Longtemps absorbé par une politique extérieure agressive et une stratégie obsessionnelle de confrontation vis-à-vis de ses voisins, le président algérien Abdelmadjid Tebboune semble amorcer un revirement tardif. À l'issue du Conseil des ministres qu'il a présidé dimanche, une série de mesures a été annoncée, laissant entrevoir un début de prise de conscience sur l'ampleur des crises internes qui gangrènent l'Algérie. Mais derrière ces annonces, la profondeur des maux laisse sceptique quant à l'efficacité réelle de leur mise en œuvre. Présenté comme un moment décisif, le Conseil des ministres de ce 21 avril s'est penché sur une panoplie de projets de loi touchant à des domaines sensibles : la mobilisation générale, l'éducation, la prévention contre la drogue, les importations et exportations, ainsi que l'agriculture. Pour un pays qui fait face à une inflation galopante, à une fuite des capitaux et à une démobilisation sociale croissante, ce retour aux priorités internes tranche avec l'agenda des mois précédents. Car jusqu'ici, le président Tebboune – Chef suprême des Forces armées et ministre de la Défense nationale – avait consacré une part non négligeable de ses efforts à des politiques de diversion, alimentant les tensions diplomatiques avec Rabat, tentant de déstabiliser le Maroc sur le dossier du Sahara, et entretenant des rapports conflictuels avec ses voisins du Sahel et de la Méditerranée. Parmi les mesures phares annoncées figure l'abaissement de l'âge de la retraite pour les enseignants du primaire, du moyen et du secondaire, présenté comme une reconnaissance des "efforts dans la formation des générations de demain". Une décision perçue par certains comme un geste électoraliste anticipé, plus que comme une réponse systémique à la crise du secteur éducatif, en proie à la démotivation et à l'exode des compétences. Lire aussi : Tension Algérie-Mali: une délégation d'opposants maliens attendue à Alger Sur le front agricole, un prix unifié de 40 000 dinars pour le mouton de l'Aïd importé a été fixé, et la croissance dans certaines filières comme l'olivier ou le palmier a été vantée comme signe de reprise. Mais ces annonces peinent à dissimuler les limites structurelles d'une agriculture saharienne largement tributaire des effets du changement climatique et de la mauvaise gouvernance. Tentative de repositionnement africain et écran de fumée diplomatique L'organisation prochaine de la Foire commerciale intra-africaine (IATF), que l'Algérie s'apprête à accueillir, a été particulièrement mise en avant. Le président a ordonné la "mobilisation totale" pour assurer son succès, y voyant une vitrine du leadership algérien en Afrique. Une posture qui fait écho aux ambitions déclarées d'Alger de se positionner comme puissance continentale, après des années d'isolement diplomatique. Cependant, beaucoup y voient un écran de fumée destiné à masquer l'échec de sa politique régionale, notamment l'érosion de son influence au sein de la CEDEAO, la brouille persistante avec le Maroc, et l'incapacité à répondre aux aspirations de la jeunesse africaine en matière de mobilité, d'emploi ou d'innovation. Le chef de l'Etat a également annoncé l'installation dans un délai d'un mois d'un guichet unique pour les investisseurs, ainsi que de deux instances nationales chargées respectivement des importations et des exportations. L'intention affichée est de rationaliser l'économie, de faciliter l'investissement, et de réduire les entraves bureaucratiques – un mal endémique en Algérie. Mais là encore, la méfiance est de mise. Ces dispositifs, censés rompre avec les lourdeurs administratives, restent placés sous l'autorité centrale et échappent à toute logique de décentralisation ou d'autonomisation des acteurs économiques. Une contradiction qui pourrait freiner leur mise en œuvre effective. Ce revirement apparent ne saurait occulter le fait que l'Algérie reste embourbée dans une crise économique multiforme. Les recettes pétrolières ne suffisent plus à masquer les déséquilibres budgétaires, et l'économie hors hydrocarbures peine à émerger. Les mesures annoncées, bien que saluées par la presse officielle, apparaissent avant tout comme une tentative de réorientation stratégique contrainte par les faits. Le pouvoir algérien, souvent prompt à désigner des ennemis extérieurs pour fédérer en interne, semble désormais rattrapé par ses réalités domestiques : une jeunesse désabusée, une inflation persistante, une société civile muselée et une légitimité institutionnelle fragile. Après des mois à exporter la tension, Alger redécouvre l'urgence intérieure. Mais le réveil pourrait être tardif.