Après avoir été candidate du MoDem aux élections législatives de juin 2007 dans le 19e circonscription de Paris et aux élections municipales de mars 2008 dans le 4e arrondissement de Paris, Fadila Mehal part à l'assaut du Parlement européen. Fondatrice et présidente de l'association Les Marianne de la diversité et directrice pour la culture à l'ACSE (l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances), cette française d'origine algérienne, journaliste de formation, est une inlassable militante des droits des femmes et des minorités. Elle a été nommée le 17 avril dernier, par Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, vice présidente de la commission "médias et diversité" présidée par Bernard Spitz. Pour elle, l'Europe a besoin d'un projet politique mobilisateur. Une tache à laquelle elle a décidé de s'atteler avec sa formation politique. Entretien. Afrik.com : Quelles raisons ont motivé votre candidature aux élections européennes de 2009 ? Fadila Mehal : Ma première motivation est d'appartenir au mouvement démocrate présidé par François Bayrou, parti qui s'inscrit dans la filiation des pères fondateurs de l'Europe avec de grandes personnalités telles que Robert Schuman et Claude Monnet. Ces hommes ont fait l'Europe de la paix et de la croissance après la 2ème guerre mondiale. Je tire fierté et reconnaissance d'être dans cette filiation. C'est pour cela que notre slogan s'intitule « Nous l'Europe », et François Bayrou a raison de dire que cette filiation doit s'incarner à travers nous, car sans incarnation, elle est orpheline. Ma deuxième motivation est d'être la 3ème de la liste emmenée par Marielle de Sarnez en Ile de France. Marielle est une femme formidable qui connaît l'Europe sous toutes ses coutures, elle connaît ses défis mieux que personne. Nombre de citoyens en France lui doivent beaucoup. Je pense, par exemple, aux étudiants avec le programme Erasmus qu'elle a porté avec d'autres. Marielle n'a jamais considéré, contrairement à d'autres, que l'Europe était une punition ou une voie de garage, bien au contraire, l'Europe est pour elle l'engagement d'une vie. Son dernier livre Petit dictionnaire pour aimer l'Europe en est un hommage vibrant. Afrik.com : Vous êtes troisième sur la liste de votre parti, le MoDem. A-t-il fallu jouer des coudes pour atteindre cette place ? Pourquoi n'êtes-vous pas carrément tête de liste ? Fadila Mehal : Jouer des coudes ? Vous savez, nous sommes un parti transparent et toutes les candidatures ont été examinées par une commission collégiale qui a dégagé une liste . Cette liste a été ratifiée par le vote de tous les adhérents. C'est vrai, j'aurai pu demander à être candidate dans une autre région pour être tête de liste mais j'ai souhaité me présenter en Ile de France. Parce que c'est là que je vis, je travaille et milite, et franchement être 3ème dans la plus grande région de France, ce n'est pas si mal, d'autant que Marielle de Sarnez et Bernard Lehideux, les 2 premiers de la liste sont des députés sortants qui font mon admiration car ils ont accompli un travail remarquable à Bruxelles depuis de longues années. Je suis sûre qu'avec une grande mobilisation, le Modem Ile de France va progresser, et nous gagnerons un 3ème siège qui fera que je serai élue le 7 juin. Afrik.com : Vous êtes engagée depuis longtemps dans la lutte pour l'égalité et le respect des droits des femmes et des personnes issues de l'immigration. Quels progrès l'Europe peut-elle apporter dans ces domaines ? Fadila Mehal : Vous avez raison, le combat pour l'égalité et la parité des femmes me touche beaucoup, personnellement. Je crois que la plus grande cause qui mérite notre combat est celui de la dignité humaine, c'est le sens de mon engagement politique et associatif et c'est pour cela que j'ai crée les “Marianne de la diversité” après les émeutes des banlieues de 2005. Vous savez, sur la question de l'égalité et de la lutte contre les discriminations, nous devons tout à l'Europe. Le refus de la discrimination, s'est trouvé naturellement au centre du droit communautaire européen. Fondé au départ sur le refus de la prise en compte de la nationalité, puis des discriminations liées au sexe, les directives européennes se sont s'élargies au fur et à mesure à d'autres critères : race, origine ethnique, religion, convictions, âge ou orientation sexuelle. Vous savez, les droits et les politiques anti- discriminatoires ont acquis une place majeure et définitive dans les activités de l'Union européenne à l'occasion de l'adoption, en octobre 1997, du traité d'Amsterdam [1]. Deux règles déterminantes sont établies. Premièrement : le combat contre la discrimination est une compétence législative et politique de niveau communautaire, c'est-à-dire au-dessus des niveaux étatiques nationaux. Deuxièmement : ce combat est désormais mené à l'encontre de toutes les formes de discriminations, quels que soient les mobiles sur lesquels elles se fondent, mobiles dont une liste explicite est donnée. Cet article, introduit en 1997, entre en vigueur en 1999, et permet dès l'année 2000 à l'Union européenne d'adopter deux directives et un programme d'action de lutte contre les discriminations, couvrant tous les motifs désormais interdits, notamment « la race » ou l'orientation sexuelle. L'ensemble de ces deux directives et de ce programme a été appelé le « paquet anti-discrimination ». C'est aussi l'article 13, qui permet qu'en France, soit reconnu officiellement le problème des « discriminations raciales », par les pouvoirs publics. Sans l'Europe, la France aurait continué dans le déni. Cette reconnaissance sera suivie en France d'une série d'actions publiques, notamment dans le domaine de l'emploi. Puis enfin de nouvelles lois anti-discriminatoires seront votées en France, afin de commencer à transposer les directives européennes de l'année 2000. Loi de 2001, la création de la HALDE, la loi de l'égalité des chances de mars 2006… Vous voyez, sur ce plan l'Europe a été une avant-garde Afrik.com : L'Europe a établi un dispositif de lutte contre les discriminations, certes à améliorer, mais qui a du mal à être opérant en France. Comment faire pour que la législation européenne soit mieux appliquée dans l'Hexagone ? Fadila Mehal : Vous avez raison malgré le travail de la Halde, il reste encore beaucoup à faire pour éradiquer le fléau du racisme et de la discrimination. Il faut que les signalements de la HALDE aboutissent systématiquement à des plaintes quand cela est justifié. Hélas, les poursuites sont longues, les magistrats peu formés et les victimes encore peu soutenues. La loi de 2001 sur l'aménagement de la preuve est encore trop frileuse, trop défensive. Je pense que le combat du racisme et des discriminations est l'affaire de tous car nous sommes en quelque sorte tous co-producteurs de discrimination. Dans les médias, dans l'entreprise, dans l'administration, dans les services et mêmes dans les partis. C'est pourquoi, il faut certes renforcer la loi et les sanctions mais il faut aussi beaucoup de pédagogie pour changer les représentations et les préjugés. Albert Einstein disait « qu'il est plus facile de détruire un atome qu'un préjugé ». Pour convaincre et faire reculer les préjugés ,l'Europe a initié de grandes années européennes : l'année de l'égalité des chances, du dialogue interculturel, tout n'a pas été parfait mais certaines actions ont eu le mérite de produire de la rencontre , du dialogue , de la confrontation et finalement du respect mutuel , ce n'est pas si mal. Amin Maalouf disait « C'est le regard qui nous enferme dans nos plus petites appartenances mais c'est lui aussi qui peut nous libérer ». En tant que démocrate je crois à la vertu de la pédagogie. Afrik.com : Un « Pacte européen de l'immigration » a été validé l'année dernière à Bruxelles par les ministres de la Justice et de l'intérieur européens. Il rend l'immigration plus difficile encore en Europe et a été qualifié de « directive de la honte » par de nombreux défenseur des droits de l'homme et des migrants. Quelle est votre position sur ce dossier ? Fadila Mehal : Sur l'immigration, il faut dire des choses justes. Dire par exemple que l'Europe accueille actuellement