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Reddition des comptes : Retour sur un principe toujours décrié mais capital pour la gestion publique
Publié dans PanoraPost le 11 - 08 - 2018

La terme reddition des comptes revient avec acuité depuis un certain temps dans l'espace politique et administratif du royaume. Pourtant ce terme si chargé de perception est sujet à un débat très controversé entre « surveillants » et « surveillés ». La reddition des comptes n'est pas pour autant un terme galvaudé, seulement sa mise en application est souvent « repoussée » car obéit à d'autres logiques administratives rigoureuses et impartiales.
Tout gestionnaire des derniers publics, privés ou parapublics est tenu de rendre des comptes, d'où le terme accomptbilty, sa déclinaison anglaise. Rendre compte ou reddition des comptes est un principe incontournable pour une gouvernance rigoureuse et vertueuse des deniers publics, avant d'être une obligation.
Les institutions de Brettons Woods en ont fait leur cheval de bataille pour aider les pays en voie de développement à protéger leurs ressources. Et à ce titre, des instruments et outils de bonne gouvernance ont été mis à la disposition de ces pays pour leur permettre de transposer des mécanismes déjà testés et appliqués dans des pays avancés.
Forte de tous ces aspects, la Banque mondiale a aidé l'ensemble des pays sous-développés et en voie de développement à mettre en place des institutions spécialisées pour la surveillance de la gestion publique.
Naissance des mécanismes de bonne gouvernance au Maroc
L'Histoire de la reddition des comptes remonte à très longtemps surtout en France où Napoléon décida le 16 septembre 1807 de créer la Cours des comptes comme l'une des premières institutions supérieures de contrôle dans le monde.
Au Maroc, c'est d'abord l'Institution de la Commission Nationale des comptes qui a été créée en 1960, remplacée en 1979 par la Cour des Comptes, en vertu de la loi n°12-79. En 1996, la Cour des comptes est élevée au rang d'institution constitutionnelle et c'est en 2002 que vient la promulgation de la Loi n°62-99 formant code des juridictions financières avant que la réforme constitutionnelle de 2011 ne vienne renforcer les attributions constitutionnelles de la Cour des Comptes.
Avec toutes ces évolutions, la volonté politique du Maroc d'implémenter, à l'échelle nationale, les dispositions de la Convention a été traduite par l'adoption de nombreuses mesures nationales visant la moralisation du secteur public et la promotion de la transparence et l'intégrité, en tant que priorité majeure, dans les différents programmes de travail du gouvernement et sur la base d'une stratégie claire. Ces mesures ont été traduites, d'un point de vue opérationnel et procédural sur le terrain aux niveaux suivants :
Au niveau institutionnel, il convient de souligner, à ce propos, les réalisations les plus importantes du Maroc pour développer son cadre institutionnel de la prévention et de la lutte contre la corruption ; de nouvelles institutions ont été créées et les institutions existantes renforcées pour la prévention et la lutte contre la corruption en application de la loi : la création de l'instance centrale pour la prévention de la corruption, de la Cour Supérieure des comptes et des cours régionales, d'une unité de traitement des informations financières, de sections des crimes financiers dans certaines cours d'appel, du Conseil de la concurrence, du développement de l'institution du Diwan al madhalim, du développement du Conseil consultatif des droits de l'homme en créant le Conseil national des droits de l'homme.
Au niveau juridique, pour harmoniser son système juridique avec les différents articles de la Convention des Nations Unies contre la corruption, le Royaume a réalisé de nombreux acquis juridiques notamment l'adoption de la nouvelle constitution, ainsi que l'édiction d'un ensemble de textes juridiques, législatifs et réglementaires, qui visent à renforcer les valeurs d'intégrité et de transparence.
Quel est le rôle de la Cour des comptes ?
La Cour des comptes est l'instance supérieure de contrôle des finances publiques du royaume. Son indépendance est garantie par la Constitution. La Cour des comptes a pour mission de protéger les principes et valeurs de la bonne gouvernance, de la transparence et de la reddition des comptes de l'Etat et des organes publics.
La Cour des comptes est chargée d'assurer le contrôle supérieur de l'exécution des lois de finances. Elle assure la régularité des opérations de recettes et de dépenses des organes soumis à son contrôle en vertu de la loi et en évalue la gestion. Il sanctionne, le cas échéant, les omissions des règles qui régissent ces opérations.
La Cour des comptes contrôle et assure le dépôt des déclarations de patrimoine, audite les comptes des partis politiques et vérifie la régularité des dépenses des opérations électorales.
La Cour des comptes assiste le Parlement dans les domaines du contrôle des finances publiques. Elle répond aux questions et aux consultations relatives aux fonctions de législation, de contrôle et d'évaluation exercées par le Parlement et relatives aux finances publiques.
La Cour des comptes apporte son aide aux instances judiciaires
La Cour des comptes aide le gouvernement dans les domaines pertinents en ce qui concerne la compétence en vertu de la loi.
Elle publie tous ses travaux, y compris les rapports spécifiques et les décisions juridictionnelles.
Elle soumet au roi un rapport annuel sur l'ensemble de ses activités, qu'elle transmet également au chef du gouvernement et aux présidents des deux chambres du Parlement. Ce rapport est publié dans le Bulletin officiel du Royaume.
Un rapport sur les activités de la Cour est présenté par son premier président devant le Parlement. Il est suivi d'un débat.
Les tribunaux régionaux des comptes (9 tribunaux) sont chargés d'assurer le contrôle des comptes et de la gestion des régions et des autres collectivités territoriales et de leurs groupes. Ils sanctionnent, le cas échéant, les omissions aux règles qui régissent les opérations financières publiques.
La composition, l'organisation, les attributions et les modalités de fonctionnement de la Cour des comptes et des tribunaux régionaux sont établies par la loi (code des juridictions financières).
