Si ce n'était sa tenue à la date très symbolique du 16 mai qui marquait cette année le 16ème anniversaire des attentats de triste mémoire de 2003 à Casablanca, la seconde audience du procès de l'attentat d'Imlil s'annonçait comme une audience normale, voire banale. Organisée à la Chambre criminelle chargée des affaires de terrorisme près l'annexe de la Cour d'appel de Salé jeudi dernier, cette audience connaîtra pourtant un véritable coup de théâtre. Il s'agit de l'assignation par le comité de défense de la victime danoise, Louisa Vesterager Jespersen, du chef du gouvernement marocain, M. Saâdeddine El Othmani, en sa qualité de chef de l'Exécutif et d'incarnation de l'Etat tenu à ce titre d'assumer la réparation des dommages matériels consécutifs à cet acte terroriste. «Cette demande d'assignation de M. Saâdeddine El Othmani émane d'une action concertée entre le comité de défense que je dirige et la famille de la victime danoise, Louisa Vesterager Jespersen», nous dit à ce propos Maître Khalid El Fataoui, avocat inscrit au barreau de Marrakech mandaté par la famille de la victime danoise au titre de partie civile. Il précise : «En tant qu'avocat, j'ai conseillé à mes clients d'orienter leur demande de réparation et d'indemnisation vers l'Etat marocain représenté par son chef du gouvernement. Ce qui est en soi normal lorsque l'on sait l'insolvabilité des assassins». Une décision qui fera jurisprudence Cette requête inédite dans les annales de la justice marocaine en matière de terrorisme a été acceptée par le Président de l'audience, le juge Abdellatif El Amrani. Ce qui l'impose désormais comme une véritable jurisprudence. En principe donc, le 30 mai prochain, date de la tenue de la troisième audience de ce procès fixée par le juge Amrani, M. Saâdeddine El Othmani devra se présenter devant le tribunal pour représenter le Maroc. «Une demande de comparution lui sera adressée à cet effet par huissier de justice», nous confirme l'avocat de la victime danoise. Saâdeddine El Othmani n'en fera certainement rien et l'audience risque d'être reportée à une date ultérieure, le temps que le gouvernement marocain désigne un avocat pour le représenter. Autre scénario fort probable, la réorientation de la demande d'indemnisation vers le fonds de solidarité contre les événements catastrophiques institué par la loi n° 170-14 sur le régime de couverture des conséquences des événements catastrophiques (voire encadré). Auquel cas, ce sera la première fois que ce fonds sera mobilisé pour l'indemnisation de victimes de terrorisme. «Auparavant et en l'absence d'un cadre juridique, les victimes d'actes de terrorisme et notamment ceux de l'attentat qui avait ciblé le café Argana à la place Jamâa El Fna à Marrakech en 2011, étaient indemnisées au cas par cas, sur la base d'un simple décret», rappelle à ce propos Me El Fataoui. Pour ce dernier, l'acceptation de la demande d'assignation de Saâdeddine El Othmani par le tribunal de Salé constitue un gage de crédibilité et d'indépendance pour la justice marocaine. «Cette décision a eu un fort impact médiatique dans les pays des deux victimes et notamment en Norvège où les médias s'en sont fait largement l'écho. Au Maroc, des contacts commencent à se faire avec notre cabinet pour étudier la possible et très probable constitution en partie civile de la famille de la deuxième victime, norvégienne, Maren Ueland. Ce qui constitue une reconnaissance de la crédibilité de la justice marocaine», nous révèle l'avocat. La famille de la victime norvégienne se constituera en partie civile La famille de la victime norvégienne avait certes mandaté un avocat norvégien dont le nom était inscrit au dossier de l'affaire, mais cette famille ne s'était jamais constituée partie civile. Aujourd'hui et suite à la décision du tribunal de Salé d'accepter l'assignation en justice du chef de gouvernement marocain, cette famille qui avait choisi de tourner le dos à la justice marocaine et faire son deuil loin des méandres de nos tribunaux, songerait désormais à se constituer en partie civile afin de réclamer réparation du dommage subi au gouvernement marocain. D'après notre source, cette famille, comme d'ailleurs celle de la victime danoise, serait résolue à suivre l'affaire de très près quitte à dépêcher un de ses membres au Maroc spécialement pour prendre part aux audiences. Le procès ne fait donc que commencer. Abdallah LAHFARI