L'Association Marocaine des Sciences Médicales a organisé, sous l'égide de l'Ordre national des médecins, samedi 1er avril à l'hôtel Sofitel Jardin des Roses à Rabat, un colloque national sur la Procréation Médicalement Assistée (PMA). Placée sous le thème : « La procréation médicalement assistée entre la nécessité d'encadrement juridique et les contraintes de la réalité », cette rencontre a connu la participation de médecins, de magistrats, de juristes, d'avocats, d'hommes de loi, d'enseignants, de sociologues, de représentants de la société civile, de représentants ministériels et de religieux... Les expériences tunisienne et européenne ont été mises en exergue lors du colloque. sociales et juridiques du projet de loi 47-17 mis au point par le département de la Santé, dans le but de réglementer et d'encadrer les pratiques des PMA, et soumis au Parlement depuis avril 2016. Sachant que certaines recommandations des professionnels de santé et de la société civile n'ont pas été prises en compte dans l'élaboration de ce projet de loi. L'objectif est donc de mettre en lumière les apports et les limites de ce texte de loi, conformément au respect des enseignements religieux, aux progrès scientifiques, à l'éthique, aux valeurs humaines et identitaires. La fertilité étant une problématique dont souffrent 15% de couples marocains et qui a des incidences aussi bien médicales que sociales et sociétales. D'où la nécessité de ce projet de loi-cadre pour structurer la PMA et protéger aussi bien les « malades » que les gens du métier. Plusieurs contraintes sont liées à ce procédé lié à la fertilité, tout d'abord le coût qui peut dépasser les 30.000 dhs pour chaque test et sans prise en charge par la couverture médicale. Et puis, la couverture géographique insuffisante et concentrée dans le cercle Rabat et Casablanca... Pour cerner tout ce cercle vicieux, nous avons interviewé les spécialistes, les gens du métier et les assurances. Dr Abdelwahhab Bachouchi, Secrétaire général du Collège marocain de fertilité: La loi-cadre 47-17, couverture géographique, couverture médicale et coût exorbitant Vu cette variété de l'assistance hétéroclite, entre médecins, magistrats, hommes de loi, enseignants, sociologues, société civile... la plate-forme a pour objectif de discuter de la problématique de la procréation médicalement assistée et des techniques qui peuvent aider à la réglementer dans notre pays. Comme tous les pays du monde, nous souffrons de l'infertilité qui a un impact social et sociétal, peut-être plus accentué, avec l'éclatement de couples et même de familles entières. Et aussi, par certains manques qui ont été soulevés, notamment la couverture géographique encore faible des centres de prise en charge à travers le Royaume et qui compte 19 centres concentrés essentiellement entre Rabat et Casablanca avec quelques unités : un centre à Marrakech, un à Tanger, deux à Agadir, Fès et Meknès, ce qui reste insuffisant. Il est inconcevable qu'un couple de Figuig, de Dakhla ou de Ouarzazate vienne jusqu'à Marrakech ou Fès ou Rabat pour bénéficier de ce traitement. Il y a aussi la problématique de la prise en charge des actes et des traitements, horriblement coûteux pour le moment et il n'y a pratiquement aucune couverture médicale. L'AMO et la CNOPS ont pris l'initiative timide de s'engager dans une prise en charge partielle pour une tentative. C'est simplement une aide. L'estimation du coût de la PMA dépend des techniques. S'agissant du premier palier, autrement dit de la technique juste de l'insémination par amélioration des gamètes, il faudrait compter, entre le traitement et la technique, sur un budget s'étalant entre 6000 et 7000 dhs, le volet le plus lourd étant le coût des médicaments. Pour la fécondation in vitro, la technique la plus évoluée est celle de l'injection intra-cytoplasmique du sperme qu'on appelle l'ICSI, ce volet global cherche entre 25.000 et 30.000 dhs, parfois plus quand la femme nécessite plus de traitements. Cette technique est fonction de la sévérité de l'atteinte, de l'implication et de la réponse de chaque femme au traitement, il y a