Le soutien sans faille de l'Algérie au colonel Kadhafi, est un "véritable secret de polichinelle" et pourrait relever à la fois "d'un déni de réalité, d'un aveuglement politico-idéologique ou de la complicité pure", estime mercredi le quotidien français "Libération". "Point n'était besoin d'attendre qu'Alger se résigne à annoncer le 29 août l'arrivée dans le pays de Safia son épouse, sa fille Aïcha et ses fils Hannibal et Mohamed pour découvrir que ni les alliés russes du dictateur libyen ni ses soutiens chinois n'avaient osé aller aussi loin", écrit le journal dans une analyse sous le titre "Le soutien trouble de l'Algérie à la Libye de Kadhafi". Le quotidien s'interroge même si "l'aveu" des autorités d'Alger "ne vise pas surtout à dissimuler un transit plus compromettant : celui du colonel Kadhafi et/ou de son fils Saïf al-Islam introuvables jusqu'ici et passibles de la Cour pénale internationale". Il fustige la position de la "non-ingérence" et de la plus stricte "neutralité" affichée par Alger depuis le début de la crise libyenne, et plus généralement des révoltes arabes, alors que "la réalité est aux antipodes de cette langue de bois mise à mal par une cascade d'informations". Le journal évoque l'envoi, mi-mai, de Sadek Bouguetaya, député et membre du comité central du FLN, l'ancien parti unique algérien, à Tripoli pour "représenter l'Algérie" à une "réunion de soutien des chefs de tribu à Kadhafi" où il se "livre à un vibrant éloge du guide libyen et à une diatribe enflammée contre son opposition traitée de +pion des Occidentaux+, le tout s'achevant par un retentissant +Que Dieu maudisse la démocratie!+". Il indique aussi que "pendant que Nicolas Sarkozy était acclamé à Benghazi où flottent des drapeaux français, les manifestations pro-Kadhafi laborieusement organisées à Tripoli arboraient toutes le drapeau algérien et des pancartes +remerciant l'Algérie de son soutien+", notant qu'"Alger n'a jamais jugé utile de protester contre cette utilisation de son emblème national". Et d'ajouter que des hommes de Kadhafi, pour compenser en partie le gel des avoirs libyens à l'étranger, ont sillonné sans trêve le territoire algérien, raflant toutes les liquidités en euros existant dans un pays où l'économie informelle est reine, faisant exploser le cours de cette devise sur le marché parallèle. Le quotidien épingle aussi la presse privée algérienne "qui peut à la fois faire preuve d'une réelle liberté et d'une unanimité confondante quand il s'agit de défendre les +lignes rouges+ du pouvoir". "Ces titres prédisent ainsi un +après-Kadhafi dans la douleur et le sang ïàû plus monstrueux que celui que la révolte a combattu+" et "tirent à boulets rouges sur les rebelles du CNT traités +d'Al-Qaedistes+". "Comment expliquer qu'un tel soutien n'ait pas fait scandale plus tôt ?", s'interroge le journal avant de relever que "l'impunité habituelle dont jouit le régime algérien en se présentant comme le champion de la lutte antiterroriste y est pour beaucoup". Evoquant les informations faisant état de l'envoi par l'Algérie de munitions et de mercenaires, y compris algériens pour prêter main-forte à Kadhafi, il déplore que "les démentis +catégoriques+ mais laborieux du ministre algérien des Affaires étrangères ont visiblement pesé plus lourd que d'autres paroles dont la circonspection résonnait comme une quasi-confirmation". Le journal rappelle également que l'agence de presse algérienne (APS) qui faisait état d'un entretien téléphonique entre le ministre français des Affaires étrangères et son homologue algérien, se gardait de mentionner un aspect de la discussion dans lequel Alain Juppé voulait vérifier des "informations selon lesquelles Kadhafi aurait reçu plusieurs centaines de véhicules armés transportant des munitions en provenance d'Algérie". M. Mourad Medelci "m'a assuré que ce n'était pas vrai", concluait sobrement Alain Juppé. Et d'ajouter que "le 22 juillet, le département d'Etat américain était plus explicite, annonçant qu'il +enquêtait sur une livraison d'armes à Kadhafi déchargée dans le port (algérien) de Djen-Djen et acheminée par voie terrestre vers la Libye+. Washington +demandait au gouvernement algérien, s'il était au courant, d'empêcher cette livraison qui constituerait une violation des résolutions de l'ONU+", ajoute la même source. En s'interrogeant sur le secret de soutien à Kadhafi, +Libération+ explique que "les révoltes arabes et les jugements de présidents déchus ont ressuscité la grande peur des dirigeants algériens : celle des mouvements de rue". Les dirigeants algériens "perçoivent les précédents tunisien, égyptien, mais surtout libyen et syrien - dont les régimes sont basés, comme à Alger, sur la toute-puissance des appareils sécuritaires -, comme aussi menaçants queà les réformes annoncées par le roi du Maroc", ajoute le journal. L'intérêt d'Alger est que "la guerre se prolonge en Libye pour pouvoir surfer sur le sentiment nationaliste algérien en dénonçant l'intervention occidentale et faire peur aux Algériens en assimilant tout changement au chaos et à Al-Qaeda", conclut Libération qui n'exclut pas "des opérations de déstabilisation de ses services de sécurité à la frontière libyenne. Comme cela a déjà été le cas avec la Tunisie".