Des chercheurs se sont penchés sur les antécédents médicaux des personnes infectées avant leur diagnostic séropositif au VIH au Maroc, pour révéler que de nombreuses opportunités de dépistage précoce sont ratées et les indicateurs comportementaux rarement abordés. Ils suggèrent notamment de généraliser les tests, les autotests et le traitement préventif pour éradiquer le VIH. Le mois dernier, le ministère de la Santé annonçait, à l'occasion de la Journée mondiale contre le Sida, que les efforts déployés par toutes les parties prenantes ont permis d'atteindre, durant l'année 2019, une proportion de 78% des personnes vivants avec le VIH qui connaissent leur statut sérologique. Un pourcentage qui place ainsi le Maroc sur la bonne voie pour éradiquer, à l'horizon 2030, cette maladie représentant le stade avancé de l'infection au VIH, conformément aux Objectifs du développement durable. Polçur autant, ce chemin reste encore parsemé d'embûches, alors que de nombreuses opportunités de dépistage précoce du VIH, basées sur des comportements à risque ou des indicateurs cliniques, sont ratées, selon une étude publiée dans l'édition de janvier 2021 de la revue BMC Infectious Diseases. Réalisée par 13 chercheurs, dont des Marocains, elle est la première à décrire les antécédents médicaux des personnes infectées par le VIH avant leur diagnostic au Maroc. Les données de cette étude transversale ont été collectées entre mai 2012 et décembre 2013 auprès de patients nouvellement diagnostiqués séropositifs dans six départements de maladies infectieuses marocains qui représentaient plus de 85% des personnes prise en charge pour le VIH au Maroc. Elle révèle que près de deux patients sur trois ont fréquenté des établissements de santé pendant la période probable de l'infection à VIH mais que «beaucoup de ceux qui ont des indicateurs de VIH et qui ont cherché des soins n'ont reçu aucune offre de test du VIH». Les indicateurs comportementaux «rarement abordés» Un constat qui concerne notamment les populations clés, selon le jargon médical. Ainsi, l'étude donne l'exemple des hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH) et dont 83% n'ont pas abordé leur comportement sexuel avec le fournisseur de soins de santé lors de cette visite. Parmi les HSH restants qui ont eu la possibilité de faire un test de dépistage du VIH, seul un sur trois s'est vu proposer un test, regrette l'étude. De la même manière, 69% des personnes qui ont demandé des soins pour des conditions cliniques liées au VIH ne se sont pas vu proposer un test de dépistage du VIH, ce qui signifie que les prestataires de soins ont raté de nombreuses occasions de découvrir la séropositivité de leurs patients, ajoutent les chercheurs. Chez les femmes séropositives, une inégalité des corps et des représentations L'un des constats soulevés par l'étude est le fait qu'aucune information n'a été recueillie sur les travailleurs du sexe, bien que certaines femmes, qui représentaient 11% de la population étudiée, avaient signalé par la suite avoir une médiane de 40 partenaires sexuels sur la période étudiée et ont également signalé plus d'infections sexuellement transmissibles et plus d'indicateurs comportementaux que d'autres. Elles ne se sont pas vu proposer un test de dépistage. «Les indicateurs comportementaux ont rarement été abordés avec le fournisseur de soins de santé (…) mais le médecin n'a pas posé de questions sur les comportements à risque et proposé un test.» Extrait de l'étude Généraliser les tests, les autotests et le traitement préventif Bien que l'étude explique ce constat notamment par la stigmatisation liée au VIH au Maroc ou certains facteurs liés aux populations clés, elle insiste sur le rôle du diagnostic, rappelant que les personnes qui avaient été testées une fois dans leur vie étaient moins susceptibles d'avoir une occasion ratée de se faire tester par rapport à celles qui n'avaient jamais été testées auparavant. Elle reconnait qu'en 2012, le ministère de la Santé a mis en œuvre une nouvelle politique visant à renforcer le conseil et le dépistage du VIH grâce à un plus grand nombre de centres de dépistage volontaire et à la mise en œuvre d'une stratégie de dépistage mobile. «L'accès au dépistage du VIH s'est considérablement accru avec l'introduction du dépistage communautaire par le biais de tests rapides», poursuivent les chercheurs, qui décrivent un «bon résultat» illustrant la nécessité d'un dépistage du VIH durable à base communautaire par des prestataires non professionnels pour atteindre les HSH et les travailleuses du sexe, soit les populations les plus vulnérables à l'infection à VIH, ainsi que les habitants des zones rurales. Pour renforcer et étendre davantage les services de dépistage du VIH et surmonter les obstacles au dépistage du VIH, l'étude suggère un dépistage soit «proposé dans les pharmacies pour atteindre une large population ; les pharmaciens ayant été consultés par 31% de la population de l'étude». Coronavirus et confinement : Quelles mesures pour les Marocains vivant avec le VIH «La mise en œuvre future de l'auto-dépistage au Maroc pourrait également aider à atteindre les groupes de population à haut risque, notamment dans un contexte lié à l'homosexualité et la stigmatisation du VIH», poursuit l'étude. Celle-ci propose enfin, afin d'enrayer l'épidémie, les stratégies de dépistage du VIH doivent être complétées par des stratégies telles que le traitement préventif (TasP) ou la prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour prévenir la transmission.