une femme qui répond à une dose et une autre à une autre dose. Ce montant, pas des moindres, grève le budget de la famille d'une manière très sensible et avec un résultat qui n'est pas garanti à la clef. Côté statistiques, quoique toutes les techniques ne soient pas permises, compte tenu du respect de nos spécificités religieuses musulmanes et même sociétales, nous nous situons dans un taux de réussite de 30 à 35%. L'infertilité touche de façon consensuelle et universelle une moyenne de 15% de couples dans le monde et le Maroc n'échappe pas à la règle. Les sociétés savantes ont lancé quelques études, notamment celle de la Société Marocaine de Médecine de la Reproduction. 800 000 couples souffrent au Maroc, parfois en silence et c'est dramatique du fait de la pression sociale sur les couples infertiles. C'est une souffrance sociale qui nous dérange et qui nous mobilise aujourd'hui pour essayer de lever cette pression. Nous demandons des études sérieuses, une couverture médicale plus efficace, une couverture géographique pour rapprocher le service du citoyen, une loi cadre qui soit efficiente et ergonomique pour défendre d'abord l'intérêt du citoyen et ensuite permettre aux professionnels, toutes tendances confondues, de travailler avec sérénité, et non pas une loi qui est une clé de Damoclès sur la tête. La loi-cadre 47-14 adoptée par le Conseil du Gouvernement en 2016 est aujourd'hui au niveau du Parlement. Nous profitons de cette réunion pour essayer de recadrer et d'apporter un plus à cette loi cadre revendiquée depuis 1998. Depuis 30 ans que nous exerçons et le besoin se ressent pour cette loi qui tarde à aboutir. Côté religieux, nous sommes un pays musulman et nous nous inspirons des « fatouas » de 1980 du Conseil des oulémas. Il y a deux lignes rouges que nous nous interdisons de franchir : la donation des gamètes qu'elle soit mâle ou femelle, le traitement se fait dans le cadre du mariage légal de la charia islamique ; et la gestation pour autrui, c'est-à-dire la grossesse par la mère porteuse. C'est pour cela qu'on demande la loi-cadre. Aussi, il y a une méconnaissance de l'infertilité, mais quand bien même on explique et sensibilise, s'il n'y a pas derrière une politique de prise en charge, ce discours est insuffisant. L'insuffisance de l'information réside aussi à l'échelle universitaire, la science va à grande vitesse et l'enseignement devrait suivre. Pr El Houcine Maaouni, Président de l'Instance nationale de l'Ordre des médecins : Beaucoup d'imperfections au niveau de la loi 47-17 A cause de ses répercussions médicales et sociales, la stérilité est devenue un véritable problème de santé publique qui requiert une attention particulière au niveau de la politique de la santé. Une situation qui impose la mise en place des mesures nécessaires pour garantir le droit des personnes privées de la possibilité d'enfanter, notamment en terme de couverture médicale de base couvrant les frais des médicaments, les traitements et les interventions chirurgicales d'assistance médicale à la procréation. Le Colloque national d'assistance médicale à la procréation connaît la participation d'éminents praticiens, marocains et étrangers, ainsi que des militants des droits humains, des académiciens de différentes spécialités, en plus d'acteurs de la société civile et de la scène politique. L'objectif est de veiller à la conception d'une vision globale et complémentaire relative à ce sujet constituant l'un des dossiers scientifiques les plus délicats dans le domaine médical Sous l'égide du Conseil national, les sociétés savantes, qui font un travail extraordinaire depuis 1999, organisent une réflexion concernant la loi 47-14 relative à la PMA : état des lieux et perspectives, surtout depuis l'éclosion de textes. Je fais partie de la Société Royale Marocaine de Gynécologie Obstétrique. Plusieurs efforts ont été déployés et un livre blanc a été élaboré en 1999 qui a fait son chemin. Toutes les sociétés savantes sont pour une réglementation concernant l'exercice de la PMA au Maroc. Les centres de PMA ne manquent pas, les confrères et consœurs sont très compétents