Onze pays d'Afrique de l'Ouest et du Sahel ont décidé d'entreprendre un projet pharaonique afin d'enrayer l'avancée du désert à travers "la Grande Muraille Verte", une opération de reboisement sur une bande de 15 Km de large et une étendue de 7.600 km qui traverse le continent d'Est à l'Ouest. - Par Driss Hidass - L'idée d'un "mur d'acacias" pour stopper l'avancée du désert a été émise pour la première fois lors de la 7ème Conférence des chefs d'Etat de la communauté sahélo-saharienne (CEN SAD) en 2005. Reprenant l'idée de cette barrière végétale, le président sénégalais Abdoulaye Wade renouvelle la proposition en 2007 lors d'un sommet des gouvernements de l'Union africaine. "La puissance du fléau de la désertification nous oblige à unir nos efforts et nos moyens dans une synergie d'actions. Nous n'avons plus le droit de regarder, impuissant, la destruction de notre Afrique", avait-il plaidé. L'appel ne laisse pas insensible. Onze pays décident de s'engager dans le projet pharaonique que Wade a rebaptise "la Grande Muraille verte". La Grande muraille africaine traversera le continent d'Est à l'Ouest (de Dakar à Djibouti), à travers onze pays : Burkina Faso, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Soudan et Tchad. Face à l'avancée inexorable du désert qui gangrène chaque année des centaines de milliers d'hectares de cette zone subsaharienne, menaçant sérieusement la sécurité alimentaire et l'équilibre démographique sur de vastes contrées, les chefs d'Etats et de gouvernements des onze pays ont décidé de passer à l'action et fédérer leurs efforts pour relever ce défi titanesque qui promet d'être le projet du millénaire en Afrique. Réunis en juin dernier à N'Djamena (Tchad) pour un premier sommet sur le sujet, les chefs d'Etat de ces pays ont annoncé solennellement leur engagement à réaliser "la Grande muraille verte" (GMV). Ils ont, à cet effet, créé l'Agence Panafricaine de la Grande Muraille verte, un établissement qui supervisera ce chantier salutaire. LE DESERT GANGRENE L'AFRIQUE Au rythme de 2 millions d'hectares de zones boisées perdus chaque année, deux tiers de la surface du continent noir sont désormais classés en zones désertiques ou dégradées, selon un rapport de la FAO. La région la plus affectée se situe le long de l'Afrique de l'Ouest et du Sahel avec une population de 80 millions qui est menacée directement par l'avancée du désert. En raison de la sécheresse, la bande sahélienne est actuellement touchée par une grave crise alimentaire, la pire depuis trente ans, selon plusieurs ONG internationales, qui mettent en garde contre la désertification qui gangrène petit à petit les terres fertiles de la région. La désertification déclenchera inéluctablement un exode massif des populations vers d'autres régions aux ressources déjà limitées. Une telle situation se traduira inévitablement par des tensions et conflits autour des terres fertiles qui menaceront la stabilité des pays de la région, préviennent les observateurs de cette région. APPEL A LA SOLIDARITE INTERNATIONALE Concernant les causes de cette situation, l'on évoque en premier lieu les changements climatiques auxquels l'Afrique est la plus vulnérable. "Cette initiative, si c'est un sacrifice, il faut le consentir pour les générations futures. Le continent africain, qui émet le moins de gaz à effets de serre (GES), est l'un des plus vulnérables aux effets néfastes du changement climatique", avait déclaré, au sommet de N'djamena, le président tchadien Idriss Déby, demandant à la communauté internationale "d'accompagner les pays de la Grande Muraille verte dans cette œuvre d'importance capitale pour le continent". La communauté internationale suit le projet de près et le Fonds pour l'environnement mondial (FEM) a déjà répondu favorablement à l'appel de N'djamena. "Nous affectons une allocation à chacun des pays engagés dans ce projet. Le montant varie de 6,6 millions de dollars à 23 millions de dollars. Le montant cumulé d'aide du FEM pour la Grande muraille verte s'élèvera finalement à environ 119 millions de dollars", a annoncé récemment la présidente du FEM, Monique Barbut. Un bon début pour le projet dont le coût global est estimé à près de 600 millions de dollars sur une période de dix ans. Pour ratisser large afin de mobiliser les financements nécessaires, les promoteurs du projet ont aussi appelé à contribution les pays limitrophes et la communauté internationale. Les onze pays veulent ainsi impliquer leurs voisins septentrionaux, en appelant les pays du bassin forestier du sud à se joindre à ce projet. Car au rythme actuel de l'avancée du désert au Sahel, c'est bientôt le bassin forestier du Congo, deuxième poumon de la planète après l'Amazonie, qui sera menacé de disparition. A la fois modèle de développement intégré des zones déshéritées, puits de carbone pour la planète, et outil de régulation des flux migratoires, les promoteurs de la Grande Muraille verte lui revendiquent, à raison, un "statut de patrimoine de l'humanité" pour mobiliser l'assistance technique et les financements internationaux. ESPECES ADAPTEES ET GENERATRICES DE REVENUS Le choix des espèces d'arbres et plantes est une étape décisive pour le succès de la GMV. Une trentaine d'espèces, toutes indigènes, ont été identifiées par les partenaires scientifiques du projet. Chaque pays doit choisir les espèces à fort potentiel de résistance à la sécheresse tout en ayant un intérêt pour les populations afin de les faire adhérer au projet. A cet effet, la Grande Muraille Verte intègre aussi des objectifs de développement local avec la satisfaction des besoins domestiques et la relance des activités agricoles et pastorales. Avec plusieurs systèmes nationaux de recherche agronomique, au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso, ou au Niger, l'on a déjà fait des sélections d'espèces d'arbres en fonction de leur potentiel rémunérateur pour les populations. Le "baobab" et le "jujubier" aux fruits riches en vitamines et minéraux, le "karité" aux vertus médicales, ou encore le "tamarin" alimentaire ou l'acacia pourvoyeur de bois de chauffe, peupleront ainsi la vaste bande boisée le long de milliers de kilomètres. Au-delà du financement, l'enjeu majeur de la Grande Muraille Verte est de rendre compatibles ces initiatives de reboisement avec les usages et les pratiques locales dans la perspective de concilier les activités vivrières des populations, totalement dépendantes de la terre, et la préservation de l'environnement.