(Gėopoliticien) En politique intérieure comme en politique étrangère, ce sont les faits qui comptent. L'interprétation des faits est légitime, mais elle ne change pas grand- chose à la réalité. Les faits sont aussi têtus que bavards. Si en politique intérieure, la rectification des tirs peut produire des résultats positifs immédiats, ce n'est pas le cas en politique étrangère. La diplomatie aura beau se déployer pour corriger les anomalies, mais l'impact sur la politique étrangère globale peut prendre du temps sans qu'il soit acquis que le résultat soit au bout du tunnel. Si bien que le choix du langage diplomatique est une nécessité absolue. Il s'avère indispensable de confier la responsabilité de faire des déclarations solennelles aux professionnels de la communication familiers des méandres de la diplomatie quitte à travailler à gagner du temps pour y voir plus clair. De même que la détermination des priorités en matière de choix politiques et diplomatiques doit être réfléchie et ne pas céder à la précipitation ou à la surenchère. Il faut toujours laisser la porte ouverte à la négociation et au compromis, notamment pour ce qui est des questions vitales à la sécurité nationale. Il ne faut surtout pas que les divergences interpersonnelles entre les décideurs en matière de politique étrangère se répercutent sur l'échiquier diplomatique régional et international. Cette introduction est inévitable dans la mesure où son propos s'applique de manière criarde à la diplomatie de certains pays du Maghreb, notamment celles de l'Algérie, de la Tunisie, de la Mauritanie et de la Libye. Les quatre pays traversent respectivement une période de transition politique différemment appréhendée par les producteurs et les consommateurs des décisions sur les échiquiers politiques, sécuritaires et diplomatiques. Si pour les trois derniers pays, l'échiquier politique interne évolue en dents de scie, cependant avec une visibilité relative, dans le cas de l'Algérie cet échiquier alterne accélération et nervosité incompréhensibles pour tout observateur neutre. Preuve en est l'accélération du processus de débandade à tous les niveaux du système de prise de décision en politique étrangère, dont l'originalité est qu'il est contrôlé par des amateurs en matière de diplomatie. Ces acteurs amateurs ne sont pourtant pas des néophytes dans leurs domaines autres que diplomatiques. Ils sont dans les rouages de l'Etat algérien depuis des décennies déjà. Cela aurait pu été une bonne chose dans une structure étatique aguerrie et capable de s'adapter. Ce n'est pas le cas. La relation entre le système de prise de décision intranationale et le système de prise de décision en matière de politique étrangère est floue, incohérente et déroutante à la fois pour les observateurs et les décideurs eux-mêmes. Il en est ainsi des décisions se rapportant au Maroc aussi bien que celles concernant la réactivation des politiques d'alliances régionales révolues. Intransigeance daltonienne La saccade de décisions surprenantes à l'encontre du Maroc fait sourire. Les acteurs de la décision sont des adeptes de la précipitation et de la compétition dans le ridicule. Une suite de décisions qui intrigue tant les motivations sont tirées par les cheveux et l'objectif est imprécis. La précipitation est conditionnée par l'évolution de la question du Sahara marocain. Le Maroc se confirme dans la légitimité de sa cause. L'Algérie s'enferme dans une logique dépassée et refuse de reconnaitre que ses arguments n'ont plus l'aura de la guerre froide et encore moins n'enregistre plus la passivité (voire la complicité) de certains acteurs régionaux. Le vote de la résolution 2602 (29/10/ 2021), sonne comme une cloche d'enfer pour les décideurs algériens. La réaction de ces derniers, cueillis à froid, oscille entre l'incrédulité et le déni qui scellent une alliance de fortune pour orchestrer la fuite en avant dans l'hostilité endémique et l'agressivité diplomatique. Illustration en est la rupture des relations diplomatiques, l'interdiction du survol et d'atterrissage par des avions marocains ou portant pavillon marocain, le non renouvellement de l'accord sur le gazoduc Maghreb-Europe, le lynchage médiatique qui atteint des proportions jamais égalées dans les relations entre les deux pays, avec une seule ligne éditoriale dictée par la revue de l'armée algérienne dont l'insipidité laisse les promoteurs du ridicule bouche bée etc. Cependant, la réaction la plus saillante est le recours à la politique de refonte des alliances régionales en tentant de manipuler la Libye, la Tunisie et la Mauritanie. En fait la répétition de la méthode utilisée en 1983 pour imposer le fait accompli des frontières aux voisins tunisien, mauritanien, malien et nigérien. Ceci