. On ne saurait visiter le Maroc sans venir à Marrakech et, à Marrakech, on ne saurait résister à la curiosité de voir ce qu'il y a derrière ce formidable écran de montagnes, qui constitue, non l'horizon, mais la toile de fond de la ville au Sud et à l'Est. Par H. Maimouni et A. Reddam En effet, au-delà de cet écran, à 30 km d'Ouarzazate, les derniers contreforts du Haut-Atlas cachent soigneusement un des joyaux de l'architecture marocaine authentique : Ksar Aït Benhaddou. Fondée au 11ème siècle, sous le règne des Almohades, cette citadelle en pisé rouge et brune - classée par l'UNECO patrimoine universel depuis 1987- rend l'écho d'un temps guerrier révolu, où les habitations, le façonnage silencieux de la terre et les greniers collectifs gardent, en eux, la mémoire d'un Maroc qui fut. Du haut du donjon ruiné, cette fortification de terre âpre, qui baigne les pieds dans l'Oued Elmaleh, laisse entrevoir un interminable enchevêtrement de tours crénelées, de terrasses étagées et d'inextricables ruelles. «Venez, venez voir où Jésus est né !». L'apostrophe d'Ahmed, propriétaire d'une maison au centre de la Kasbah, n'a rien d'insolite pour qui connaît la série de films de la Bible tournés entre ses méandres, ses caves et ses greniers. Sa grotte, à lui, là où, dans une des séries bibliques intitulée «Jésus», le Christ vit le jour, Ahmed en fait un vrai fond de commerce, dont il use malignement pour écouler un tapis ou des amandes, le temps de servir à ses visiteurs, éperdument éblouis, un thé à la menthe. « On m'a proposé dix millions de centimes, mais je ne vends pas», tonne-t-il, tout en exhibant ses photos-souvenirs dans une série de films de renommée mondiale, entre deux commentaires sur son rôle de figurant dans «The Gladiator» de Ridley Scott. Il insiste sur le fait qu'il ne vendra pas, même s'il va rejoindre incessamment sa sÂœur mariée à Paris, un autre subterfuge qu'il n'a cessé de ressasser, depuis bientôt dix ans, et dont il est le seul à connaitre les arcanes et les secrets. Mais, rares sont les visiteurs de Ksar Aït Benhaddou, en cette journée exceptionnelle, qui n'auront pas remarqué, dans un mélange d'admiration et d'incrédulité, le cran de ce personnage qui continue de croire, dur comme fer, à un fatras d'affabulations qui remontent aux années fastes des tournages des films bibliques. Et pour cause, les visiteurs en cette journée ne sont pas des touristes ordinaires. Ils font partie, en majorité, des 300 professionnels des secteurs du tourisme, du monde du cinéma et de la culture, des comités de tourisme et des commissions de film, des sociétés de production et des professionnels des deux filières venus en nombre des pays partenaires du projet MovieMed, dont les travaux se sont tenus du 20 au 22 janvier à Ouarzazate.
Or, deux jours auparavant, ces mêmes visiteurs ont eu l'immense plaisir d'apprécier des spectacles hauts en couleurs livrés, avec beaucoup de délicatesse et de maestria, par un groupe de cascadeurs aguerris, immédiatement après avoir pris la mesure, dans le studio Atlas, des investissements induits, en termes de décors, par le tournage d'un long-métrage appelé «Kundun» d'un certain Martin Scorsese. «Ces pratiques n'étonnent plus personne. J'ai moi-même entendu dire que certains habitants de la kasbah exigeaient des sommes faramineuses en échange d'une simple prise de vue représentant un palmier ou un pan de leurs demeures. Certains ont même eu recours à barricader les passages devant les équipes de tournage», s'indigne Ait Ouzdi Ahmed, directeur du complexe de formation Ouarzazate. Ailleurs, le ksar et sa région qui, jadis, furent un lieu d'attraction de plusieurs superproductions, agonisent d'une mort lente: hormis un chapelet de bazars à l'entrée, la kasbah semble déserte. Seuls neuf ménages y vivent encore, selon le dernier recensement. Les autres ont tous émigré à l'autre rive de l'oued. Bientôt, la kasbah sera sans substance, sans âme», avertit M'Barek Aït Alkaid, ancien responsable du Centre de conservation et de réhabilitation du patrimoine architectural de la zone atlassique et sub-atlassique (CERKAS). En effet, sur les 340 kasbahs délaissées, près de 200 ont atteint, aujourd'hui, un stade de délabrement total. Celles qui ont encore une chance d'être sauvées et restaurées, devront encore continuer à attendre pour se faire entendre: la situation foncière des propriétés, les moyens financiers des propriétaires, les dédales de l'héritage et des ayants-droits, autant de facteurs qui freinent toute intervention de sauvetage. Assurément, Ouarzazate, naguère auréolée à juste titre d'ailleurs du surnom de Hollywood de l'Afrique, mérite mieux. A l'ouverture des deuxièmes rencontres MovieMed (20/22 janvier), Mme Saloua Zouiten, chef de la division de la production au centre cinématographique marocain (CCM), a assurée que sur plus de 140 productions étrangères tournées au Maroc, entre 2006 et 2010, Ouarzazate s'est taillée la part du lion avec 45 PC, suivie de Rabat-Casablanca (22 PC), Marrakech (16), Tanger (9) et les autres sites (8 PC). Durant la même période, le Maroc a réussi à attirer plus de 140 productions étrangères drainant un investissement d'environ 250 millions d'euros, soit une moyenne de 50 millions d'euros par an. Dans l'entre-temps, et alors que de l'autre côté de l'Oued El Maleh , le village s'ouvre au monde, ksar d'Aït Ben Haddou, replié sur lui-même, vibre au rythme d'un temps autre, ponctué de vagues réminiscences rendant l'écho, entre autres, d'un certain Jacques Majorelle. Ce dernier savait-il que l'une de ses œuvres d'art magistrale allait-elle provoquer un bouleversement total dans la vie des petites gens de la région d'Aït Benhaddou ? Qu'à cela ne tienne, mais à la Kasbah même, assure-t-on, qui ne se souvient de «Lawrence d'Arabie» ou de la dramatique errance des héros du film de Bertolucci « Thé au Sahara» n'aura rien compris à ce temps perdu. Un temps qui presse et qu'il importe de retrouver pour rendre à Ouarzazate ses lustres d'antan.