Le monde entier se penche progressivement sur cette source d'énergie encore peu connue, il y a quelques années, et qui devrait révolutionner le paysage énergétique mondial. Pour certains spécialistes, il s'agirait même du pétrole du XXIe siècle... Qu'est-ce qui explique donc une telle ruée vers l'hydrogène ? Le Maroc dispose-t-il des moyens humains et matériels pour relever le défi ? MAROC DIPLOMATIQUE fait le point avec Adil Gaoui, Président de l'Association marocaine pour l'Hydrogène et le Développement durable (AMHYD) et Directeur Fondateur de l'Institut marocain de l'Hydrogène et de la Pile à Combustible (IMHYPAC). MAROC DIPLOMATIQUE : Quelle analyse faites-vous de l'évolution du secteur énergétique au Maroc et qu'en est-il de la feuille de route ? – Adil Gaoui : Le Royaume a enregistré de sérieuses avancées dans le secteur de l'énergie, notamment les énergies renouvelables et à leur tête le solaire et l'éolien. Au point d'être cité en exemple en matière de promotion et d'investissement dans les énergies renouvelables par la Directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), Inger Andersen, à l'occasion de la présentation d'un nouveau rapport majeur des Nations unies sur l'environnement. La feuille de route du secteur énergétique au Maroc inclura inéluctablement l'industrie hydrogène comme solution stratégique de stockage de l'énergie et solution inévitable pour contrer l'intermittence connue dans le secteur des énergies renouvelables. MD : Le Maroc deviendra-t-il le champion mondial en hydrogène ? – A.G : Le marché de la mobilité hydrogène est actuellement en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Le Maroc a une chance inouïe de pouvoir mettre son soleil et son vent dans des réservoirs et des canalisations afin de l'exporter par pipe-lines, par bateau ou même par transport terrestre vers le marché européen. Les avancées du Royaume chérifien en termes de production d'énergies solaire et éolienne, lui donnent tous les atouts nécessaires afin de se placer dans le peloton de tête du marché de l'hydrogène. Néanmoins, nous ne devrions pas nous contenter de produire de l'hydrogène dans l'objectif unique de l'exporter vers les marchés consommateurs. Nous nous devons aussi de créer un marché hydrogène local pour la mobilité verte et surtout pour la production de l'ammoniac permettant à nos phosphates de se valoriser en produisant des engrais. L'autre filière sur laquelle le Maroc devrait aussi se positionner est la production industrielle des piles à combustibles (PAC) permettant de transformer en énergie électrique l'hydrogène produit et stocké dans des réservoirs embarqués, pour une mobilité verte ayant comme seule émission de la vapeur d'eau et de la chaleur. Le Maroc a sans aucun doute tous les atouts pour prendre des parts de marché considérables dans l'industrie hydrogène. MD : Quels sont les projets en perspective ? – A.G :Le Maroc a signé avec l'Allemagne un MoU (mémorandum of understanding) afin de bénéficier d'un financement européen pour la mise en place d'une unité de production de l'hydrogène au Maroc en vue de son export vers l'UE. L'autre chapitre de ce MoU est le développement d'une plateforme commune de recherche et développement pour la filière hydrogène. Ce projet, piloté côté marocain par MASEN pour l'unité de production et par IRESEN pour la R&D, servira de fer de lance afin d'encourager les opérateurs privés à investir dans ce secteur. Au niveau mondial, les investissements dans le secteur de l'hydrogène, étant encore très conséquents financièrement, s'opèrent par des Consortiums co-investissant dans des démonstrateurs. En Europe, la Commission européenne a créé Fuel Cells and Hydrogen Joint Undertaking (FCH JU), un partenariat public-privé unique qui soutient les activités de recherche, de développement technologique et de démonstration pour la filière hydrogène. Son objectif est d'accélérer l'introduction sur le marché de ces technologies, en réalisant leur potentiel en tant qu'instrument pour parvenir à un système énergétique zéro carbone. Chaque année, des projets sont subventionnés afin d'encourager l'installation pérenne d'un marché vert pour l'énergie. L'Association marocaine pour l'Hydrogène et le Développement durable (AMHYD) a pu faire intégrer le Maroc comme premier membre non européen à Hydrogen Europe, une association, regroupant près de 400 acteurs du secteur de l'hydrogène, industriels, associations nationales