Le président de la Cour des Comptes, Driss Jettou, a présenté mercredi 4 mai 2016, lors d'une séance commune des Chambres des représentants et des conseillers, le rapport relatif à l'action de la Cour des comptes au titre de l'année 2014. Ce rapport qui pointe une série de dysfonctionnements tire la sonnette d'alarme sur plusieurs aspects de la gestion publique. Plutôt alarmant, le rapport met essentiellement en garde contre l'augmentation inquiétante de l'endettement public, à travers toutes ses composantes. M. Jettou a également abordé la question épineuse et cruciale de la réforme des retraites, comme il a soulevé le cumul des arriérés des paiements, le faible taux de recouvrement des recettes, la difficulté d'exécution et d'autres problématiques qui pénalisent la bonne marche du pays. Tendance ascendante de la dette publique Ainsi, la Cour des Comptes recommande l'adoption d'une politique prudente vis-à-vis de la tendance ascendante de la dette publique dans toutes ses composantes. M. Driss Jettou a incité le gouvernement à redoubler d'efforts pour maitriser la hausse enregistrée dans le volume de la dette publique. Il a relevé que malgré la stagnation de la part des dettes du Trésor en ce qui concerne le produit intérieur brut PIB au niveau de 63,4 pc à fin 2015, la part de cette dette a poursuivi sa tendance ascendante au cours des deux dernières années, passant ainsi de 584,2 milliards de dirhams à fin 2014 à 626,6 milliards de dirhams à fin de l'année 2015, soit une une hausse de 42,4 milliards de dirhams de la dette du Trésor émise sur le marché intérieur. Par ailleurs, a expliqué M. Jettou, le volume de la dette extérieure du Trésor a connu une stagnation par rapport au niveau enregistré à fin 2014, soit près de 140 milliards de dirhams, alors que le service de la dette du Trésor a augmenté de 133 milliards de dirhams en 2014 pour atteindre 143 milliards de dirhams en 2015 sans enregistrer un changement dans son taux du PIB qui s'est situé à 14,5 pc. S'agissant de la dette publique, y compris celle bénéficiant d'une garantie de l'Etat, le premier président de la Cour des comptes a précisé que son volume a connu une hausse notable passant de 743 milliards de dirhams en 2014, à 807 milliards en 2015, soit une augmentation de 64 milliards de dirhams, ce qui représente 81,3 pc du PIB. En ce qui concerne les conditions du financement du Trésor, M. Jettou a indiqué qu'elles ont enregistré une amélioration notable en comparaison avec l'année 2014, rappelant que la durée de vie moyenne de la dette intérieure du Trésor a connu une hausse passant de 5 ans et 9 mois en 2014 à 6 ans et 3 mois en 2015, tandis que le taux d'intérêt lors de l'émission a enregistré une baisse importante de 4 ,27 pc à 3,8 pc entre les deux années. Dysfonctionnements au niveau des paiements du Trésor Le rapport de la Cour des comptes a, en outre, enregistré plusieurs dysfonctionnements au niveau des paiements du Trésor et des indicateurs des finances publiques, citant, à cet égard, deux éléments. Il s'agit, selon lui, du cumul des arriérés des paiements, précisant que les arriérés de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au profit des établissements et des entreprises publics sont passés de 8,7 milliards de dirhams en 2010 à 25,18 milliards de dirhams à fin 2015, soit 48 pc des recettes du budget de l'Etat de la TVA. Ces montants représentent des dettes de l'Etat envers les plus grandes institutions relevant du secteur public et qui jouent un rôle important dans le développement économique et social, a-t-il dit, précisant qu'il s'agit en l'occurrence de l'Office chérifien des phosphates (OCP), de la Société nationale des autoroutes du Maroc, de l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE), de l'Office national des chemins de fer (ONCF) et de la compagnie aérienne Royal air Maroc (RAM). L'échec du traitement de ces dettes est à même de limiter la capacité des institutions concernées à respecter leurs engagements financières et constitue aussi l'un des risques pouvant menacer les finances publiques, a averti M. Jettou. M. Jettou s'est attardé, dans ce sens, sur certaines mesures positives qui ont été prises dernièrement afin de réduire l'accumulation de la dette de cette taxe au profit des institutions et entreprises publiques, notamment l'octroi de crédits bancaires à l'ONEE et à l'ONCF dans le but d'atténuer les contraintes qu'impose la dette sur les obligations de ces deux institutions envers leurs contractuels, l'exonération de la TVA concernant les avions, les équipements et les pièces de rechange utilisées dans les opérations de réparation et d'importation de trains et des équipements ferroviaires, ainsi que l'application du taux normal de la TVA évalué à 20 pc sur les opérations de transport ferroviaire dans l'objectif de réduire la taxe imposée sur l'ONCF. La deuxième composante ayant trait aux déséquilibres identifiés, comprend l'arrêt d'une partie des subventions accordées par l'État aux Académies régionales de l'éducation et de la formation, soit un total de 8,9 milliards de dirhams à la fin de 2015, ajoute-t-il. Compte tenu des effets désastreux que peut engendrer cette situation, la