bien la vie que de préserver les moyens de subsistance, a estimé cette semaine la Banque mondiale. Dans un rapport intitulé «Aspects économiques de la pénurie d'eau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : Solutions institutionnelles», l'institution a rappelé que les agriculteurs et les villes de la région sont «en concurrence» pour les ressources en eau, poussant les systèmes hydriques au bord de la rupture. «D'ici 2030, les ressources en eau disponibles par an et par habitant dans la région MENA tomberont sous le seuil de pénurie absolue de 500 mètres cubes par personne et par an. La pénurie d'eau deviendra plus aiguë à mesure que la population augmentera. Celle-ci est passée dans la région d'un peu plus de 100 millions d'habitants en 1960 à plus de 450 millions en 2018. Elle devrait dépasser 720 millions d'ici 2050», souligne-t-elle. «Sur la base des stratégies actuelles de gestion de l'eau, une estimation prudente de la demande d'eau en 2050 indique qu'il faudrait 25 milliards de mètres cubes supplémentaires par an, ce qui équivaudrait à construire 65 usines de dessalement de la taille de celle de Ras Al-Khair en Arabie saoudite, actuellement la plus grande au monde», ajoute-t-on. Population, irrigation et pénurie Le Maroc est cité à plusieurs reprises dans le rapport. Avec l'Irak, la République arabe syrienne, la République arabe d'Egypte et la République islamique d'Iran, il fait partie des pays ayant des populations agraires importantes et abritent plus de 70% de la population rurale de la région. «Leurs populations augmentent rapidement et l'augmentation de l'approvisionnement en eau non conventionnelle est un nouveau domaine de débat politique et d'investissement», poursuit le rapport. «Ces cinq pays consacrent plus des trois quarts de leurs prélèvements d'eau à l'irrigation agricole, soit près de cinq fois la quantité d'eau acheminée vers l'agriculture par les anciens pays à pénurie d'eau. Ils représentent également la grande majorité des prélèvements d'eau de surface (163 milliards de mètres cubes par an) par rapport aux anciens pays à faibles ressources en eau (5 milliards de mètres cubes par an) et produisent la moitié ou plus de leurs besoins en céréales», note la même source. Le rapport reconnait que les pays de la région se sont attaquées au manque d'eau en mettant en œuvre plusieurs moyens destinés à accroître l'approvisionnement en eau (construction de barrages supplémentaires, exploitation des eaux souterraines et accroissement du dessalement). Cela s'est fait toutefois «sans traiter de manière adéquate les problèmes critiques d'efficacité et de gouvernance», estime l'institution, décrivant une situation qui «n'est viable ni sur le plan financier ni sur le plan environnemental». D'ailleurs, sur l'exploitation des eaux souterraines, la Banque mondiale a rappelé pour le cas du Maroc que dans les principaux aquifères, les prélèvements sont généralement beaucoup plus importants que le potentiel, y compris dans les aquifères clés du Souss et du Haouz. «La surexploitation entraîne une baisse spectaculaire de la nappe phréatique, qui atteint 64 mètres en 25 ans dans l'aquifère du Saiss et 24 mètres en 34 ans dans l'aquifère du Souss. Dans l'ensemble, les estimations suggèrent que le taux d'épuisement est de 862 millions de mètres cubes par an, ce qui équivaut à environ 9% de tous les prélèvements d'eau dans le pays», alerte-t-elle. «La surexploitation des eaux souterraines au Maroc a entraîné une série d'externalités négatives, notamment l'abandon de l'agriculture dans la région du Souss par les agriculteurs qui ne pouvaient pas suivre l'augmentation de la profondeur de l'eau dans leurs puits et les coûts de pompage correspondants, la réduction de l'accès à l'eau potable pour certaines communautés rurales et la salinisation de l'aquifère», poursuit le rapport qui cite la région de Chaouia comme exemple typique. Prélèvements excessifs et surexploitation A la surexploitation s'ajoute la problématique de la salinisation des aquifères. A cet égard, le rapport estime, pour le cas du Maroc, qu'au moins 30% des ressources en eau souterraine du pays sont dégradées en raison de la pollution et de la salinisation. De plus, alors que le Maroc a adopté l'irrigation au goutte-à-goutte pour bien gérer cette ressource, cela a cependant «réduit les flux de retour récupérables vers les aquifères surexploités, exacerbant ainsi l'épuisement des eaux souterraines et entraînant une plus grande consommation d'eau en raison de l'intensification des cultures et de l'augmentation de la superficie irriguée» Des études de cas au Maroc montrent aussi «comment des prélèvements excessifs ont épuisé les aquifères et comment des communautés agricoles entières ont été confrontées à une menace existentielle, ce qui a conduit le gouvernement à réagir en faisant venir de l'eau de surface d'ailleurs». «Pour éviter ce cycle - d'abord l'épuisement des eaux souterraines, puis le déploiement d'efforts d'urgence pour sauver les personnes touchées - le gouvernement marocain a essayé de renforcer un régime d'autorisation des puits et de restriction de la quantité d'eau prélevée afin que les eaux souterraines aient une chance de se reconstituer avant d'être épuisées», ajoute le document, qui pointe toutefois le contournement de cette interdiction. Le rapport met en évidence des réformes institutionnelles potentiellement efficaces qui permettraient de relever les défis politiques liés à la tarification de l'eau, à l'amélioration de la performance des services publics de l'eau et à l'attribution de l'eau entre les villes et l'agriculture. «Ces réformes impliquent de déléguer aux services d'eau professionnels et aux organismes techniques nationaux d'une part, et aux collectivités locales d'autre part, une plus grande autonomie et des pouvoirs stratégiques plus importants pour gérer différents aspects des services d'eau et de l'attribution des ressources en eau. Ensemble, ces réformes sont envisagées pour renforcer la légitimité de la tarification et de la réglementation de l'eau, afin que les citoyens commencent à s'approprier ces politiques, les rendant ainsi viables et durables», ajoute-t-on. Pour l'institution financières, ces réformes sont «susceptibles de renforcer la confiance dans les organismes publics pour fournir des services d'eau fiables, réduire les gaspillages et les fuites, et générer des revenus suffisants afin d'attirer des financements à long terme pour des infrastructures hydrauliques pérennes».