et entités de recherche. Hydrogen Europe est basée à Bruxelles et travaille de concert avec la Commission européenne via le FCH JU. MD : Le Maroc dispose-t-il des ressources nécessaires pour relever ce défi ? – A.G : l'avantage d'une industrie verte comme pourrait l'être l'hydrogène est de pouvoir produire un vecteur d'énergie en partant d'énergie solaire, éolienne ou encore hydraulique ou biomasse par le simple procédé d'électrolyse de l'eau (séparation de la molécule d'eau H2O en hydrogène H2 et en oxygène O2). La ressource en eau étant un élément central dans ce process, la réutilisation des eaux usées ou encore l'usage de la désalinisation de l'eau de mer constituent des solutions inévitables pour ne pas abuser de l'usage de l'eau potable. Avec les énergies renouvelables dont dispose le Maroc et la côte atlantique et méditerranéenne connaissant déjà des projets en démarrage sur la désalinisation de l'eau de mer, notre pays est en mesure de relever le défi de production en masse de l'hydrogène. Cet objectif de production de l'hydrogène vert ne devrait pas nous faire oublier l'autre objectif stratégique de lancer une industrie forte de production des piles à combustible et par la même occasion réconforter les avancées déjà enregistrées par le secteur automobile et de mobilité verte. MD : Que préconisez-vous ? – A.G : Au sein de L'AMHYD, nous souhaiterions que le Maroc renforce son positionnement déjà stratégique sur les énergies renouvelables en adoptant, sans délais, l'industrie hydrogène créatrice d'économie locale et d'emplois locaux. En effet, le Royaume a tellement souffert du manque de ressources naturelles comme le gaz et le pétrole. Avec l'hydrogène, nous avons une opportunité inouïe de cibler l'autonomie énergétique à travers la mer, le soleil et le vent. Nous préconisons que le rôle du Maroc soit, non seulement, sur le vecteur de la production de l'hydrogène, mais aussi et surtout un positionnement sur la filière de production des piles à combustible. Au niveau de la coopération internationale, nous devrions aussi aller chercher les avancées japonaises, australiennes et américaines dans le domaine et ne pas se contenter du seul partenariat européen. De grands efforts sont à déployer sur la préparation du capital humain capable de suivre cette révolution énergétique. En formant les cols bleus et les cols blancs capables d'assurer la production, et en développant des profils de chercheurs à la pointe des avancées technologiques que connaît l'industrie hydrogène à travers le monde. Le continent africain a tellement besoin de pionnier régional, que pourrait devenir le Maroc, afin de lui assurer l'expertise et l'accompagnement nécessaires pour électrifier les villages isolés difficiles à raccorder aux réseaux électriques. MD : Avons-nous les compétences humaines pour relever un tel défi ? Quid des opportunités d'emploi ? quelles branches doivent être précisément ciblées? – A.G : la Supply Chain hydrogène est très étendue. Cela commence en effet par les producteurs, en passant par les stockeurs et les transporteurs distributeurs, pour arriver aux usagers finaux. Les acteurs actuels du secteur énergétique pourraient tous intégrer la filière y compris les pétroliers qui auront l'opportunité de distribuer de l'hydrogène pour la mobilité sur l'ensemble du réseau des stations-services. Certains parmi eux proposent déjà de l'hydrogène sous différentes pressions aux côtés des bornes essence et gasoil. L'AMHYD organise et anime des séminaires au profit de ses membres universitaires. Des institutions prestigieuses, comme l'Ecole centrale de Casablanca, ont programmé des cours sur la filière hydrogène dans le programme de formation du cycle ingénieurs. L'Ecole Hassania des ingénieurs (EHTP) ou encore l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) de Benguerir travaillent aussi sur des sujets de recherche relatifs à l'hydrogène. Il est en revanche crucial de préparer dès maintenant des ressources humaines qualifiées parmi les cols bleus (type OFPPT : opérateurs, techniciens et techniciens spécialisés) et les cols blancs (type université et école d'ingénieurs : middle management et cadres) afin de doter le Maroc de main-d'œuvre qualifiée pouvant répondre aux attentes des marchés et aux applications diverses et variées dans le transport terrestre, les applications stationnaires industrielles, les applications marines, ferroviaires ou encore spatiales et aéronautiques.