À six mois du scrutin présidentiel d'octobre 2025, la Côte d'Ivoire est à nouveau confrontée à des tensions politiques qui ravivent de douloureux souvenirs. La disqualification de plusieurs candidatures par la Commission électorale indépendante (CEI), notamment celle de Tidjane Thiam en raison de sa double nationalité franco-ivoirienne, suscite de vives inquiétudes quant à la stabilité du processus électoral et à la résilience démocratique du pays. Figure montante de l'opposition, Tidjane Thiam, ancien banquier de renommée internationale, incarnait pour beaucoup l'espoir d'un renouveau politique ivoirien. Sa candidature, invalidée pour non-conformité au critère de nationalité exclusive ivoirienne, rappelle avec brutalité les plaies encore béantes laissées par la notion controversée d'« ivoirité ». Ce concept, instrumentalisé dans les années 1990 et 2000, avait contribué à fracturer profondément le pays, jusqu'à plonger la Côte d'Ivoire dans une décennie de conflits et d'instabilité. La CEI justifie son rejet en s'appuyant sur la loi électorale, qui impose la nationalité ivoirienne exclusive aux candidats à la magistrature suprême. Si juridiquement défendable, cette décision risque cependant d'être perçue comme un instrument politique, accentuant la défiance d'une partie de l'opinion publique envers les institutions électorales. L'exclusion de Tidjane Thiam n'est pas isolée : plusieurs autres opposants ont vu leur dossier écarté, dans un climat de suspicion et d'amertume. Cette dynamique ravive les tensions identitaires et renvoie à une période sombre de l'histoire ivoirienne, lorsque la bataille pour l'identité nationale avait enflammé les passions et exacerbé les clivages ethno-politiques. Lire aussi : Le Vice-président sud-africain victime d'une tentative d'assassinat À l'époque, la querelle sur l'ivoirité avait opposé Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, alimentant une instabilité politique et une violence dont le pays porte encore les stigmates. La question qui se pose aujourd'hui est simple mais lourde de conséquences : la Côte d'Ivoire saura-t-elle éviter de replonger dans ses vieux travers, ou est-elle vouée à voir resurgir les démons de la division préélectorale ? La candidature d'Alassane Ouattara, président sortant, ajoute à la complexité de la situation. Si l'intéressé n'a pas encore officialisé sa décision de briguer un nouveau mandat, son silence nourrit les spéculations et cristallise les tensions. En 2020, son choix de se représenter pour un troisième mandat, en invoquant une "nouvelle Constitution", avait déjà été à l'origine de heurts meurtriers. Cette fois, l'incertitude est totale. Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), parti au pouvoir, n'a pas officiellement désigné de successeur, laissant planer l'hypothèse d'un nouveau tour de piste pour Ouattara. Du côté de l'opposition, la situation n'est guère plus claire. Laurent Gbagbo, malgré son retour en Côte d'Ivoire après son acquittement par la Cour pénale internationale, fait face à de nouveaux obstacles : sa candidature a été invalidée par la CEI, entretenant le flou et la frustration dans son camp. Une démocratie ivoirienne à la croisée des chemins À quelques mois d'un rendez-vous électoral charnière, la Côte d'Ivoire apparaît donc suspendue entre deux trajectoires : celle d'une consolidation démocratique tant attendue ou celle d'une rechute dans les divisions fratricides. Le rejet des candidatures, la persistance de querelles politiques non tranchées, et l'absence de consensus national autour des règles du jeu électoral, alimentent une atmosphère de méfiance généralisée. Dans un pays qui reste économiquement dynamique mais socialement fragile, le défi est immense : éviter que l'élection présidentielle d'octobre 2025 ne ravive les blessures du passé. Le risque d'une contestation post-électorale est bien réel si les principales forces politiques ne parviennent pas à s'entendre sur les bases d'une compétition loyale. La Côte d'Ivoire se trouve à la croisée des chemins. Soit elle choisit la voie du sursaut démocratique, à travers un processus électoral ouvert et apaisé. Soit elle se laisse submerger par les tensions identitaires et politiques, au risque de voir s'effondrer les progrès durement acquis au cours de la dernière décennie.