Les écrivains-journalistes et les institutions culturelles mexicains ont raflé la quasi-totalité des prix littéraires espagnols, symbolisant ainsi une sorte de ''Movida'' sur la scène culturelle au Mexique et un foisonnement de talents avides de reconnaissance outre-Atlantique. Par Rachid Mamouni Le dernier trophée espagnol remporté par un intellectuel venu du pays des Aztèques est le prix international du journalisme Roi d'Espagne, remis mardi dernier à Madrid, par le souverain espagnol à l'écrivain et journaliste mexicain Juan Villoro, en reconnaissance de sa contribution au rapprochement entre les peuples ibéro-américains. Juan Villoro, qui a failli trépasser dans le dernier tremblement de terre au Chili, a obtenu ce prix pour un article intitulé ''Tapis Rouge. Empire du narco-terrorisme'', paru en février 2009 dans ''El Periodico'' de Catalogne. Dans cet article, l'auteur dissèque l'actualité brûlante du phénomène ''polyédrique'' du narcotrafic dans son pays d'origine, dans un style de bonne facture où la ''rigueur'' du journaliste expérimenté le disputait à la ''clairvoyance'' de l'observateur averti. En 2009, le symbole de cette bonne étoile des mexicains dans le ciel littéraire ibère était sans nul doute le poète et écrivain Emilio Pacheco qui a aligné en l'espace de six mois, deux des prix les plus prestigieux des lettres hispaniques : Le Cervantès et la Reina Sofia. Le jury du Prix Cervantès, équivalent au Nobel dans le monde ibéro-américain, a voulu sacrer en Pacheco le ''poète exceptionnel'', qui a su créer un monde qui lui est propre et garder une ''distance ironique'' par rapport à la réalité qui l'entoure. Le prix Reina Sofia de poésie, l'un des plus importants de ce genre littéraire en Espagne et en Amérique Latine, a quant à lui été attribué à Pacheco, pour l'ensemble de son oeuvre poétique et son ''apport significatif au patrimoine culturel commun'' d'Espagne et du monde ibéro-américain. En avril dernier, un autre écrivain mexicain, Ignacio Padilla, a remporté le Prix ibéro-américain d'essai et de débat 2010, octroyé par la Maison d'Amérique (Casa America) à Madrid. Padilla, qui fait partie du mouvement littéraire mexicain appelé ''Crack'', a obtenu ce sacre pour un essai ''éblouissant'' intitulé ''l'ile des tribus perdues'', dans lequel il aborde les traditions littéraires du continent américain en utilisant une ''métaphore aquatique''. Il est le deuxième mexicain à recevoir ce prix après son collègue du mouvement ''Crack'', Jorge Volpi, lauréat en 2009. La récolte des trophées espagnols a continué avec l'octroi du Prix ''Prince des Asturies 2009'' (catégorie communication et sciences humaines) à l'Université autonome de Mexico (UNAM), pépinière de l'élite politique et économique du pays, d'où sont sortis plusieurs Prix Nobel mexicains. Pour l'octroi de ce prix, le jury du ''Prince des Asturies'' a pris en compte ''les 300.000 étudiants et les 34.000 professeurs de l'UNAM, considérée comme la plus grande université de la région ibéro-américaine''. Tout au long d'un siècle d'existence, l'UNAM ''est devenue une institution de référence qui conjugue la qualité et la variété de son offre académique et d'investigation, avec un engagement ferme pour la diffusion de la culture, l'humanisme et les nouvelles technologies'', se félicitait alors le jury. L'UNAM a été reconnue en 2007 par l'UNESCO comme patrimoine culturel de l'humanité. Sa structure actuelle avait vu le jour en 1910, sur les décombres d'une université pontificale créée en 1551, peu de temps après l'arrivée des Espagnols au Mexique. La reconnaissance en Espagne des talents mexicains ne s'est pas limitée aux domaines littéraires ou académiques, mais s'est également étendue à la photographie. La mexicaine Alejandra Laviada a été récompensée lors du dernier festival ''Photo Espana 2009'' pour ses clichés d'espaces abandonnés ou en passe d'être démolis, suggérant les histoires des personnes qui y ont vécu. Ce raz-de-marée mexicain dans les domaines littéraire, académique et culturel en Espagne ne semble pas plaire outre mesure dans certains milieux intellectuels ibériques. Cette réalité a été révélée à travers un article cinglant de l'écrivain mexicain, Pedro Angel Palou, lui aussi membre du mouvement ''Crack'', paru la semaine dernière dans le journal El Universal. Palou donnait la réplique, dans un style mi-colérique, mi ironique, à l'écrivain espagnol Vicente Verdu, qui avait critiqué dans le quotidien madrilène ''El Pais'' le triomphe, peu méritoire à son goût, des écrivains latino-américains dans pratiquement toutes les compétitions littéraires en Espagne. Plusieurs observateurs au Mexique ont reproché à Verdu sa sortie pour le moins inamicale et arrogante, estimant qu'il aurait été mieux inspiré de s'interroger plutôt sur la vacuité de la scène littéraire en Espagne. La ''Movida'' aurait-elle traversé l'Atlantique?