Les multiples mises en garde des archéologues, depuis vingt ans, et les études sur les dangers qui guettaient "Qsar Labhar" (Le château de mer de Safi), sont restées quasiment sans effet. .Par Redouane Baâqili. Ce joyau architectural, construit en 1508, et témoin d'une histoire commune luso-marocaine, est resté en proie à la négligence et à l'usure du temps, jusqu'à ce qu'il s'écroule partiellement dans la nuit du six mars dernier sous la pression des vagues, de l'érosion et de l'humidité. Cette nuit marquera ce coup dur qu'a encaissé Safi après l'effondrement de la tour sud-ouest du Château de mer, chef d'Œuvre architectural, classé monument historique national en vertu d'un dahir du 20 février 1924. L'effondrement qui n'était qu'une "conséquence logique" de l'état où se trouvait le monument déclenche, pour beaucoup, le compte à rebours de l'extinction d'une partie de la mémoire et de l'identité de Safi, de même qu'il atteste de la triste transformation d'un grand monument en amas de pierres qui s'effritent à coup de vagues. En effet, de nombreux Safiots ont ressenti de l'amertume après avoir perdu l'une de leurs destinations les plus prisées et qui n'a cessé de séduire les photographes professionnels de même qu'elle a été une belle vitrine du patrimoine civilisationnel de leur ville. Mais ce qui leur fait encore plus de la peine, c'est que personne n'était dupe de la situation où se trouvait "Qsar Labhar" et qui a fait l'objet de nombreuses études ayant proposé plusieurs alternatives et recommandations pour sauver ce monument, et qui, contre vents et marées, sont restées lettre morte. Il y'a quelques années déjà, une étude menée par l'archéologue Mesfioui, Said Chemsi, avait identifié le risque que courait le Château de mer et avait proposé des solutions pour éviter le pire. En effet, la falaise littorale Amouni qui s'étend sur 3 km (à partir du château de mer à côté du vieux port jusqu'à la falaise Lyhoudi ) est quotidiennement exposée à une érosion intensive qui entraîne un recul important de la côte. En outre, l'instabilité de ce rivage est causée par des phénomènes naturels relatifs tantôt à la structure géologique tantôt à des phénomènes météorologiques. Il s'agit en fait, d'un sapement basal qui conduit à une disposition en porte-à-faux de la partie qui surplombe l'encoche de l'érosion, et par conséquent, à l'éboulement de certains blocs de la falaise, voire même un écroulement massif.
L'étude avait donc suggéré le remplissage des grottes avec des sacs en béton mais, une solution consiste à la fois à rétablir essentiellement le contact entre les parties hautes et basses au niveau des vides, et à neutraliser le travail mécanique de la mer . A son tour, le Laboratoire public des études et des expériences (LPEE) avait publié, durant les années 90 du siècle dernier, un rapport où il mettait en garde contre l'instabilité de la falaise littorale d'Amouni en raison de la vulnérabilité des roches. De toues les manières, il est aujourd'hui impératif de mettre à jour les données relatives à cette partie du littoral de Safi, d'autant plus qu'elle abrite de nombreuses infrastructures résidentielles. C'est dans cette optique que l'association des lauréats de l'Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine (INSAP) a rendu un communiqué où elle appelle à l'élaboration d'urgence d'une étude dans ce sens et dont les recommandations seront mises en Œuvre. L'association a également fustigé "la négligence officielle dont pâtit le Château de mer", appelant à la mise en place d'un port de plaisance en face de ce monument, outre la construction d'une muraille qui protégera l'édifice. L'objectif est également de sauver des vies humaines qui courent le risque en même temps que le rivage, et de donner un éclat touristique à la ville. Les lauréats de l'INSAP appellent également à la convergence des efforts des différents départements gouvernementaux pour réaliser cet important projet intégré, sans lésiner sur les moyens, et à agir pour que cette zone soit classée patrimoine de l'humanité par l'Unesco. Ils soulignent également que ce risque ne guette pas uniquement le Château de mer portugais, mais une bonne partie du périmètre urbain de Safi. Même son de cloche chez M. Aboulkassim Chabri, directeur du centre d'études et de recherches du patrimoine luso-marocain, qui plaide pour la sauvegarde de ce monument qui représente "une partie de la mémoire de l'humanité et non seulement de l'histoire de la présence portugaise au Maroc". "Il faut intervenir d'urgence et sérieusement pour exploiter toutes les possibilités de sauver ce monument, y compris à travers un partenariat avec la partie portugaise qui pourrait jouer un rôle important dans ce sens", a-t-il dit. "La sauvegarde du patrimoine n'est pas un luxe, mais un effort de préservation de la mémoire et de l'identité nationale", a-t-il noté, mettant en garde contre des risques similaires qui entourent de nombreux monuments de la région de Doukkala-Abda, dont l'ancienne médina d'Azemmour, le site d'Akouz (Sud de Safi), la Kasbah de Oualidia ou encore les site de Gharbia et Ribat Al Moujahidine, sis à l'entrée d'El Jadida.