Après l'embargo sur les armes, les gels d'avoirs et les restrictions de visas pour une liste de personnalités proches du pouvoir, l'UnionEuropéenne, soutenue par les Etats-Unis, a imposé le 2 septembre un embargo sur les exportations syriennes de pétrole. Les Vingt-sept achetant 95% du pétrole syrien, ce qui représente entre 25 à 30 % des revenus du pays, espèrent faire plier Bachar Al-Assad en frappant le régime au portefeuille. Leur vœu sera-t-il exhaussé ? La mondialisation, et l'absence de consensus limiteront les effets de l'embargo Déjà l'embargo pétrolier ne sera totalement mis en œuvre que dans dix semaines. L'Italie, à qui sont destinées 30% des importations européennes de pétrole syrien, avait insisté pour qu'un délai « technique » soit alloué à ses entreprises pour se conformer aux clauses de l'embargo. Cela pose problème à deux niveaux : d'une part, un tel délai limiterait grandement les effets de l'embargo, et d'autre part, envoie un signal ambigu au peuple syrien qui aura du mal à comprendre comment les européens déclarent vouloir aider le peuple syrien tout en continuant à financer l'appareil de répression pendant ce temps-là. Ensuite, l'imposition d'un embargo sur les exportations de pétrole syrien ne signifie pas que la production va s'arrêter. Ceci est d'autant plus vrai qu'il n'existe pas de consensus mondial à l'image du refus de la Russie, sans oublier le soutien implicite de l'Iran, l'allié de toujours. A ce titre rappelons que Total, a déclaré son intention de continuer son exploitation du pétrole syrien tout en respectant l'embargo mais grâce à sa livraison à des transporteurs qui ne sont pas concernés par l'embargo. Par conséquent, dans un monde globalisé et aux frontières poreuses, le régime ne manquera pas de débouchés, il pourra se tourner aussi vers d'autres pays notamment l'Asie et l'Europe de l'est, ce qui signifie que les finances du régime seront moins affectées que prévu, limitant ainsi l'effet dissuasif de l'embargo. L'histoire nous enseigne que ces régimes peuvent tenir sous embargo grâce à la contrebande et des transferts d'argent de leurs ressortissants ou encore les prêts et les aides de leurs alliés. A cet égard, rappelons que les sanctions n'ont pas fonctionné dans le cas de l'Iran : elle a pu maintenir et même parfois augmenter le volume de ses échanges avec l'extérieur en mettant en place de nombreux partenariats économiques et commerciaux avec l'Inde, la Chine, la Corée du Nord, le Venezuela et la Syrie, et a considérablement développé ses échanges avec des pays frontaliers comme la Turquie ou le Pakistan. De la même manière, suite à l'embargo américain, Cuba a réussi à avoir des échanges commerciaux avec l'extérieur et a développé ou intensifié des relations commerciales avec des pays occidentaux, dont le Canada et l'Espagne, ainsi qu'avec le Vietnam et la Chine. L'embargo touchera la population, pas le régime Isoler économiquement la Syrie aggravera certains problèmes structurels et retardera la modernisation de l'économie. Cela pénalisera davantage la population syrienne que les élites politiques. Car si ces derniers possèdent des alternatives pour maintenir leurs rentes, les plus démunis n'ont pas ce luxe car la dégradation de la croissance de l'économie syrienne accroitra le chômage et la pauvreté surtout avec une économie presque à l'arrêt (agriculture, tourisme,commerce…). La baisse des recettes pétrolières compromettra la capacité de l'Etat à payer les salaires des fonctionnaires et à fournir les services publics. A titre d'exemple, les sanctions économiques imposées par les Nations unies à l'Irak dans les années 1990 avaient en effet fortement affecté les populations, sans amener le dictateur à changer de comportement. Ainsi, le programme « Pétrole contre nourriture » avait ensuite été contourné par le régime de Saddam Hussein, ce qui a crée une grave détérioration du ravitaillement pour la population générale. Mais la catastrophe humanitaire résultante n'a pas non plus pu inciter Saddam Hussein à faire machine arrière. Si l'embargo affaiblira l'économie, il dégradera donc par la même occasion le niveau de vie des populations, ce qui pourrait être récupéré politiquement par le dictateur pour inverser la tendance. En effet, il pourrait jouer sur la fibre patriotique en remontant la population (ou une bonne partie d'entre elle) contre l'ingérence et l'atteinte à la souveraineté nationale. Un thème qui a et est toujours utilisé par des dirigeants sous embargo comme Castro, Kim Jong-Il et les Mollahs en Iran. Viser les milieux économiques syriens, pas un pari gagnant L'embargo européen sur la Syrie se fonde sur l'hypothèse que cela privera le régime du soutien des milieux économiques syriens. Selon les analystes, ces milieux se divisent en deux groupes : d'abord la nouvelle bourgeoisie, qui a émergé depuis le début des années 2000 composée d'un petit nombre d'hommes d'affaires choisis par le clan de Bachar Al-Assad. Ensuite, les familles commerçantes (sunnites, chrétiennes) de Damas et d'Alep, représentant la bourgeoisie traditionnelle, plus vaste. Les deux n'ont pas intérêt à un renversement du régime : les premiers en raison de leurs privilèges et de leurs rentes, les seconds parce qu'ils ont peur de l'avenir, de l'instabilité et du conflit confessionnel (l'exemple libanais n'est pas si loin). Par ailleurs, l'embargo sera certainement contourné, comme toujours, par les voies de la contrebande : celle-ci se faisant avec les pays voisins, et générant des profits qui vont d'avantage à des notables du régime qu'au Syrien moyen. Exactement l'inverse de l'objectif recherché. A part l'Afrique du Sud, l'Indonésie, en partie la Libye, les embargos économiques n'ont pas réussi à atteindre leurs objectifs politiques car leurs promoteurs se fixaient des objectifs trop ambitieux, sanctionnaient des autocraties (plutôt que des démocraties), n'avaient pas la coopération de tous les Etats et ne prévoyaient pas de mesures d'amortissement des effets indésirables des sanctions sur les populations. Rappelons enfin que la Syrie est déjà sous le coup de sanctions économiques américaines depuis 2003, ce qui n'a pas vraiment affaibli le régime de Bachar Al-Assad. Aujourd'hui, les conditions ne sont pas non plus réunies pour que l'embargo européen induise un changement politique en Syrie. Les sanctions doivent faire partie d'une stratégie globale incluant d'autres mesures pouvant par exemple être des incitations positives, des initiatives diplomatiques, un soutien politique et économique à l'opposition pour aider à renverser le régime de l'intérieur. Hicham El Moussaoui, analyste pour www.unmondelibre.org Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org