Les membres des juridictions financières ont le statut de magistrats.
Le Roi en lanceur d'alerte
Presque à chaque déclaration publique sur l'Etat de la nation, le roi Mohammed VI ne rate aucune occasion de rappeler le principe de bonne gestion, seul gage du développement du pays. Pourtant l'organe de contrôle des gestionnaires publics ne cesse d'épingler dans ces audits des délinquants financiers ou des auteurs de fautes de gestion.
Ce 29 juillet, avant le discours du Trône, le Roi avait reçu Driss Jettou qui lui a remis le rapport de la Cours des comptes où certains administrateurs défaillants ont été dénoncés dans leur gestion pour diverses raisons.
Dans son discours, le chef de l'Etat a insisté sur l'épanouissement de la société marocaine qui est tributaire de la reddition des comptes. « La société marocaine vit en effet la démocratie dans toute sa plénitude, confortée par la réforme constitutionnelle de 2011 qui a redessiné l'architecture politique et institutionnelle du pays et instauré une nouvelle génération de droits, notamment la responsabilité des pouvoirs publics dans la promotion de la justice sociale et la reddition des comptes, sans oublier la garantie d'un épanouissement économique et social à toutes les franges de la société. », a déclaré le roi.
En 2017 analysant le discours du Trône, la MAP avait rapporté les déclarations de Najib Jiri, professeur à l'université Chouaîb Doukkali à El-Jadida, qui, analysant l'adresse à la nation du Roi avait laissé entendre que « le discours royal a courageusement mis le doigt sur les dysfonctionnements de l'administration qui entravent la bonne marche des services publics, la réalisation des objectifs de développement et les chantiers engagés par le Maroc. ». Le professeur Najib plus incisif déclare que « ce discours constitue un appel franc à la mise en œuvre du principe constitutionnel qui établit une corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes, seul gage pour la concrétisation d'une gouvernance optimale ».
A partir de ces deux discours successifs, il faut comprendre que le Roi lance les alertes pour une bonne gouvernance dans la gestion des biens publics.
Conclusion, ou conséquence, implacable : « En application des dispositions de l'article 47 de la Constitution, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, (...) après consultation du chef du gouvernement, a décidé de mettre fin aux fonctions de M. Mohamed Boussaïd, en tant que ministre de l'Economie et des Finances. Cette décision royale intervient en application du principe de la reddition des comptes que Sa Majesté le Roi est soucieux d'appliquer à tous les responsables quels que soient leurs rangs ou leurs appartenances ». La reddition des comptes fait une victime, et pas des moindres... En voyant de plus près, tout laisse à penser que le Roi a envoyé avec ce geste un signal très fort à ceux qui s'évertuent de trainer les pieds pour rendre compte de leur gestion ; l'« application du principe de la reddition des comptes » devient donc obligatoire.
Le gouvernement ne se ménage pas
Le chef du gouvernement, Saadeddine Elotmani, a déclaré le 30 juillet lors d'une réunion d'évaluation de l'économie marocaine « que la corruption gaspille environ 7% du PIB marocain chaque année et que le meilleur moyen de résoudre les problèmes économiques et sociaux du Maroc est de lutter contre la corruption dans l'administration publique. ».
Dans ce qui semblait être une réponse directe au discours du Trône du Roi, le chef du gouvernement estime que « la corruption est le plus grand obstacle au progrès du pays » et a ajouté que « d'autres pratiques liées à la corruption, telles qu'une mauvaise coordination entre les différents ministères, entravent également la voie du développement du Maroc ».
Au cours de cette même rencontre, M. Elotmani a estimé que « lutter contre la corruption financière joue un grand rôle dans la réalisation de l'équité et du développement » et, pointant du doigt le gouvernement, il ajoute qu'il « n'applique pas la loi de manière efficace ».
La reddition des comptes en bleu de chauffe
Les directives du Roi Mohammed VI constituent une feuille de route riche pour l'amélioration de la gouvernance dans les secteurs économique, social et administratif. Et parmi les directives, figure en bonne place la reddition des comptes.
Pour matérialiser les instructions royales, le chef du gouvernement a déclaré qu'une équipe d'auditeurs enquêtera sur un certain nombre de projets en cours financés par le gouvernement dans les prochaines semaines pour connaître les raisons du retard et s'assurer que l'argent alloué n'a pas été utilisé à d'autres fins. En outre, les enquêtes porteront principalement sur les secteurs de l'éducation et de la santé, d'autant plus que le gouvernement souhaite mettre en œuvre des réformes pour améliorer la qualité de l'enseignement et des établissements de santé.
Parmi les projets qui feront l'objet d'audit, il y a la faculté des sciences d'Ain Chock à Casablanca qui est l'une des nombreuses institutions d'apprentissage ciblées par le ministère de l'Education. D'ailleurs, le ministère aurait envoyé à l'administration de l'université une lettre demandant des mises à jour sur un projet de 9 millions de DH pour lequel Ain Chock a reçu un financement du gouvernement en 2017.
Autre projet épinglé dans le rapport de Driss Jettou, les 45 milliards de DH du Plan d'urgence pour la réforme de l'éducation, où la Cour des comptes a relevé de graves irrégularités qui ont ainsi permis d'établir les responsabilités et pas des moindres dont l'ancien ministre de l'éducation nationale, et actuel président PAM et de la région Marrakech-Safi, Ahmed Akhchichène qui serait aujourd'hui dans le collimateur de la justice marocaine.
Aujourd'hui, avec l'accélération de la reddition des comptes, les agents de l'administration sont plus que jamais sur le qui-vive sur ce qui semble une opération main propre, à suivre avec attention car les ramifications politiques ne sont jamais loin.


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