à la veille du retrait du Maroc de l'Organisation de l'Unité africaine en 1984. L'outil par excellence a été la manipulation de l'argent et de la menace à une époque où les pétrodollars faisaient et défaisaient les axes régionaux. Or, les temps ont changé. Même la recette magique de l'effacement de la dette ne fait plus mouche. La Tunisie tout d'abord, en paye le prix de manière qui laisse pantois. Une précipitation à entrer dans la mise en scène de l'abstention au Conseil de sécurité des Nations unies, à la suite d'un vote incompréhensible sous prétexte d'une neutralité empêtrée dans les contradictions (K. F. Sadni : 'Tunisie : de l'ambivalence à l'incohérence diplomatique', Maroc Diplomatique du 5/11/ 2021). De même, une douche froide d'apprendre que le prêt de 300 millions de dollars est assujettie à l'augmentation hypothétique des cours de pétrole sur le marché international. Une première conséquence, le budget 2022 est déjà en difficulté, car le prêt promis est intégré dans les prévisions budgétaires pour l'exercice 2022. Ensuite la Mauritanie qui ne sait plus à quel saint se vouer. Elle fait, elle aussi, les frais des promesses non tenues par une Algérie aux abois qui se trouve dans l'impossibilité de voir dans une boussole brouillée par 'une lecture Age de pierre' de la géopolitique. La Mauritanie temporise, joue sur le temps, mais peine à se dégager de sa perception ambivalente (certains diraient suspicieuse) à l'égard du voisin marocain. La Libye enfin, qui se cherche dans le tumulte des ambitions politiques tribales ou claniques des acteurs politiques et la voracité des ambitions hégémoniques des voisins et d'intérêts étrangers soucieux aussi bien de mettre la main sur les ressources énergétiques du pays que de contrôler l'espace sahélo-saharien, objet de fortes convoitises dictées par l'importance désormais avérée de l'Afrique subsaharienne. Intransigeance aveugle Parallèlement, l'Algérie s'efforce dans les coulisses de chercher des médiateurs avec le Maroc, tout en continuant à prétendre le contraire. Elle fait montre d'une souplesse de façade sans vraiment aller au-delà. Et pour cause, elle est limitée par le temps et bousculée par des échéances qui lui font broyer du noir. D'une part, la première tournée de Staffan de Mistura, nouvel Envoyé Spécial du Secrétaire général pour le Sahara, dont le mandat doit respecter les paramètres arrêtés par les résolutions du Conseil de sécurité depuis 2007 et surtout par la résolution 2602 qui confirme que l'Algérie est partie prenante sinon la principale partie dans le confit régional autour du Sahara marocain. Cette évidence-verité est clairement illustrée, il y trois semaines, par une déclaration d'un haut responsable à la Maison Blanche. D'autre part, le Sommet arabe prévu en principe à Alger en mars 2022. Les deux points sur lesquels la diplomatie algérienne table, en l'occurrence le retour de la Syrie au sein de la Ligue des Etats arabes et la question du Sahara marocain reçoivent une fin de non-recevoir malgré les analyses médiatiques commanditées par les décideurs algériens et les chimères d'une diplomatie bernée par des succès aléatoires remontant à quatre décennies déjà. Sur la question du Sahara marocain, il n'y plus rien à dire. En témoignent la déclaration du Conseil de Coopération du Golfe (14/12/ 2021, la Note de la Ligue arabe concernant la carte des pays membres (25/12.2021) , l'acheminement vers l'amendement de la Charte de l'Union africaine sur la question de l'admission et de l'expulsion des Etats membres et la saccade de la publication de la carte complète du Maroc dans ses frontières sans amputation des Provinces du Sud par des supports médiatiques et organisations régionales et internationales. Tout cela réconforte notre analyse sur la saga des cartes ((K. F. Sadni : 'Hantise des frontières, lignes imaginaires : le funambule à la carte aux abois', Maroc Diplomatique du 19/07/ 2021). La clarification récente de l'Allemagne sur la question du Sahara marocain (début janvier 2022) met fin à l'approche cavalière adoptée par Berlin lors de la reconnaissance par les Etats-Unis de la marocanité du Sahara en décembre 2020. Une position surprenante suivie ou motivée par des études prospectives de certains centres de décisions sur la nécessite de neutraliser le Maroc pour ne pas répéter l'erreur commise d'avoir laissé la Turquie émerger aux frontières occidentales de l'Europe (K. F. Sadni : 'Allemagne-Algérie : réinvention laborieuse des coups marchandages-attention-quémandée', Maroc Diplomatique du 17/08/ 2021). Mythe de la caverne et leçon du puits L'observateur impartial est désormais convaincu que les décisions diplomatiques prises depuis des mois par le gouvernement algérien répondent à une seule