Plusieurs artistes, partant de la réalité, ont voulu styliser l'objet, l'épurer, le mettre en valeur ou l'analyser en tant que concept, tout en tendant vers l'abstraction. Ce sont ce qu'on appelle vaguement les semi-figuratifs, les mêlant souvent avec les artistes appartenant à la tendance qui s'inspire du corps humain, et que j'ai appelée, depuis les années 1990, l'Expérience du corps (Voir mon ouvrage, Réflexions sur l'art, 1996), et même parfois, leur donnant d'autres appellations, comme le minimalisme, le nouveau réalisme, la nouvelle figuration ou l'art conceptuel, des mouvements contemporains qui ont leur signification exacte. Quoiqu'ils s'inspirent de ces mouvements cités, les artistes marocains, optant pour une nouvelle figuration ou une abstraction, puisent leurs recherches dans le patrimoine local, dans les arts traditionnels et populaires, ainsi que dans l'actualité. La plupart de ces artistes, loin de l'influence occidentale, analysent ces conceptions et ces techniques avec conscience et audace. Dans cette classification proposée, nous essayons de mettre en valeur les tendances plastiques et leurs directions, des tendances où peuvent se grouper des artistes se basant sur le paysage réel. Deux tendances apparaissent dans leurs recherches : le paysage naturel abstrait et le paysage urbain abstrait. Le paysage naturel abstrait Dans cette première direction, les artistes, amoureux du beau naturel, n'ont pas voulu décrire la nature, ni la représenter, mais l'exprimer, la percevoir autrement. Ce sont des coloristes ; partant du style impressionniste, ils ne s'intéressent qu'à la lumière colorée, au geste et au mouvement. Leurs œuvres peuvent être des abstractions qui évoquent plus ou moins un paysage, une réalité donnée, des abstractions impressionnistes lyriques ou gestuelles qui partent d'un paysage naturel ; elles peuvent être également des transpositions de sentiments ou d'émotions provoqués par ce paysage. Parfois, des artistes choisissent de la nature tout un panorama, un paysage où n'apparaissent que des bandes colorées qui évoquent un ciel, une mer, des collines, des champs avec des repères, des taches et des hachures qui subjuguent des arbres, des bateaux... Dans c e groupe, on peut voir néanmoins des artistes plus abstraits que d'autres. Mais dans cette même tendance, des artistes peuvent ne pas choisir de la nature qu'un fragment ; une touffe d'herbe, un nuage, un feuillage... Parmi les artistes qui optent pour le paysage naturel abstrait, on cite Mekki Meghara (voir toile), Ahmed Nouda, Abdelouahed Sordo, Lahbib M'seffer, Ahlam M'seffer, Abdelghani Oubelhaj, Abdelilah Bououd, Mohamed Jaamati et Mohamed Chérifi. L'architecturalisme Rares sont les artistes marocains qui s'adonnent au paysage naturel comme recherche contemporaine. Sans doute, l'artiste, dans ce choix, ne trouve-t-il pas son expression, son identité même. En s'éloignant de la figuration, il veut s'accrocher à un repère qui lui rappelle son identité et ses traditions. Cette identité, il la trouve tout d'abord dans le paysage urbain, dans l'architecture traditionnelle, dans tout ce qui est relatif à cette architecture, puis, comme on va le voir, dans le signe en générale. L'architecturalisme ou le paysage urbain, conçu tout d'abord comme formes plastiques, puis comme thématique, et enfin comme tendance, pousse nos artistes à un retour aux sources islamiques. On peut distinguer dans cette tendance trois directions : Fragments du paysage urbain ou architecturalisme fragmentaire, l'architecturalisme abstrait et l'abstraction à visée d'intégration architecturale. L'architecturalisme fragmentaire Attirés par l'architecture traditionnelle, mais dépassant le stade de représentation descriptive, certains artistes sont préoccupés par les éléments architecturaux et la décoration géométrique qui les agence. Ils ne s'intéressent qu'aux fragments de cette architecture. Les premiers en vue, tout en élaborant leur composition avec une technique figurative ou semi-figurative, ne s'occupent que d'une porte ou d'une fenêtre, d'une mosaïque ou d'un bois peint, voulant sans doute, par cette expression, éterniser le fragment rongé par les moisissures ou le débris en ruine. D'autres, matérialistes, tout en s'interrogeant sur le déroulement de l'histoire, sont préoccupés par la texture de ces fragments dont ils font des compositions minimalistes. Leurs œuvres, tout un ramassis de clefs et de cadenas rouillés, de débris de mosaïque et d'argile craquelé, expriment cette note romantique et cette nostalgie émouvante, cette rouille du temps dont leurs auteurs en font toute une thématique. Parmi les artistes optant pour cette direction, on cite Mohamed Sarghini, Abdelhaï Diouri, Abdellah Dibaji, Abderrahmane Louidani, Mohamed Nakhla et Sadya Bairou. L'architecturalisme abstrait Dans cette direction, certains artistes associent dans leurs compositions des fragments de l'architecture à des signes arabo-islamiques et berbères. D'autres nous proposent des décors dénués de toute perspective, des plans superposés, tout en accentuant les effets de matière et de lumière. D'autres optent pour des constructions architecturales percées de fuyantes à la Viera da Silva, ou frontales à la Paul Klee, s'occupant surtout des contrastes lumineux. Parmi ces artistes, on cite Omar Afous, Mohamed Alem, Abdellah Hariri, Mohamed Moussik, Abdellah Sadouk, Hassan Moukdad, Hamid Kalmoune, Ahmed Jaride, Aziz Rakhsi, Hassan Bourkia et Mohamed Khassif. L'abstraction à visée d'intégration architecturale A première vue, les œuvres appartenant à cette direction sont des abstractions lyriques ou géométriques qui ont comme thématique le signe et les formes symboliques, mais le souci qu'ont leurs auteurs de les faire intégrer dans l'architecture leur commande des compositions architectoniques, et même un travail d'artisan et de bâtisseur. Ce sont des œuvres allant de la plastique pure à la matière, et même à la sculpture. Les artistes ici s'attaquent à toute sorte de matériaux d'architecture et d'éléments de décoration, entre autres, bois, métal, céramique, pierre et matières synthétiques. Parmi ces artistes, on cite Farid Belkahia (dans sa période de cuivre), Mohamed Chebaa (dans sa période d'abstraction géométrique), Mohamed Melihi, Abdelhaq Sijilmassi, Romain Atallah, Abderrahmane Rahoule, Hassan Slaoui, Azzam Madkour (dans sa période récente), Mohamed Nabili et Ikram Kabbaj.