le plus d'immigrés dans le monde, soit 41 millions, plus que les Etats Unis. Cela représente, je crois, 8 % de la population européenne. Il faut rappeler aussi que l'immigration constitue une question majeure pour l'Europe qui à l'horizon 2020, du fait de sa démographie vieillissante, aura besoin, selon tous les experts, de 40 à 50 millions d'immigrés. Il faut préparer ces défis, pour l'Europe et pour les pays d'émigration. Concernant la directive retour, Marielle de Sarnez, notre tête de liste, a voté comme contre comme beaucoup d'autres députés Français. J'aurais fait la même chose si j'étais élue à Strasbourg. Cette directive a “bunkerisé” l'Europe en l'enfermant dans une ligne Maginot improbable. Ce n'est pas un signe très positif que l'on donne au monde et notamment aux pays du sud. L'immigration n'existe pas par hasard, elle est le résultat de la pauvreté, de la sécheresse, des dictatures. Pourquoi les Africains déferlent aujourd'hui dans les pays européens, au risque d'y laisser leur vie ? Parce que l'Afrique est condamnée par un système commercial mondial injuste qui entretient la dépendance et permet le pillage (il n'y a pas d'autres mots) des richesses naturelles. Avec les règles actuelles de l'OMC, les pays d'Afrique sortent toujours vaincus. Va-t-on continuer à piller leurs sous sols et leur richesses les plus précieuses que sont leurs hommes et leurs femmes, sans s'interroger sur nos politiques de co-développement et sur la dérive du système commercial mondial. Politique d'immigration, politique de co-développement, mais aussi politique d'intégration, ce sont les 3 piliers pour une action efficace, car penser l'une sans penser l'autre, c'est aller droit dans le mur. Afrik.com : Les élections européennes, cette année comme les précédentes, passionnent largement moins les électeurs que les scrutins nationaux. En cette période de crise où chacun s'inquiète pour son emploi et l'avenir, en quoi l'Union européenne et ses élus pourraient jouer un rôle déterminant ? Fadila Mehal : C'est vrai que l'abstention sera notre principal adversaire. Aujourd'hui, avec la crise, l'Europe a besoin d'un projet politique mobilisateur. Un projet politique qui s'incarne autrement que dans la figure ultra libérale de Barroso. Parce que nous assistons à une crise sans précédent, l'Europe a le devoir de réinventer un nouveau modèle économique et social qui met l'homme au cœur de son projet. Depuis sa création lors du traité de Rome, nous avons fait l'Europe des marchandises et de la monnaie. Il est temps après les petits pas de faire enfin un grand pas. Avec des députés déterminés, faire l'Europe de la convergence sociale, fiscale, des services publics et de la moralisation des systèmes financiers. Pour cela, il faut une volonté politique et redonner leur place aux citoyens car il y a aujourd'hui un déficit démocratique qui explique l'abstention. Pour réconcilier l'Europe avec ses citoyens, nous proposons deux mesures qui ne coûteront pas un euro : 1- avant toute prise de décision qui les concerne, informer massivement tous les citoyens européens afin qu'ils puissent saisir leurs élus, leurs syndicats, leurs associations. 2- tous les votes et les délibérations seront filmés et mis sur internet afin que chacun assume publiquement ces choix et ne se défausse sur Bruxelles, bouc émissaire commode de tous nos maux. Vous l'avez compris, nous exigeons désormais plus de transparence dans la gouvernance de l'Europe et du courage politique pour ceux qui nous représentent. Enfin nous appelons de nos vœux un modèle européen qui préserve notre identité, nos cultures, nos valeurs. Le modèle européen n'est pas le modèle anglo-saxon et pour nous l'argent n'est pas la valeur suprême de la réussite, on peut réussir sa vie sans posséder à 50 ans une Rolex. Mes parents et mes grands parents l'ont démontré et je me bats pour que mes enfants continuent de transmettre leur exemple. [1] En effet, un nouvel article 13 fut ajouté au Traité instituant la Communauté Européenne. L'article est ainsi rédigé :« Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. »