L'administration Biden chercherait à « remettre les compteurs à zéro » dans ses relations avec les Palestiniens, et ce, dans le cadre d'un plan dévoilé par le média émirati The National, le 17 mars 2021. Ce dernier aurait eu accès à une note de quatre pages intitulée « The US Palestinian reset and the path forward » (« la réinitialisation américano-palestinienne et la voie à suivre »). Que comprend ce document ? Et qu'est-ce que cela implique concrètement ? MAROC DIPLOMATIQUE a tenté de décrypter cette nouvelle, avec Mohamed Badine El Yattioui, chercheur à l'Université Américaine des Emirats (AUE) à Dubaï. Elaboré par le secrétaire d'Etat adjoint aux affaires israélo-palestiniennes Hady Amr et son équipe, ce document interne auquel auraient eu accès plusieurs sources dont le média émirati The National, décrirait les contours des futures relations entre l'Autorité Palestinienne et les Etats-Unis. Un « pré-projet » précise El Yattioui, qui viserait donc à renouer des relations qui s'étaient tendues entre les deux, durant le mandat de Trump. Ce « pré-projet » n'est toutefois pas encore validé au plus haut niveau, nuance le chercheur, « Il doit être approuvé par Biden... plusieurs départements doivent également donner leur aval, en raison des considérations financières (le Trésor aura son mot à dire) et stratégiques (la Défense aussi) et le Secrétariat d'Etat de Blinken. » Les contours de ce projet Ce plan évoquerait, entre autres, selon les informations dévoilées par le média émirati, un retour en arrière sur plusieurs décisions qui ont été prises par Donald Trump, et qui auraient favorisé l'installation de colonies israéliennes en Cisjordanie, entravant ainsi tout espoir de solution à deux Etats. Parmi les priorités de la nouvelle administration, l'objectif donc d'une solution à deux Etats, comprenant les frontières de 1967. Pour El Yattioui, « il ne s'agit encore que d'un projet, mais qui va dans le bon sens pour les Palestiniens puisque l'on évoque les frontières de 1967. Cela signifierait l'existence d'un véritable Etat palestinien, ce que Trump avait quasiment nié puisqu'il apportait un véritable soutien à la colonisation des terres en Cisjordanie, dans la mesure où il flattait l'électorat de Netanyahu... on se dirigerait alors à présent vers un rééquilibrage des relations dans ce pré-projet. » Par ailleurs, la proposition de l'administration Trump pour la paix, son « Deal du siècle », avait recueilli des critiques, pour son caractère favorisant davantage les demandes de la partie israélienne plutôt que palestinienne, dont la non-reconnaissance de Jérusalem Est comme capitale palestinienne. « Dans le même temps, nous [les Etats-Unis] souffrons d'un manque de tissu conjonctif à la suite de la fermeture en 2018 du bureau de l'OLP à Washington et du refus des dirigeants de l'Autorité palestinienne de s'engager directement avec notre ambassade en Israël » poursuivent les auteurs du document, qui reconnaissent également des disparités croissantes entre Israéliens et Palestiniens. Ainsi, la nouvelle équipe américaine « adoptera une double approche pour maintenir et idéalement améliorer la relation américaine avec Israël en approfondissant son intégration dans la région tout en réinitialisant les relations américaines avec le peuple et les dirigeants palestiniens ». Ce nouvel élan s'appuie enfin sur le retour de l'aide humanitaire par l'intermédiaire du mécanisme UNRWA (Nations Unies et de l'Agence mondiale pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) dont la contribution américaine avait été suspendue par le Républicain. « Nous prévoyons une gamme complète de programmes d'assistance économique, sécuritaire et humanitaire. Avant le lancement plus complet, nous prévoyons d'annoncer 15 millions de dollars d'aide humanitaire liée à Covid », ajoute la note consultée par The National. Un contexte politique particulier pour les Israéliens et les Palestiniens « Alors que nous rétablissons les relations des Etats-Unis avec les Palestiniens, le corps politique palestinien est à un point d'inflexion alors qu'il se dirige vers ses premières élections en 15 ans » écrit The National qui cite cette fameuse note interne. En effet, cette volonté de restaurer les relations entre les deux intervient dans un contexte politique particulier. Notre intervenant, nous rappelle l'approche des élections en Israël et en Palestine qui « font peur non seulement à Abbas mais aussi à l'Occident en général car on ne sait pas encore qui va lui succéder, et le risque que le Hamas, ou un candidat avec une ligne plus dure même au sein du Fatah, gagne les élections, n'irait pas dans le sens des Etats-Unis ». C'est donc l'occasion pour Biden d'améliorer les relations à travers notamment certains financements coupés par Trump, et de conforter la ligne pro-Abbas, qui est plus « conciliante à l'égard d'Israël, surtout si nous avons un candidat du Hamas plus vindicatif, ce qui ne conviendra ni à Biden ni à Israël ». En Israël, il n'est pas sûr non plus que Biden veuille que Netanyahu soit réélu, il pourrait préférer un dirigeant plus modéré et qui prend les devants en tendant la main aux Palestiniens via différents mécanismes, estime El Yattioui. Dernière variable internationale à ne pas négliger ajoute notre intervenant, il s'agit des relations entre Israël et la Jordanie qui sont très tendues actuellement. En effet, dernièrement, une succession de visites des dirigeants ont été annulées, paralysant ainsi les relations entre les deux. Ce sont donc deux alliés régionaux de Biden qui sont en froid. « Le Roi de Jordanie a plutôt été concilient avec Trump il se dit que peut-être avec Biden c'est le moment d'avoir des relations plus dynamiques... » Les US ont-ils la clé de la solution à ce conflit ? Pour El Yattioui, à eux seuls, les Etats-Unis ne pourront résoudre le conflit, mais ce dernier ne peut-être non plus résolu sans eux car il s'agit d'un acteur clé de la solution finale. « La solution finale, à savoir l'élaboration de deux Etats, ne peut se faire qu'avec l'aide des Etats-Unis car seul un président américain pourrait mettre la pression sur les dirigeants israéliens pour qu'ils acceptent certains compromis ». Cela a déjà été le cas par le passé nous rappelle-t-il, avec Obama bien que son acte ait été d'ordre symbolique à la toute fin de son mandat, ou encore lors de la signature des accords de Camp David entre l'Egypte et Israël sous la médiation de Carter. On se rappelle également du rôle de Clinton lors des accords d'Oslo entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin et bien évidement de la politique menée par Trump, qui voue un soutien inconditionnel à Netanyahu et au Likoud. Au fur et à mesure des administrations, les présidents américains ont donc essayé de mettre en place des accords entre Israël et des pays arabes. Ils possèdent alors une des clés, mais pas toutes car il s'agit d'un sujet complexe qui dépend de différents facteurs. En somme, il s'agit d'un pré-projet non validé encore par Biden, résume El Yattioui, selon qui, il faut interpréter cette information avec grande prudence. S'il est vrai que certains paramètres internes et externes peuvent faire pencher la balance en faveur de ce plan, comme une volonté de satisfaire l'aile gauche du parti, plus pro-palestinienne que lui, « Biden et son équipe la plus rapprochée pourront encore ajouter leur touche et retirer certains éléments ». Il faudra donc rester attentif, et voir si ce projet se concrétise, le relire et savoir à quoi il ressemblerait, ajoute le chercheur, « est-ce qu'il ne sera pas tellement amendé par les différents départements, qu'il perdrait de sa substance par exemple ».