Voici quelques semaines, une scène tournée à Marrakech a secoué le web au Maroc. On y voit un homme, ceint du drapeau du Maroc, danser, boire, rire et mimer des gestes douteux. Une femme hilare et entreprenante est à ses côtés sur son estrade, et un public regarde la scène, plus ou moins souriant. L'homme, un Français, est interpellé, placé en garde à vue, interrogé et présenté aux juges. Il a reconnu les faits. La première audience, tenue le 10 septembre, a été reportée au 24, ce lundi prochain. L'histoire, on la connaît… Un homme, cuisinier de son état dans un restaurant de la place, se marie. Et il fête ça, avec des amis ; le vin coule à flots et les esprits se libèrent, se délient… jusqu'au délit. L'homme, D.B., boit, s'enivre, monte sur une estrade, vêtu d'un simple pagne… sauf que ce pagne est le drapeau du Maroc. Une dame s'esclaffe à ses côtés, le fait ostensiblement boire du vin, au goulot, alors que lui aussi rit, ce qui complique un peu l'opération. Puis, une autre dame arrive sur l'estrade, rit beaucoup, et participe à la manœuvre. Et c'est alors que D.B. mime des gestes en forme de va-et-vient de son bas-ventre, avant qu'un objet, qui semble être un verre ou une canette, préalablement fixé dans son entrejambe, tombe. Hilarité générale. La DGSN, on le sait, a fait son travail, interpellant D.B., l'interrogeant, enregistrant ses propos où il reconnaît les faits. La police le présente au parquet, qui lui signifie sa convocation pour l'audience du 10 septembre, laquelle audience est reportée au 24, lundi prochain. Que risque D.B. ? Il faut savoir que le Maroc a calqué presque tout son dispositif pénal sur le Code pénal français, en plus de quelques articles puisés dans le droit musulman, mais cela est une autre histoire. Parmi les délits inspirés des Français, l'outrage au drapeau… La loi 17-05, modifiant et complétant le Code pénal marocain, dispose ceci : Article 267-1 Est puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 10.000 à 100.000 dirhams quiconque porte outrage, par un des moyens visés à l'article 263 ci-dessus ou par quelque autre moyen que ce soit, à l'emblème et aux symboles du Royaume, tels que prévus à l'article 267-4 ci-dessous. Lorsque l'outrage est commis en réunion ou en rassemblement, la peine encourue est l'emprisonnement d'un an à cinq ans et une amende de 10.000 à 100.000 dirhams. La tentative est passible des mêmes peines. Les coupables peuvent, en outre, être frappés pour un an au moins et dix ans au plus, de l'interdiction d'exercer un ou plusieurs des droits visés à l'article 40 du présent Code. Ils peuvent également être frappés d'interdiction de séjour pour une durée de deux à dix ans. Article 267-2 Est passible d'un emprisonnement de « trois mois à un an et d'une amende de 20.000 à 200.000 dirhams « quiconque fait l'apologie de l'outrage à l'emblème et aux symboles du Royaume, ou incite à commettre de tels actes par des discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou les réunions publics, ou par des écrits, des imprimés vendus, distribués ou mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, ou par des affiches exposées au regard du public par les différents moyens d'information audiovisuels et électroniques. Le législateur marocain a suivi le français qui, en 2003, avait adopté un amendement au Code pénal, au moyen de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 qui crée l'article 433-5-1, qui dit ceci : Le fait, au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d'outrager publiquement l'hymne national ou le drapeau tricolore est puni de 7 500 euros d'amende. Lorsqu'il est commis en réunion, cet outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. En France, l'outrage au drapeau est défini comme délit s'il est commis lors d'une manifestation organisée par l'autorité publique (match de foot, par exemple), et l'emprisonnement n'est prévu que si la chose est commise en réunion, c'est-à-dire en groupe. Le Maroc, lui, a décidé de sanctionner tout outrage au drapeau, en réunion publique ou privée. Pourquoi l'audience a-t-elle été reportée ? Le 10 septembre, donc, D.B était face à ses juges, lesquels juges ont décidé de reporter l'examen de son affaire au 24. Il semblerait que ce report ait été décidé sur demande des avocats de D.B., aux fins de mieux préparer la défense de leur client. Que plaider pour défendre une cause indéfendable ? Une seule chose : l'ébriété. Il est vrai que lorsqu'on est sous l'emprise de l'alcool, on peut faire tout, n'importe quoi, ou rien. Mais si l'ébriété est retenue, alors cela signifie que cet homme serait capable de tout, une fois qu'il aura taquiné la dive… Outrager un drapeau en mimant des gestes obscènes est un acte assez inconscient pour susciter l'inquiétude de magistrats réellement soucieux de l'intérêt et de l'ordre public, en plus de la sécurité des citoyens. Et puis, ne dit-on pas que « in vino veritas », que du vin sort la vérité, que c'est quand on est sous l'emprise de l'alcool que l'esprit et la langue se délient, et révèlent les ressorts les plus secrets et les plus intimes de l'homme, ou de la femme, qui en usent, voire en abusent. N'ayons pas peur des mots, tout en respectant les juges, la justice, et l'esprit de la justice… D.B., 61 ans au compteur et cuisinier florissant à Marrakech, se doit de respecter le pays qui l'a accueilli et qui lui a permis de festoyer et de prospérer. La loi prévoit la prison, l'amende, et l'interdiction de séjour. Si la prison est un châtiment excessif pour le délit en question, et en retenant les circonstances aussi atténuantes que soûlantes, l'interdiction de séjour serait particulièrement indiquée… Respecter le droit de l'accusé est une chose, respecter la dignité des Marocains qui, en écrasante majorité, sur les réseaux, ont condamné l'acte en est une autre. Tout aussi importante. D.B a oublié ce respect, formons des vœux pour que les juges le lui rappellent, pour qu'il puisse y réfléchir, en France… en compagnie des dames qui lui tenaient une active et entreprenante compagnie. Et réfléchissons, à toute fin utile, au sort d'un Marocain qui aurait entrepris la même danse douteuse, même sans être en état d'ébriété. Aurait-il été libéré dans la journée ? Simple question, à laquelle l'effectif des personnes en détention provisoire pourrait apporter quelques indications. Et pensons aussi à l'Emirati qui s'est répandu dans les réseaux en insultes contre le Maroc, les Marocaines et les Marocains, et qui vogue aujourd'hui de par le vaste monde… Simples questionnements d'un Marocain épris de son pays.