Par Désiré Beiblo Les juges de la Cour pénale internationale ont ordonné mardi la remise en liberté immédiate de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, jugé aux côtés de son bras droit, l'ex-ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé, pour crimes contre l'humanité dans la crise post-électorale qui a secoué la Côte d'Ivoire entre 2010 et 2011. A un an d'une présidentielle qui cristallise les débats, cette libération pourrait reconfigurer la scène politique dans le pays. Le sort de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé est désormais connu. La Cour pénale internationale (CPI) s'est prononcé le 15 janvier 2019 en faveur de l'acquittement des accusés et a ordonné leur remise en liberté immédiate, suspendue ensuite à la demande du procureur dans l'attente d'un nouvel appel. « La Chambre fait droit aux demandes d'acquittement présentées par Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé (ex-chef du mouvement des Jeunes patriotes, fidèles à M. Gbagbo) concernant l'ensemble des charges » retenues contre eux et « ordonne la mise en liberté immédiate des deux accusés », a déclaré le juge président Cuno Tarfusser. Et pour cause, les juges ont estimé que le procureur ne s'est pas acquitté de la charge de la preuve. Si cette libération est diversement appréciée dans les camps Gbagbo et Ouattara –Alassane Ouattara, président actuel de la Côte d'Ivoire opposé à Laurent Ggagbo lors du second tour des élections de 2010 dont la crise poste électorale a occasionné 3.000 morts – c'est surtout le champ politique ivoirien déjà mouvementé qui risque d'en être ébranlé. En effet, l'acquittement « surprise » de Laurent Gbagbo à un an de l'élection présidentielle de 2020 vient jeter un pavé dans la mare. Porté au pouvoir en 2010 et 2015 par le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), une coalition de plusieurs partis politiques dont les poids étaient le RDR et le PDCI-RDA, le président Alasanne Ouattara achève son second mandat à la tête du pays mais le paysage politique a bien évolué depuis sa réélection et le maintien de sa coalition au pouvoir en 2020 n'a rien d'une évidence. De nouveaux rapports de force La possibilité d'un retour de Laurent Gbagbo dans l'arène politique en terre d'Eburnie intervient à une période de grande recomposition des forces politiques en Côte d'Ivoire, sous fond de tension entre le RDR d'Alassane Ouattara, en route pour devenir le RHDP unifié, et son allié d'hier le PDCI d'Henri Konan Bédié. En effet, dans le mois d'août 2019, le premier parti politique ivoirien a quitté officiellement la coalition au pouvoir et a rejoint les rangs de l'opposition, après avoir soutenu la candidature du président Ouattara durant les deux dernières élections présidentielles. Comme raison, le PDCI a évoqué des mésententes et des promesses non tenues en rapport avec l'alternance au cœur du deal entre les dirigeants des deux partis. Depuis, Henri Konan Bédié a entamé un rapprochement avec d'autres partis d'opposition, y compris le FPI de Laurent Gbagbo dans le but de créer une plateforme pour barrer la route au parti d'Alassane Ouattara à la prochaine élection. →Lire aussi: Côte d'Ivoire: Simone Gbagbo libérée Une autre « défection » ou presque dans le camp de la coalition au pouvoir, celui du président de l'Assemblée nationale, réputé proche de Bédié, à qui l'on prête des ambitions présidentielles mais qui n'a toujours pas pris de position officielle sur une prochaine candidature à la magistrature suprême, se tenant à l'écart des tensions entre le RDR et PDCI. Mais si la fracture de l'ancienne coalition peut laisser penser que le parti présidentiel est affaibli, pour de nombreux observateurs, le Président Ouattara tient la barre et le prochain congrès du RHDP unifié -le 26 janvier 2019- qui se veut une plateforme d'union des partis politiques, devrait confirmer la force du groupement au pouvoir. FPI, le retour en grâce? Le 7 août dernier, le Président de la république de Côte d'Ivoire a amnistié 800 prisonniers de la crise post-électorale parmi lesquelles une majorité de personnalités et de militants du Front populaire ivoirien (FPI). Cette décision de nature à apaiser les tensions et poser les bases d'une réconciliation nationale a été saluée par toute la classe politique ivoirienne, mais elle a surtout été perçue comme un coup de maître de la part d'Alassane Ouattara qui en remettant Simone Gbagbo dans le jeu politique, a coupé l'herbe sous les pieds du PDCI qui lorgnait sur les sympathisants du FPI. Il faut toutefois noter que cette amnistie ne concernait pas Laurent Gbagbo. En effet, l'ancien Président ivoirien a été condamné en janvier 2018 à 20 ans de prison et à 329 milliards FCFA d'amende pour le braquage de l'Agence nationale de la (BCEAO) pendant la crise post-électorale ivoirienne. Il pourrait donc faire face à la justice ivoirienne après l'épisode de la Cour pénale internationale. Mais déjà, plusieurs observateurs affirment qu'il sera indubitablement au centre de la prochaine élection présidentielle. Les cartes de la politique ivoirienne sont donc rebattues, avec les mêmes acteurs de la présidentielle de 2010, mais avec de nouvelles positions et de nouvelles alliances. Le suspense reste entier.