Au Maroc, le mariage coutumier se poursuit à un pourcentage élevé. La société civile le considère comme une faille juridique utilisée de manière abusive et demande l'annulation de l'article 20 du Code de la famille. Mais, pourquoi autant de mal à interdire fermement ces mariages ? 16 ans après l'adoption de la nouvelle Moudawana, le mariage précoce continue de sévir dans la société marocaine, en dépit des efforts consentis pour y mettre fin, à travers les campagnes de sensibilisation et le militantisme de la société civile dans ce sens. Chiffres à l'appui. Les conclusions de l'étude nationale sur le mariage des mineures, réalisée par un collectif d'associations, montrent que le mariage précoce dans la région du grand Casablanca a augmenté de 19,86%. Tandis qu'au niveau national, le mariage coutumier est de 13% dans les zones rurales, contre 6,6% dans les zones urbaines. Toutefois, les bilans officiels ne révèlent pas clairement l'évolution de la situation. Selon les chiffres du tribunal de première instance des affaires sociales de Casablanca, 273 demandes ont été enregistrées cette année jusqu'à fin septembre, dont 51 seulement ont été acceptées, et 149 demandes ont été rejetées, et les autres demandes sont encore au stade d'instruction et de recherche sociale. Ce qui représente un recul par rapport à l'an dernier. En 2019, ce tribunal de la capitale économique a reçu 709 demandes, dont 252 ont été entérinées et les autres demandes rejetées. Rappelons que l'application des articles 20 et 21 du Code de la famille, qui stipulent que le juge chargé du mariage peut l'autoriser avant l'âge de la capacité matrimoniale par décision motivée et avec l'approbation du représentant légal, laisse un large pouvoir discrétionnaire aux juges. « chaque mariage d'une fillette de moins de 18 ans est un mariage précoce de trop » Une tendance vers la baisse ou vers la hausse ? Selon docteur Chakib Guessous sociologue et anthropologue, « Il y a une nette tendance vers la baisse et c'est aussi grâce au travail que fait la société civile sur le terrain pour que les parents ne marient pas leurs fillettes », nous confie ce médecin, qui travaille depuis longtemps sur l'évolution de la société traditionnelle marocaine. « Ceci dit, chaque mariage d'une fillette de moins de 18 ans est un mariage précoce de trop, parce qu'il aura des conséquences sur sa scolarisation, sa socialisation, sa santé, etc. », commente notre source, qui considère que le Maroc est sur la bonne voie, mais que ce n'est pas suffisant, du moment qu'un certain nombre de mariages précoces continuent d'exister. À en croire le docteur Guessous, « nous avons réalisé des progrès cette dernière décennie, mais nous n'avons pas encore observé les effets chiffrés sur ce phénomène ». De l'aveu même du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui avait émis l'an dernier une note sur cette problématique, indiquant que « la pratique du mariage des enfants, encore largement répandue dans notre pays, demeure une véritable entrave au développement et engendre de graves conséquences sur la santé mentale et physique des enfants, en limitant leurs chances de s'autonomiser économiquement et culturellement ». « plus les filles seront scolarisées, plus le nombre de la proportion des mariages des mineurs va baisser » Par ailleurs, les statistiques du ministère de la Justice indiquent que le nombre des demandes de mariage de mineures qui ont été acceptées s'élève à environ 319.177 entre 2009 et 2018. Les « causes profondes » de cette pratique sociale pour Dr Guessous sont le plus souvent liées à « la tradition, la pauvreté, l'absence de l'éducation ou de l'occupation professionnelle de la jeune fille ». Incompatibles avec les conventions internationales, ces pratiques traditionnelles néfastes sont intimement liées au taux de scolarisation, selon Dr Guessous, « plus les filles seront scolarisées, plus le nombre de la proportion des mariages des mineurs va baisser ». On comprend de là que la seule voie qui existe pour que le Maroc éradique ce fléau reste la scolarisation des jeunes filles. D'ailleurs, grâce à