Dossier Du mois La fin de l'année scolaire 2019-2020 était assez mouvementée, marquée par un bras-de-fer, sans précédent, entre les parents d'élèves et les écoles privées. Beaucoup de parents d'élèves menacent de migrer vers l'école publique. La situation remet sur table le débat sur la place du privé dans l'enseignement au Maroc. « Présentiel » et « distanciel » un couple de mots, qu'on n'entendait jamais avant la crise Covid, aujourd'hui, ils font couler beaucoup d'encre, entre le « niet » des parents pour le présentiel et le « niet » des écoles privées pour le distanciel. Le département de l'Education natioanle a fini par laisser libre choix aux parents d'élèves, par souci « d'égalité des chances » en termes d'accès à l'éducation, à travers la formule «distanciel-présentiel ». La décision du ministre, Saaid Amzazi, vise principalement, selon lui, à « prendre en considération les différentes situations et besoins des citoyens, hommes et femmes, et leur permettre de participer à la décision pédagogique ». Autrement, l'équation aurait été impossible à résoudre, surtout que les responsables des écoles privées avaient exprimé leur rejet formel de l'enseignement à distance pour cette saison, au vu de l'expérience pendant la période du confinement où de nombreuses familles avaient refusées de s'acquitter des frais de scolarité. Pour eux, l'enseignement à distance ne garantira pas des chances égales aux élèves et étudiants. C'est ce que pense aussi la Fédération Nationale des Associations de Parents d'élèves au Maroc, qui a souligné dans plusieurs communiqués que ce type d'enseignement « accentue le gap des inégalités des chances et des disparités sociales ». Ecoles privées-parents d'élèves : Je t'aime...Moi non plus ! On se souvient tous des images qui circulaient sur les réseaux sociaux des manifestations parentales quotidiennes devant les écoles. Il faut dire que la fin de l'année scolaire 2019-2020 était assez mouvementée, marquée par un bras-de-fer, sans précédent, entre les parents d'élèves et les écoles privées. Une qualité d'enseignement à distance qui n'était pas toujours au rendez-vous, des coûts supplémentaires (internet, matériel informatique...), des frais de scolarité du troisième trimestre invariables,... Tous ces éléments étaient à l'origine de la colère des parents. Le conflit entre les deux parties s'est traduit, des fois, devant la justice avec plusieurs plaintes déposées par les parents d'élèves contre les écoles de leurs enfants, qui refusent de réviser à la baisse les frais de scolarité. Alors qu'une enquête récente du HCP, a démontré que 34% des ménages se sont retrouvés sans aucun revenu en raison de la pandémie. Risque d'exode massif vers le public Déjà de nombreux parents d'élèves ont donc menacé de migrer massivement vers l'enseignement public. Alors que l'année dernière, 52.000 élèves ont quitté l'enseignement privé pour le public, bien avant la crise Covid, selon les chiffres fournis par Saaid Amzazi, en passage devant la deuxième chambre en octobre 2019. Il semble que l'engouement des Marocains pour les écoles privées recule de plus en plus. En 2019, 1,04 million d'élèves inscrits dans les écoles privées pour les trois niveaux de l'enseignement (primaire, collégial et secondaire) ont été recensés, soit 17% de la totalité des apprentis, d'après les derniers chiffres du département de l'Education. Un scénario impliquant le retour des écoliers au public pourrait être catastrophique pour le système en entier. Supposant que 20% seulement des effectifs du privé décident de migrer le public pour cette rentrée scolaire, qui s'annonce dans les prochains jours, cela représente tout de même plus de 200.000 élèves à accueillir ! On parle de plus de 400 établissements, sur la base de 500 élèves par établissement. Une mission impossible ! En plus du risque de contamination, un exode massif des élèves vers le système public pourrait saturer les capacités d'accueil de celui-ci et renouer avec le phénomène de massification au sein des classes, ce qui affectera considérablement la qualité des apprentissages scolaires. Face à la gronde provoquée autour des écoles privées durant la période de confinement, la situation a remis sur la table du débat la question de la place de l'enseignement privé dans le paysage éducatif marocain. Un malaise autour du système des écoles privées Car, il faut dire que cette place était vouée à avoir de plus en plus d'importance. En effet, et après les échecs successifs des différentes réformes, l'Etat avait fini par reconnaître que la réhabilitation de l'enseignement ne pouvait se faire sans une participation plus grande du secteur privé. « Il est temps que l'Etat lèvre le pied sur certains secteurs comme la santé et l'enseignement. Le rôle de l'Etat doit se limiter à assister les opérateurs privés qui veulent s'engager dans ces secteurs », annonçait déjà Abdelilah Benkirane en 2014 à l'occasion du 50e anniversaire de la Banque africaine de développement (BAD). Un positionnement qui peut surtout s'expliquer par le manque de ressources. Chaque année, la loi de Finances consacre, en effet, la part du lion au budget de l'enseignement (59,2 milliards de dirhams en 2018 et 68 milliards de dirhams en 2019) sans que cela ne se répercute sur la qualité de la formation. Pour briser ce cercle vicieux, le département de l'Education Nationale s'est tourné vers les Partenariat publics-privés (PPP). Déjà, l'ancien ministre Rachid Belmokhtar avait annoncé en 2015 que son département étudiait la faisabilité de tels partenariats pour l'éducation. Concrètement, il s'agissait de mettre des locaux publics d'enseignement désaffectés à disposition de certains groupes privés pour les gérer. D'un côté, cela permettrait de ne pas avoir à gérer les ressources humaines publiques déjà coûteuses et de l'autre, permettre le rehaussement de la qualité dans des régions ciblées. Remisés dans les tiroirs du ministère, ces projets pourront bien être remis au goût du jour, notamment avec la nouvelle loi 46-18 sur les PPP entrée en vigueur l'année dernière. Tout cela a attisé l'appétit d'investisseurs désirant se lancer dans de nouveaux secteurs, pour le coup très rentables. Toutefois, en 2014, l'ONU a attiré l'attention du Maroc sur les conséquences du développement rapide de l'enseignement privé en raison du « manque de supervision nécessaire concernant les conditions d'inscription et la qualité de l'enseignement dispensé ». Au niveau national, le Conseil supérieur de l'éducation (CSE) dans son rapport 2015, a lui aussi défendu la gratuité en estimant qu' « il est inconcevable de priver un citoyen d'enseignement pour des raisons matérielles ». Maintenant, quelques jours nous séparent de la rentrée scolaire 2020-2021 et la vision n'est pas encore claire autour du lien unissant les familles et les écoles privées, malgré les incidences de cette situation sur l'état de l'enseignement, d'où la nécessité de fixer déjà les tarifs de scolarisation et les frais d'inscription, d'assurance et de transport. D'ailleurs, le Conseil de la Concurrence est attendu sur ce sujet prochainement.