mais du point de vue légal, c'est le vide juridique. La loi a été adoptée au mois d'avril 2016 par le Conseil de gouvernement puis est passée au Parlement. Seulement, il y a beaucoup d'imperfections inhérentes à l'illicité de la PMA au Maroc. Le congrès du mois d'avril 2016 sur la fertilité a également relevé sa non-conformité par rapport aux gens du métier. C'est dans ce sens qu'on a organisé cette journée pour apporter des mesures collectives constructives concernant la législation et l'exercice de cette spécialité. Le but n'est pas de sortir avec des recommandations mais avec des mesures palpables. Du fait qu'il y a une lecture de toutes les sociétés savantes qui ont travaillé pendant plus de 90 jours, qui est restée au niveau de l'Ordre des médecins. On n'a pas pris en compte, dans la loi, certaines recommandations positives alors qu'il y en a eu d'autres, excessives en matière de la justice. Il y a beaucoup d'anomalies. Deuxième élément très important, je saisis l'ANAM pour une couverture médicale de ces couples qui souffrent, en plus de leur infertilité, de l'absence d'une couverture, vu le coût onéreux. Et comme vous savez, les techniques avancent plus vite que l'homme. Il est temps que la PMA soit couverte plus dans la génération de l'AMO. Les médicaments coûtent cher, les tentatives coûtent cher, le matériel coûte cher et tout est à la charge du couple ». M. Bennani, représentant du ministère de la Justice : Obligations et droits de tout intervenant ou bénéficiaire «Les deux points essentiels, c'est que cette assistance médicale à la procréation ne peut se faire que dans un cadre législatif. L'objectif en est de définir avec clarté les obligations et les droits de tout intervenant ou bénéficiaire de cette opération. Il faut soulever que quel que soit le cadre législatif, il n'est pas suffisant, parce que ce travail est régi par les valeurs et l'éthique. Les enfants sont certes un don de Dieu et les sciences ont permis l'accès à certains traitements pour des couples qui n'ont pu procréer. Au Maroc, l'objectif est de légiférer ce dossier, certains ont recours, de bonne ou de mauvaise foi, à certains procédés parfois illégaux. D'où l'intérêt d'un recadrement pour la protection de tous les intervenants et bénéficiaires. En tant que pays qui a un arsenal juridique, on est quelque peu en retard dans ce volet. Le projet de loi 47-17, approuvé en avril 2016, est venu couvrir cette lacune afin de protéger les couples et pour que chacun y reconnaisse ses droits et ses spécificités ». M. Jilali Hazim, Directeur général de l'Agence Nationale de l'Assurance Maladie : La feuille de route 2014-2018 « La couverture médicale est un point très important dans ce volet. L'ANAM, en tant qu'encadrant du système de l'AMO, veille à ce que cette prestation soit prise en charge convenablement dans le cadre de l'assurance maladie, à travers le renouvellement des conventions internationales entre les instances chargées de la gestion du système de l'AMO mais aussi avec les prestataires de traitement, de matériaux et de services de santé, la révision de la nomenclature des actes médicaux et l'intégration des médicaments qui rentrent dans la PMA, et la contribution à la mise en place de protocoles de traitement. Actuellement, au Maroc, le traitement se fait au niveau de 19 centres de PMA, sous une marge de prix variant entre 20.000 et 30.000 pour chaque essai. Au centre des Orangers du CHU de Rabat, le coût bascule entre 4000 et 15.000 dhs pour chaque essai. Parmi les entraves et contraintes, on peut relever l'absence d'un cadre légal qui pourrait répondre à tous les questionnements d'éthique, légaux et religieux, à savoir le projet de loi 47-17. Le coût aussi n'est pas à la portée sachant que les résultats ne sont pas à 100% réalisés. Quoique notre pays ait fourni de gros efforts en matière de couverture depuis la mise en œuvre, en 2015, de la loi 65-00, en rapport avec le droit à la santé et qui a permis le respect, l'équité et l'égalité entre les citoyens en matière de services de santé, il y a beaucoup à faire. En tant qu'acteur principal pour ce qui est