logique, celle de la lutte pour le pouvoir. La lutte pour le pouvoir oppose une institution militaire imperméable au changement à la tête de laquelle trône une oligarchie qui n'a plus les moyens de la mystification dont elle était artificière et 'un pouvoir civil' qui a la nostalgie des années 1960-1970 durant lesquelles le culte de la personnalité était une réponse aux attentes des acteurs des premières années post-indépendance qui ont fini par se neutraliser par (et dans) la violence. L'Algérie, excuse faite de l'analogie obligeant, n'est pas seulement dans l'embarras, elle est dans de sales draps. Si le logiciel de la guerre froide est brouillé, elle continue de subir la vague du surf politico-sécuritaire. Il ne se passe pas un jour sans que les appels à la guerre contre le Maroc retentissent comme un rituel incontournable. Si des observateurs doutent de l'éventualité d'une guerre conventionnelle à l'initiative de l'Algérie, ils n'en écartent pas moins le recours à une confrontation limitée pour permettre à l'institution militaire de se dédouaner devant une opinion publique remontée contre le voisin de l'ouest : ce Maroc 'incorrigible' qui veut voler de ses propres ailes en laissant l'Algérie (et les autres) sur le carreau. Eventualité de la guerre certes, mais qui est battue en brèche par un constat éloquent : l'armée algérienne n'a jamais fait de guerre auparavant. Même l'amendement de la constitution adoptée en 2020 pour permettre le déploiement de cette armée en dehors des frontières a été motivé par la situation sécuritaire dans la bande sahélo-saharienne à la suite d'un arrangement avec la France qui semble avoir fait long feu. Reste la manipulation d'agents interposés. Le Polisario, bien sûr, mais aussi les réseaux du crime organisé. Là aussi, les militaires algériens manquent de lucidité. Ils devraient pourtant comprendre que l'on ne peut plus gagner une guerre, dont l'enjeu est territorial, par la guérilla ou par le déploiement de groupes terroristes ou des mercenaires à la carte. L'espace Afrique du Nord et Afrique subsaharienne est d'une importance stratégique telle que le paradigme du 'désordre créatif' ne peut y être exécuté. A l'opposée, le recours à des societés privées de mercenaires -ou la coopération avec des bras armés ou organisations paramilitaires inféodés à des Etats- est une arme à double tranchant. Et dans le cas d'espèce, ce recours ne peut que miner la cohésion intranationale de l'Algérie. Ce pays est épinglé par des organisations financières internationales qui lui prédisent un avenir sombre. Des médias occidentaux ne sont pas en reste. C'est ce qui explique l'ire des décideurs algériens qui voient des comploteurs dans tous les coins de rue qui seraient à la solde des détracteurs de la révolution algérienne (sinon jaloux que l'Algérie ait remporté la coupe arabe de football, le 18 décembre 2021 à Doha). Les décideurs algériens ripostent, multiplient les déclarations, tentent de tétaniser une opinion publique qui ne les prend plus au sérieux. Outre des informations inventées par les d'organes de presse proches du centre unique de décision sur les réalisations économiques du pays et sur la misère hypothétique des voisins, il y a le recours à des influenceurs algériens et arabes sur les réseaux sociaux. Comble de désespoir ni les uns ni les autres ne font plus mouche. Alors, on fait appel à des lobbyistes en Europe et aux Etats-Unis pour redorer le blason d'un pays qui chemine vers l'abime comme les institutions financières internationales le disent sans sourcils froncer. Les décideurs algériens seraient-ils assez inspirés pour faire de même pour revenir à de meilleures dispositions ? Rien n'est moins sûr. Preuves en sont les sorties de certains limiers de la diplomatie montgolfière qui se plaisent dans le non-sens. Ils ont l'impression de voler dans le ciel et contrôler le sol par un engin destiné a la promotion touristique à l'ère des satellites d'observations nouvelle génération. De la myopie géopolitique et du strabisme diplomatique qui n'en finissent pas de faire des dégâts –surtout sur l'échiquier politique intranational. Le mythe de la caverne rejoint la leçon du puits contenue dans un proverbe subsaharien selon lequel 'celui qui gît au fond d'un puits ne voit qu'une partie du ciel.' Un pays, dont le Haut Conseil de sécurité est en réunion continue -notamment depuis fin 2020- est un pays dont les décideurs voient rouge et ne savent plus où donner de la tête. Ils cherchent ardemment à faire porter le chapeau à des boucs émissaires. Des têtes vont continuer à tomber, mais les problèmes seront toujours là, car en politique intérieure comme en politique étrangère, ce sont les faits qui comptent et non pas la culture du bluff. Avec MAP