Les liens multiformes entre le Maroc et l'Union Européenne sont trop importants, au bénéfice des deux parties, pour être traités autrement que par la raison. 35 milliards d'euros d'échanges commerciaux et les centaines de milliers d'emplois qui vont avec imposent un certain degré de pragmatisme. Cela n'empêche en rien de réfléchir sur les contraintes inhérentes auxdites relations Maroc-UE et l'angle de vision selon lequel doivent en être examinées leurs perspectives. Le récent arrêté de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) est le genre d'évènement qui invite à se prêter à un tel exercice. Tout a donc commencé par une Ong britannique qui dépose plainte auprès de la Cour de Justice de l'Union Européenne contre l'accord de pêche Maroc-UE afin de le faire annuler, au motif que les revenus des ressources halieutiques extraites dans les eaux limitrophes aux régions du Sud du Royaume ne profiteraient pas aux habitants desdites régions. Comme l'Etat marocain dépense dans ces régions sept fois plus de fonds qu'il n'en retire de recettes, il faut bien commencer par procéder à son autocritique ; le Maroc n'a pas su communiquer à l'international à propos de faits pourtant aisés à prouver. Ce ne sont donc pas l'Algérie et son pantin polisarien qui ont su manœuvrer, c'est le Maroc qui n'a pas su défendre ses intérêts légitimes. C'est, toutefois, l'examen attentif de la posture du partenaire européen qui impose de se poser un certain nombre de questions. Cela fait quand même trois décennies que le Maroc et l'UE concluent des accords de pêche permettant aux chalutiers communautaires de venir exploiter de si rares et fort demandées ressources halieutiques dans les eaux marocaines, du détroit de Gibraltar aux confins Sud du Royaume. C'est aujourd'hui seulement qu'une instance de l'Union Européenne découvre qu'un accord conclu avec un pays tiers, que d'autres instances de la même Union Européenne ont pourtant étudié sous tous les angles, juridiques et autres, avant de l'approuver, n'est que partiellement valide ? La main gauche de l'UE ignore-telle donc ce que fait la main droite ? En psychologie, on appelle ça de la schizophrénie. La perle du texte de l'arrêt de la Cour de Justice de l'UE, c'est bien entendu ce passage sur la continuité de validité de l'accord Maroc-UE, qui ne serait pas applicable aux seules eaux limitrophes des régions du Sud. Il n'est même pas explicitement stipulé que les chalutiers européens seraient interdits de pêcher dans lesdites eaux. Les magistrats de la CJUE ont une conception du Droit international, qu'ils disent vouloir faire respecter, qui ne va quand même pas jusqu'à attaquer frontalement les intérêts de quelques pays membres de l'UE. Au moment où ils ont acté leur arrêt, les magistrats de la CJUE devaient sûrement avoir à l'esprit tous les pêcheurs marocains, russes, japonais et autres, qui ne manqueraient pas d'applaudir très fort un éventuel gel d'activités dans les eaux marocaines de leurs confrères et néanmoins concurrents européens dans l'effort d'extraction de ressources halieutiques en raréfaction. Tenant compte du fait que c'est le secteur de la pêche de pays de l'UE qui profite le plus de cet accord, les eurocrates de Bruxelles ne vont pas manquer de se torturer les méninges pour trouver le moyen de ménager la chèvre et le chou, c'est-à-dire ne pas s'en prendre aux intérêts bien compris des pays membres bénéficiaires dudit accord de pêche, tout en tenant compte de l'arrêt de la Cour de Justice de l'UE. Date butoir : juillet 2018, marquant la fin de validité de l'actuel accord. Si le Maroc n'a pas à déployer beaucoup d'efforts pour défendre le renouvellement dudit accord de pêche Maroc-UE, les pays membres qui en profitent le plus se chargeant de cette besogne, il n'en est pas moins inacceptable de céder à l'hypocrisie d'acrobaties juridiques imaginées par les eurocrates de Bruxelles pour faire adopter le renouvellement de cet accord en se pliant, formellement du moins, à l'arrêt de la CJUE. Le Maroc est un, du Nord au Sud, dans sa partie continentale comme dans la zone économique exclusive de ses eaux territoriales, le poisson qui y est pêché est marocain, c'est à prendre ou à laisser. Les Marocains ne cèdent pas d'un pouce sur l'intégrité territoriale de leur nation, ni ne reculent d'un pas quant à l'affirmation de leurs droits souverains. Les dirigeants politiques européens connaissent suffisamment les Marocains pour savoir qu'ils savent se montrer autant conciliants qu'intraitables. Jusqu'où les Européens sont-ils prêts à pousser la distinction entre les régions Nord et Sud du Royaume ? Jusqu'à demander aux autorités marocaines de s'abstenir de stopper le flux des migrants clandestins passant par ses régions du Sud dans le but de débarquer sur les côtes des îles de l'archipel des Canaries ? Les réseaux de trafics d'êtres humains lanceraient aussitôt une suite ininterrompue de vagues migratoires, semblable à celle que connaît actuellement la Méditerranée orientale. Les Européens pourraient également demander aux services de sécurité marocains de ne pas partager avec eux toute information sur une éventuelle opération terroriste en préparation sur le vieux continent si ladite information a été collectée suite à une opération de police menée dans les régions du Sud. Daech et Al Qaïda, qui rôdent dans la sous-région du Sahara et du Sahel, s'en frotteraient les mains de satisfaction. Quand on voit toutes les grosses pertes occasionnées aux producteurs agricoles européens suite aux sanctions imposées à la Russie, et les contre-sanctions qui s'en sont suivies, on se dit que le bon sens n'est pas la chose la mieux partagée dans la sphère des décideurs communautaires européens. Ils peuvent prendre des décisions reflétant des postures politiques purement symboliques, dénudées d'une quelconque capacité à modifier la réalité, mais qui vont à l'encontre des intérêts de tout ou partie des pays membres de l'UE et érodent sa crédibilité auprès de ses partenaires. La confiance est à la base de toute relation solide et durable, les prises de position donquichottesques, même si aux conséquences presque insignifiantes, n'étant pas de nature à renforcer celle-ci. Le modèle économique européen, longtemps porté par l'accès bon marché aux énergies fossiles, présente, depuis quelques années, des signes évidents d'essoufflement, les taux d'endettement élevés des pays du Sud de l'UE et les turpitudes de leurs secteurs bancaires, aux portefeuilles gangrénés de créances « toxiques », la désindustrialisation galopante, le chômage endémique, le creusement des inégalités sociales, le recul démographique, compensé par une migration elle-même problématique et la montée des populismes ne présageant pas d'un avenir aussi florissant que l'était le passé. L'Union Européenne n'est pas finie, mais ses heures de gloire sont désormais derrière elle. L'avenir, c'est l'Afrique, mais des acteurs géopolitiques beaucoup plus pragmatiques que les Européens, néanmoins suffisamment riches et ambitieux pour jouer des coudes et s'accaparer les plus grandes parts de marché du continent, se placent en d'éventuels bien meilleurs partenaires du futur. Si le Maroc, qui se positionne avec succès en porte d'entrée du continent africain, est fidèle en amitié, il n'en a pas moins des intérêts à défendre, des arguments à faire valoir et des objectifs à atteindre. L'hypocrisie ne dure que le temps de se faire rattraper par la réalité. Ahmed NAJI