Nous sommes le 28 novembre 1960, la Mauritanie devient un Etat indépendant. En réponse à cette autonomie, le Maroc décrète un jour de deuil national. Cette décision puise sa source dans la théorie du Grand Maroc. Une thèse, dont l'instigateur est Allal El Fassi et qui soutient l'appartenance de la Mauritanie au territoire précolonial du Royaume. Indépendante, Nouakchott a des airs de fête. Le pays vient d'en finir avec 58 ans d'occupation française. Une période durant laquelle le pays a connu différents statuts. D'abord, le protectorat en 1903, ensuite décrété colonie en 1920, avant de devenir un territoire d'outre-mer de l'Union française. S'ensuit en 1958, une autonomie relative, qui la place en tant qu'Etat membre de la communauté française, avant d'accéder à son indépendance, le 28 novembre 1960. «En vertu de l'accord signé le 19 octobre 1960 entre la République française et la République islamique de Mauritanie, accord qui a été approuvé par les Parlements des deux Etats, je proclame solennellement l'indépendance de la République islamique de Mauritanie», prononce le premier président de l'histoire de la Mauritanie, Moktar OuldDaddah. Quelque 2 400 km au Nord, Rabat accueille la nouvelle avec abattement. L'ambition de réunifier les deux peuples sous «la bannière du Grand Maghreb» est réduite à néant. Au parfum de l'indépendance imminente de son voisin du Sud, le Maroc avait décrété la veille «une journée de protestation et de recueillement». Plusieurs villes du Royaume sont désertes et les commerces sont pour la plupart fermés. Les origines du Grand Maroc Le concept politique de Grand Maroc voit le jour en 1955. En exil au Caire, son concepteur, Allal El Fassi est alors l'ex-secrétaire général du parti de l'Istiqlal. Figure du nationalisme marocain, il défend les frontières historiques et naturelles de l'Empire chérifien qui s'étendaient jusqu'au Sénégal et au Niger, englobant ainsi non seulement les régions de Colomb-Béchar, Tindouf et la Mauritanie mais la totalité des possessions espagnoles au Sahara. Réceptif à ce discours, le parti de l'Istiqlal embrasse sa thèse du Grand Maroc lors de son congrès d'août 1956. S'ensuit en octobre une affirmation des droits du Royaume sur la Mauritanie de la part du délégué marocain au Conseil de tutelles des Nations Unies. Par la suite, le ministère de l'Intérieur se dote d'une Direction des affaires sahariennes et frontalières. En date du 25 février 1958, c'est un discours du Roi Mohammed V qui appuie la thèse du Grand Maroc. Le souverain porte officiellement la question des revendications marocaines en mentionnant «sa joie d'entendre des tribus sahariennes réaffirmer leur fidélité au Trône alaouite et leur attachement à la nation marocaine unie et indivisible». Sur quelle base se fonde la thèse du Grand Maroc ? Dans son article «Les revendications marocaines sur la Mauritanie», paru dans la revue française de science politique, Françoise De La Serre énumère les arguments de la thèse du Grand Maroc : «Selon la doctrine islamique, le territoire n'est pas lié à l'Etat… Le territoire musulman, le Dar el Islam opposé au Dar el Harb est en réalité l'ensemble des territoires peuplés par les Croyants. Le territoire musulman est fondé sur le jus religionis». L'argument central est donc d'ordre religieux. La prière prononcée en Mauritanie au nom du Sultan du Maroc est la pierre angulaire de la thèse. De plus, le deuxième argument repose sur le soutien offert par certaines tribus mauritaniennes dont les R'guibat à l'Armée de libération marocaine lors de ses incursions en Mauritanie a partir de juin 1956. De La Serre relativise cet argument en affirmant que le souhait d'un rattachement au Maroc n'est en réalité, le fait que d'une minorité qui mène une campagne vigoureuse contre l'indépendance. Comme troisième appui, le Maroc avance la coutume historique selon laquelle les chefs de tribus sahariennes ont prêté allégeance aux sultans alaouites. La décennie de la médiation et de la reconnaissance Les années 60 sont le terrain d'une cohabitation difficile entre les pays voisins. Le Maroc maintient ses revendications ainsi que son ministère de la Mauritanie. En revanche, les partis marocains ne sont pas unanimes sur la question. Le Parti de l'istiqlal confirme sa thèse à travers la publication d'une carte du grand Maroc en 1963. Le Parti communiste, dissous en 1960, mais qui maintient son journal, emboîte le pas, en écrivant dans son journal que «la Mauritanie est une province authentiquement marocaine». Quant à l'Union nationale des forces populaires, De La Serre écrit que «lors de son deuxième congrès, la formation définit ainsi sa position favorable au principe de l'indépendance des peuples et au libre choix par eux de leurs destins collectifs. L'UNFP n'aura pas la maladresse de faire une exception pour la Mauritanie». En 1964, la tension s'atténue entre les deux pays, fruit de la médiation de quelques pays d'Afrique tels que le Sénégal lors des voyages du président Senghor au Maroc en juillet 1963 et du roi Hassan II à Dakar en mars 1964, ou encore la Tunisie qui promeut une réconciliation. En 1969 et à l'occasion du sommet islamique qu'organise le royaume, le Maroc abandonne ses revendications territoriales sur la Mauritanie et reconnaît de facto son indépendance. Le roi Hassan II accueillant le président mauritanien, Moktar Ould Daddah à Rabat en septembre 1969. / Ph. DR