Pour le secrétaire général du Syndicat marocain des industries du pétrole et gaz naturel (CDT) et coordinateur du Front national pour la sauvegarde de la raffinerie (FNSS), El Houssine El Yamani, l'Etat doit assumer ses responsabilités et profiter de cette flambée des prix des carburants pour introduire des mesures urgentes destinées à protéger le pouvoir d'achat. Comment les prix des carburants ont évolué récemment pour qu'on arrive aujourd'hui à cette flambée ? Il se peut qu'une autre répercussion des prix à l'international soit effectuée au Maroc ce mardi ou mercredi, mais d'après ce que j'ai vu jusqu'à hier, nous sommes à 11 dirhams le litre pour le gasoil. Elle correspond à 6 dirhams de prix à l'international avec les frais jusqu'à l'arrivée au port de Mohammedia, plus 3,5 dirhams de TIC (taxe intérieure de consommation, ndlr) et de TVA ainsi que 1,5 dirham de bénéfices pour les distributeurs. La suppression de compensation et la libéralisation des prix est la responsabilité de l'ancien chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane qui a pris la décision en 2012 pour l'appliquer en 2015. Nous sommes dans des conditions où le gouvernement actuel est appelé à faire preuve de courage politique pour faire marche arrière sur ces décisions. Je ne dis pas un retour de compensation mais plutôt avec une taxe variable. Depuis des années, nous avions mis en garde contre ce genre de situations. La libéralisation du secteur a eu lieu à un moment où le baril coûtait 50 à 60 dollars. Aujourd'hui, à 70 ou 80 dollars, l'impact est de plus en plus visible. Il y a des solutions urgentes à mettre en œuvre et d'autres qui nous poussent à réfléchir. Par exemple, il y a des propositions pour la réactivation de la Samir mais le législateur se place en mode de spectateur sans réagir. Il y a des propositions de lois au Parlement mais personne ne veut faire bouger les choses. Le gouvernement doit assumer sa responsabilité. A votre avis, quelles sont les pistes sur lesquelles le gouvernement doit travailler pour protéger le pouvoir d'achat des citoyens contre cette flambée des prix ? Pour le coût à l'international, il est ce qu'il est et dépend de la géopolitique. Pour le Maroc, nous pouvons agir à ce niveau, en encourageant la politique d'exploration et de recherche pétrolières. Nous sommes en retard et nous en payons le prix. Malgré les déclarations du ministère de la Transition énergétique, le pétrole se maintiendra comme source d'énergie pendant les trois prochaines décennies. Nous devons aussi procéder à une reprise immédiate du raffinage du pétrole au Maroc et la réactivation de la Samir. C'était un parechoc pour les coûts actuels. Il faut savoir que les grands traders prennent en considération lorsqu'un pays acheteur dispose d'alternatives et de raffineries et baissent les prix. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Maroc avait créé la Samir le premier jour. Pour les taxes, il est temps de réfléchir de façon responsable et d'instaurer une taxe variable les autorités refusent de restaurer le système de compensation. Une taxe réunit TIC et TVA et qui ira donc à l'opposé du prix du baril de pétrole : quand celui-ci augmente, la taxe baissera et vis-versa, avec une possibilité d'annuler la taxe quand les prix augmentent. Aujourd'hui, nous faisons face à une volatilité des prix à l'international. Nous sommes passés de 35 dollars à 95 et pouvons aller jusqu'à 120 ou 125 dollars. Pour le troisième point, relatif aux bénéfices, il faut rappeler que les distributeurs gagnaient 0,5 à 0,6 centimes par litre. Aujourd'hui, ils gagnent plus de 1,5 dirham et peuvent atteindre 2 dirhams. Il y a aussi un autre point soulevé et qui doit être appliquée urgemment ; celui de l'adoption du gasoil professionnel, surtout pour les grands consommateurs qui assurent le transport par exemple pour l'économie marocaine. Ces derniers, dont certains commencent à débrayer, doivent être soutenus, sinon nous portons atteinte à la paix sociale. Comment cette flambée des prix qui frappe de plein fouet les professionnels se répercutera-t-elle sur le consommateur final selon vous ? Pour être clair, les gens croient que l'augmentation des prix des carburants a déjà entraîné une hausse des prix des matières premières et des denrées alimentaires. Il faut savoir que nous n'avons pas encore atteint les répercussions de la flambée des prix des carburants sur ces produits au Maroc. Ceux-ci dépendent aussi des prix à l'international et leurs prix ont déjà augmenté. Le problème est que nous avons aussi ceux qu'on peut qualifier de «commerçants de la crise». Si vous augmentez de deux centimes les coûts de transport, un vendeur ou un commerçant peut augmenter le prix de son produit de deux dirhams d'un seul coup, en se réfugiant derrière la hausse des prix du transport. Au final, ces augmentations sont payées par le consommateur. En 2015, Abdelilah Benkirane avait usé de son populisme pour s'interroger si l'Etat doit payer le prix du gasoil pour des gens qui se baladent à bord de voitures de luxe. Savait-il que pour le gasoil ou même l'essence, un transporteur en triporteur qui avait l'habitude d'acheter 2 litres pour se fournir en fruits et légumes et les revendre par la suite ne peut plus circuler comme avant ? Maintenant, ce genre de situations est très fréquent. Il y a ceux qui profitent de cette situation. Outre «les commerçants de la crise», les bénéfices obscènes que nous avons évoqués dans le cadre du FNSS sont toujours d'actualités. Avec un dirham sur 8 milliards de litres de carburant consommés chaque année, ce sont 8 milliards de dirhams de bénéfices pour les pétroliers. Nous avons saisi le Conseil de la concurrence, mais ce dossier a été bloqué. Actuellement, nous constatons que ce conseil aborde tous les sujets sauf celui des hydrocarbures. Il faut dire aux Marocains s'il y a des soupçons d'ententes sur les prix ou non.