du régime de l'AMO, l'ANAM a tracé sa feuille de route pour 2014-2018, pour ce qui est de la PMA, pour contrecarrer ces contraintes et mis tout en œuvre pour renouveler les conventions nationales en matière de certains médicaments. Pour ce qui est du volet PMA, ne sont remboursables que les services ou actes nommés et certaines analyses biologiques. Ce sont des actes et services qui n'ont pas été pris en charge par la CNSS après élargissement du panier des services, dont les services ambulatoires. La PMA étant un acte compliqué qui a trait à des traitements médicaux et biologiques supplémentaires, elle reste pour l'instant non remboursable. L'ANAM, à travers une commission d'experts, a élaboré sa petite étude et limité ses axes d'intervention, mais ce processus prend entre 12 et 18 mois ». Dr Nawfal Malhouf, chef du département « Conventionnement et normalisation » à l'ANAM : Renouvellement des conventions nationales « L'Agence Nationale de l'Assurance Maladie est un établissement public chargé de la régulation et de l'encadrement technique de l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO). De par ses missions et consciente de la problématique des retards et des problèmes liés à la procréation, l'ANAM a déjà chargé un groupe d'experts pour une étude approfondie. Parmi les propositions, en premier lieu, c'est d'intégrer les actes et de les préciser dans le cadre du renouvellement de conventions nationales liées aux organismes nationaux avec les prestataires. Deuxièmement, il y a nécessité d'intégrer les nouveaux actes liés à la PMA dans la nomenclature générale des actes professionnels et aussi dans la nomenclature de biologie. Et troisièmement, c'est d'intégrer les médicaments liés à la PMA dans la liste des médicaments remboursables. Le remboursement des médicaments est un processus assez long, il passe par une commission de transparence qui évalue le médicament sur le plan scientifique, puis par une commission économique et financière des produits de santé et enfin par une évaluation de l'impact du médicament. Mais, il ne faut pas oublier que l'intégration de ces médicaments, de ces actes et de ces techniques liés à la PMA, aura certainement un impact sur les régimes d'assistance maladie. C'est pour cela qu'il est absolument nécessaire d'accompagner l'intégration de ces actes par la mise en place de protocoles thérapeutiques, l'attribution d'identifiant national du professionnel des établissements aux centres et aux médecins spécialisés en la matière. En dernier lieu, il faut une accréditation des centres spécialisés en la matière, en partenariat avec le ministère de la Santé, mais aussi exiger des normes pour avoir les statistiques et le taux de réussite de ces centres afin d'améliorer et de permettre à cette population d'accéder à des soins de qualité. Si on parle de la couverture médicale de base, la loi 65-00 portant code de la couverture médicale de base a instauré deux grands régimes : le régime de l'AMO et le régime RAMED. Ce dernier a vu sa généralisation en 2012 et par rapport à l'AMO il a déjà commencé en 2005 avec l'AMO des salariés. Aujourd'hui, on peut dire que 57% de la population marocaine est couverte par l'AMO des salariés, l'AMO des étudiants et le RAMED. Il reste une part importante, c'est l'AMO des indépendants et des professions libérales qui concerne à peu près 11 millions de bénéficiaires et c'est le projet de loi qui est en cours d'approbation au niveau du Parlement. L'état actuel de la prise en charge de la PMA au niveau de la CNOPS et de la CNSS est comme suit : la CNOPS rembourse sur la base des actes qui figurent au niveau de la nomenclature tout en sachant qu'elle est actuellement obsolète et dépassée. Par contre, la CNSS au moment où elle a étendu son panier de soin pour qu'il intègre les actes rendus à titre ambulatoire, elle n'a pas intégré les actes qui rentrent dans le cadre de la PMA. Aujourd'hui, tous les acteurs sont conscients de l'importance de prendre en charge correctement cette maladie. La problématique est toujours là et les perspectives et les mesures prises à l'ANAM sont efficientes ».