Elle a fait l'objet et même la priorité de tous les gouvernements qui se sont succédé au Maroc, enfin presque tous… et certainement tous ceux qui ont suivi l'adoption de la constitution de 2011. Ssis Benkirane et Elotmani hier, Ssi Akhannouch aujourd'hui (certes plus discrètement), ils ont tous dit et promis qu'ils lutteraient contre la corruption qui, elle, prospère gentiment, luttant avec gloire et maestria contre… les gouvernements. Ecoutons Aziz Akhannouch lors de sa déclaration de politique générale d'octobre dernier : « Le gouvernement axera ses efforts sur l'amélioration de la gouvernance de l'administration publique en instaurant la transparence administrative et en adoptant une approche participative afin que les citoyens contribuent à la gestion de leurs affaires, tout en renforçant les moyens de lutter contre la corruption, le népotisme et le clientélisme ». Alléluia ! Et pour convaincre les honnêtes gens dans les chaumières, le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi commence par retirer le projet de Code pénal qui abrite ce fameux article sur l'enrichissement illicite. Grand débat autour de ce texte, discussions épiques dans les années passées : Faut-il, oui ou non, sévir contre ceux qui font fortune fissa ? Et si oui, faut-il les frapper à la poche, ou les embastiller, ou les deux ? Réponse du grand avocat qu'est Me Ouahbi : On retire le texte, on réfléchit, et on verra, inchallah ! Alors, c'est quoi la corruption, au Maroc ? Et bien, le classement établi par Transparency Maroc en 2020 range le royaume à la 86ème place, sur 180 pays, un rang qui le situe dans la catégorie de « corruption endémique ». Qu'est-ce qu'une endémie ? Une maladie qui sévit en permanence dans une région. Où en était le Maroc de son classement en 2018 ? À la 73ème place. Autrement dit, malgré tous les efforts déclarés des deux gouvernements PJD, lequel PJD avait inscrit la lutte contre le « fassad » (grande famille de perversion incluant la corruption) parmi ses priorités, le Maroc a reculé et les dessous de table et autres paiements illicites ont fait florès dans les deux dernières années ! Que coûte la corruption au Maroc ? Difficile à établir avec précision l'étendue des dégâts, mais on aime à dire que ce fléau représente une perte de 2,5 à 5% du PIB, soit 3 à 6 milliards de dollars, ou 27 à 54 milliards de DH. Répétons lentement, 27 à 54 milliards de DH… M. Akhannouch a également parlé, dans sa déclaration, de népotisme et clientélisme, jurant la main sur le cœur et le cœur en liesse de s'y atteler. Soit, nous avons donc espoir de voir les choses changer rapidement sous ce gouvernement où la vertu fait loi… C'est sans doute pour cette raison que la très éphémère ministre de la Santé et plus durablement maire de Casablanca Nabila Rmili a placé son époux à ses côtés au sein du Bureau de la ville, avant qu'il ne quitte, pressé, oppressé et stressé par la bronca que cette « élection » avait soulevée, et c'est pour cela aussi que Awatif Hayar avait appelé son mari à ses côtés au sein de son cabinet de ministre, avant qu'il ne décide de revenir à ses chers étudiants, malgré l'héroïque défense de sa cause par Nizar Baraka… Il n'est pas nécessaire, par charité musulmane, d'énoncer tous les noms de personnes, personnages et peut-être même personnalités appelés aux affaires dans cette équipe d'hommes et de femmes d'affaires gérant le gouvernement, les régions et les communes !... Et tout cela dans le silence le plus complet, vu que la communication semble être le parent pauvre, indigent et démuni des nouveaux responsables. Et en face, qu'avons-nous ? Beaucoup d'ambition : Un modèle de développement très prometteur à mettre en œuvre, des investissements à lancer pour créer de la richesse, des politiques publiques à lancer avec l'objectif d'assurer la si cruciale cohésion sociale, et des investisseurs étrangers perplexes à séduire. Rien que cela. Comment faire alors, quand la corruption est endémique et que le gouvernement paraît très peu s'en soucier ? Comment honnêtement inverser la tendance de cette endémie, qui s'ajoute à la pandémie, quand nous en sommes encore à soliloquer sur le bien-fondé ou non de la pénalisation de l'enrichissement illicite ? Une seule solution, la justice ! Si si, cela a même été prouvé sous d'autres cieux, et ça marche… Tant qu'il y aura de l'impunité, que la Cour des comptes publiera des rapports que personne ne lit, que le Conseil de la concurrence tardera à publier d'autres rapports que tout le monde veut lire, que l'Instance de probité manque d'efficacité et de ténacité et que nos juges ne jugent pas encore nécessaire de sévir avec une extrême sévérité, nous continuerons de nous enfoncer dans les sables mouvants de la corruption. Et de voir s'éloigner ce beau mirage de l'émergence économique… ce qui est bien dommage si on considère notre émergence géopolitique qui a tant besoin de rigueur économique et surtout éthique.