Par Taoufiq Boudchiche, Economiste et ancien fonctionnaire international Discours politique extrémiste à droite, faut-il préférer l'original à la copie ? Jean Marie Le Pen, qui a incarné pendant des décennies l'extrême droite française, avait coutume lors de ces interviews de répliquer, qu'il préférait l'original à la copie, à ceux qui reprenaient ses thèmes électoraux de prédilection autour des sujets de l'immigration, de la perte d'identité française ou encore du déclin de la nation française. Une manière de signifier à l'opinion publique qu'il était mieux placé que n'importe qui de ses adversaires politiques pour parler de ses thèmes et pour proposer les solutions radicales à ce sujet. Arrêt de l'immigration, renvoi des immigrés chez eux, restauration de la grandeur française de l'époque coloniale... Jean Marie le Pen a plus ou moins fini sa carrière politique sans que ses recettes n'aient jamais convaincu les français. Ses idées partiellement reprises par ses héritiers spirituels et/ou politiques ne manquent pas. Et, parfois au-delà de son cercle de pensée, nourrissant le fantasme de l'extrême droite française d'une France repliée sur elle-même, sans migrants, sans arabes, sans musulmans, sans africains, et si possible, sans juifs. Bref sans vouloir faire un jeu de mots une France sans Histoire, sa grande Histoire, avec un grand H. Des discours qui heurtent la mémoire collective française de l'après guerre Mais ces discours à forte connotation démagogique, en s'adressant au peuple intelligent et éduqué de France, ont toujours souffert aux yeux de l'opinion publique française, d'un manque de crédit politique. En effet, ils ne correspondent pas à l'histoire de la France d'après guerre et de la France postcoloniale. Cette France, qui préfère tourner la page des mauvais souvenirs de la collaboration avec les nazis ou encore ceux non moins désagréables de la France coloniale, avec à son apogée, la sale guerre d'Algérie avec tous les relents racistes et les divisions qu'elle avait généré dans la mémoire collective française. La France de l'après guerre préfère honorer le Général de Gaulle qui a rendu à la France sa grandeur et sa dignité, Valéry Giscard d'Estaing qui a séduit les français par sa modernité et son souci de gouverner la France au centre comme il plaisait à le répéter, ou François Mitterrand qui a réussi l'exploit d'amener victorieusement en 1981 au pouvoir la gauche française incluant les communistes Un intrus dans la scène politique du nom d'Eric Zemmour Mais voilà aujourd'hui qu'un intrus, s'appelant Eric Zemmour, est venu jouer le trouble-fête dans la perspective de la campagne électorale. Jouissant d'une notoriété médiatique tout en manoeuvrant avec une certaine habileté soi-disant intellectuelle et d'une culture historique genre « wikipedia » fascine la bonne ménagère et séduit dans les chaumières de France en reprenant les thèmes de l'extrême droite à la « sauce zemmourienne ». Une idéologie extrémiste, voire radicaliste, « intellectualisée » et plus ou moins « stylée » au gré des audiences par des communicants aguerris mais dont les ingrédients sont constitués d'un mix « droite-extrémiste-droite-colonialiste-souverainiste et identitaire», sous les oripeaux aux faux-semblants intellectuels. Grisé par son succès médiatique, Monsieur Zemmour, pense se présenter à la Présidence de la France. Il s'essaie du moins testant sa popularité avant de se lancer dans l'arène. Mais pourquoi faire. Interdire les prénoms musulmans, renvoyer illico 2 millions de d'immigrés dans leur pays d'origine mettre les musulmans au banc de la société... Un discours « Trumpiste » sans néanmoins le « punch trumpien », auquel il aime se comparer pour surfer sur le « populisme nauséabond » ambiant. Non, Monsieur Zemmour, ajouter de la haine, même « rationalisée et conceptualisée », à la confusion de l'électeur, ne forge pas une bonne réponse politique. Zemmour ou l'insulte au génie culturel français ; insécurités, migrations, radicalisations...d'abord des phénomènes mondiaux Tous les pays qu'ils soient riches et pauvres, sont confrontés aux phénomènes de la migration, de l'insécurité, de la menace terroriste, de la radicalisation religieuse et politique... phénomènes contemporains universels et dont les réponses politiques à ces défis préjugent de la qualité des dirigeants et de leurs politiques. Ce sont des réponses mondiales d'abord qu'il faudrait installer avec