la généralisation de la scolarisation au niveau primaire, on n'a plus de fillettes de 12 ou 13 ans qui se marient, alors qu'il y a 20 ans cela existait encore, mais le problème est que nous n'avons pas encore réussi à généraliser la scolarisation du niveau secondaire, « quand nous y arriverons, on aura de moins en moins de mariages des fillettes de 15 ans », nous dit-il. Mais, pourquoi autant de mal à interdire fermement ces mariages ? « Le juge pourrait considérer dans certaines situations qu'il vaut mieux que la jeune fille soit mariée, notamment en cas de grossesse hors cadre conjugal, que d'être responsable d'un éventuel avortement », explique notre source. Toutefois, depuis 2004 à aujourd'hui, « il y a une évolution notable dans l'application de la loi, même en cas d'exception, les juges n'autorisent plus le mariage des fillettes de 14 ou 15 ans, aujourd'hui, la majorité de ces filles qui passent par le juge ont dépassé 17 ans », renchérit-il. Mais, là où le bât blesse, c'est que certaines familles continuent de marier leurs filles par la fatiha et comme il n'y a pas de contrôle, difficile de mesurer l'ampleur de cette situation. D'après l'étude nationale sur le mariage des mineures au Maroc, le mariage précoce avec la Fatiha (sans passer par l'acte écrit) représente 10,79%, indépendamment de toute reconnaissance légale. Cependant, ce sujet continue de diviser, même au niveau de la classe politique. Les partis politiques ne sont jamais arrivés à accorder leurs violons, chacun continue à camper sur ses positions. Par exemple, le PJD prônait un mariage des mineures à 16 ans, présenté comme solution médiane. Tandis que le PPS voulait opter pour le maintien de la capacité matrimoniale à 18 ans. Plaidoyer de la société civile La société civile a toujours été au front dans la lutte contre les mariages des mineurs. Cette fois-ci, elle ambitionne de supprimer les articles 20, 21 et 22 du Code de la famille, permettant au juge compétent d'autoriser le mariage avant l'âge légal fixé à 18 ans, en vue d'harmoniser la législation nationale avec la Convention internationale des droits de l'enfant. C'est ce qui ressort du mémorandum revendicatif du Collectif Dounia pour l'interdiction du mariage des fillettes, présenté ce mercredi 25 novembre, lors d'une conférence de presse à l'occasion du lancement officiel des actions du Collectif et dans le cadre des 16 jours d'activisme contre la violence basée sur le genre, qui se déroulent du 25 novembre au 10 décembre de chaque année. Le but de cette initiative est que tous les enfants puissent jouir de l'ensemble de leurs droits sans discrimination, notamment le droit à l'éducation et à la santé. Ce document met l'accent sur « l'importance de la contribution de l'Etat et de ses institutions à l'éducation de la société et toutes ses couches aux dangers qui peuvent résulter de la continuité du phénomène du mariage des mineures ». Dans le même registre, le collectif insiste sur la gratuité de l'enseignement et de la formation professionnelle obligatoire jusqu'à l'âge de 18 ans, ce qui permettra aux enfants de continuer à progresser et à développer leurs compétences avec lesquelles ils feront face à leur avenir économique et social. Composé de 10 associations, ce collectif considère par ailleurs que, » l'adoption d'une politique ou stratégie nationale globale pour éliminer le mariage des mineures au Maroc, qui englobe tous les secteurs concernés et faire de l'âge de 18 ans un acquis irréversible « , est une nécessité. Ces ONG appellent ainsi à la mise en place d'une nouvelle approche holistique qui prend en compte les aspects sociaux et économiques des familles dans diverses régions du Maroc, particulièrement dans les zones rurales et celles enclavées et aussi au sein des familles nécessiteuses et pauvres des zones urbaines. Enfin, ce « grand chantier sociétal » va nécessiter un effort conséquent pour élaborer des propositions pertinentes de manière participative avec les franges les plus larges et les plus représentatives possibles des porteurs de projets de progrès, en vue de trouver une solution à ce fléau.