audace et résolution où chaque pays doit y contribuer, selon ses moyens, et si possible, selon son génie culturel. Fonder une vision de la grandeur de la France sur l'exclusion de ceux que vous considérez comme réfractaires à l'assimilation ne pourrait fonctionner. Les dirigeants Français qui l'ont faite grandir aux yeux du monde, l'ont réalisé par une « culture humaniste ouverte » sur le monde en apportant sa propre touche de distinction. Cela, tout en reconnaissant et en valorisant la grandeur des autres cultures. André Malraux fort heureusement est passé par là. D'autres l'ont suivi comme Jack Lang. Monsieur Macron l'avait compris et exprimé comme tel face aux français lors de sa confrontation avec Marine Le Pen. IL avait notamment affirmé, qu'il souhaitait incarner la « France des lumières » en lieu et place d'une « France repliée aux relents xénophobes ». Stop à la démagogie sur l'immigration et sur l'Islam Monsieur Zemmour, essayez de réviser également vos préjugés servis dans les plateaux de télévision. Plus de 60 % des migrations africaines est d'abord interne à l'Afrique. D'autre part, selon plusieurs études, qui appréhendent globalement le phénomène migratoire, l'immigration contribuerait à accroître le PIB de des pays d'accueil du simple fait d'un accroissement de la demande intérieure. Par ailleurs, les économistes qui se sont penchés sur la question, selon des approches multidimensionnelles, convergent sur son impact plutôt positif (population jeune, contributions en termes de cotisations sociales, création d'entreprises, attraction de talents étrangers...). Ceux-là on en parle peu. Et surtout, l'immigration comble, le vieillissement des populations, finance leurs retraites et compense les déficits de main d'œuvre et d'emplois dans plusieurs secteurs vitaux. La dette de sang de la France envers ses étrangers Lors de la grave crise sanitaire et en plein confinement, médecins dans les hôpitaux, infirmiers, aides soignants, et employés de première ligne, comme les caissiers, les vendeurs de commerce et de supermarchés, les livreurs, les services municipaux d'hygiène, dont une bonne partie sont des immigrés ou enfants d'immigrés ont contribué à faire tourner la France. Le gouvernement a reconnu leur précieuse contribution en naturalisant par exemple plus de 18 000 étrangers travaillant dans le secteur de la santé. Cela sans se référer à l'histoire et à la dette de sang de la France envers les dizaines de milliers de goumiers, zouaves et autres soldats issus de populations étrangères qu'on est allé chercher sur leurs terres natales pour contribuer à libérer la France, ou se battre en Indochine, et dans d'autres batailles de France. Un film intitulé « Indigènes » avait consacré à l'écran les sacrifices consentis par les milliers d'étrangers qui se sont enrôlés volontairement dans l'armée française et tombés sur les champs de bataille lors de la seconde guerre mondiale. Rares sont les familles au Maghreb et en Afrique francophone qui n'ont pas un parent, un oncle, un frère parmi ceux –ci. Monsieur Zemmour ignore t-il « le droit à la réciprocité » en diplomatie La France n'est pas une île isolée. Elle profite du système mondial, elle est présente dans des terres lointaines d'Outre Mer dans le pacifique, en Afrique australe, dans les Antilles... ses citoyens ne sont pas tous chrétiens et blancs comme le souhaiterait Monsieur Zemmour. Ses entreprises nouent des partenariats à travers le monde et seraient en difficulté si une politique d'exclusion culturelle serait conduite en métropole. La réciprocité, bien connue comme mécanisme en diplomatie, pourrait intervenir en représailles. Ce sont là quelques arguments qui contrecarrent par le simple bon sens les discours démagogiques d'exclusion fondés sur la division et la haine. Les français ont besoin d'être rassurés plutôt que manipulés autour de leurs angoisses sécuritaires et sociales. On me rétorquera certainement que cette argumentation relève du discours « immigrationniste et mondialiste » de plus en plus rejeté par l'opinion publique. Le simple rejet ne fait pas non plus une bonne réponse politique. Monsieur Zemmour, essayez d'innover et de rechercher dans l'histoire de France, les bons ressorts culturels qui l'ont grandie aux yeux du monde et sortie de tant de crises traversées sinon vous ne serez que la pâle copie de l'original et partant un candidat éphémère. Un disque bien rayé. Le débat est ouvert.