Cour des comptes a appelé à traiter ces dettes dans des délais raisonnables afin d'assurer la stabilité de la situation financière des institutions publiques concernées, a tenu à rappeler M. Jettou. Malgré le fait que la marge d'intervention dans ce domaine semble étroite en raison de l'effet direct et double exercé sur le taux du déficit budgétaire et le volume de dette du Trésor, la Cour des comptes estime que le respect des obligations de l'État est en mesure d'apporter plus de liquidité au tissu productif national et de permettre à un grand nombre de petites et moyennes entreprises de bénéficier des sommes qui leur sont dues, ce qui les aidera à faire face aux contraintes financières qui constituent l'un des obstacles les plus importants auxquels elles sont confrontées, a indiqué Jettou. Régimes de retraite : Les réformes paramétriques proposées, insuffisantes Au volet des réformes paramétriques proposées pour les régimes de retraite, le rapport estime qu'elles sont "insuffisantes" malgré leur caractère "nécessaire et urgent", précisant que les réformes ne peuvent constituer qu'une étape préliminaire dans le cadre d'une réforme globale des systèmes de retraite. Il note que ces réformes, déclinées dans les projets de loi adoptés par le gouvernement et soumis au parlement, demeurent insuffisantes en dépit de leur nécessité. Dans ce cadre, M. Jettou a relevé que l'insuffisance de ces réformes s'explique par le fait que cette réforme paramétrique proposée n'englobe pas l'ensemble des régimes de retraites, mais elle se limite au volet civil de la Caisse marocaine de retraite (CMR), ne contribuant ainsi pas à favoriser un rapprochement entre les régimes de retraites même au sein du secteur public, ainsi que par le fait que la réforme paramétrique permettra seulement de réduire le déficit actuel dans la mesure où les cotisations resteront insuffisantes pour couvrir les engagements et payer les pensions. Ce déficit persistera et s'inscrira sur un trend haussier durant les années à venir, a dit le Premier président de la Cour des Comptes, ajoutant que l'aggravation du déficit des régimes de retraite est due essentiellement à la régression du facteur démographique à environ 2,5 pc seulement des adhérents actifs pour chaque retraité, en raison de la stagnation relative du nombre des adhérents actifs, qui n'a augmenté que de 15 pc seulement durant les 15 dernières années, ainsi qu'à l'augmentation enregistrée dans les salaires du secteur public, la hausse que connait la promotion et le nombre des cadres parmi les retraités, ce qui provoque une hausse importante de la valeur des pensions. Les réformes proposées pour les régimes de retraites n'ont pas traité les dispositions relatives à la retraite anticipée, qui permettent à chaque fonctionnaire ou auxiliaire ayant passé 30 ans de service effectif le droit d'obtenir une pension de retraite sans condition, a fait savoir M. Jettou, indiquant que le taux annuel des retraites anticipées qui ne dépassait pas 1.250 cas durant les neuf dernières années, a brusquement augmenté à plus de 7.500 cas en 2015, dont 85 pc relèvent du secteur de l'enseignement. Il aurait été plus judicieux de mettre une règle contraignante pour ne pas procéder à l'apurement des pensions qu'après l'âge légal de retraite comme c'est le cas de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) ou d'adopter une réduction adéquate pour préserver la neutralité de l'opération pour le système, a-t-il estimé. M. Jettou a appelé dans ce cadre l'ensemble des partenaires à se pencher avec profondeur sur cette problématique et à adopter des réformes de fond proposant des solutions efficientes et efficaces à long et moyen termes à même de préserver le système de retraite et d'améliorer sa pérennité et de réduire ses dettes tout en prenant en compte le pouvoir d'achat des adhérents et des retraités et les conditions de travail des employés et des fonctionnaires. Les initiatives de réforme de la fonction publique manquent de continuité Par ailleurs, les initiatives de réformes qui ont touché le système de la Fonction publique sont éparpillées et manquent de continuité à cause de l'absence d'une stratégie claire aux résultats bien définis, ainsi que d'un agenda pour assurer le suivi de sa mise en oeuvre, a indiqué le président de la Cour des comptes, notant que les résultats réalisés, sur le plan de l'efficacité et de l'efficience, "restent en dessous du niveau escompté". M. Jettou a souligné que la Cour se penche actuellement sur la finalisation d'une étude thématique sur le système de la fonction publique au Maroc faisant un diagnostic de la réalité de l'administration et comprenant le bilan des réformes les plus importantes qu'a connu le Royaume dans ce domaine, ainsi que les problématiques entravant la réalisation des objectifs escomptés. Dans ce cadre, M. Jettou a présenté les conclusions préliminaires de l‘étude notamment en ce qui concerne la situation actuelle de la fonction publique, notant que le nombre des fonctionnaires publics civils a atteint plus de 585.500 personnes en 2015, dont 90 pc sont concentrés dans cinq secteurs à savoir l'éducation, l'intérieur, la santé, la justice et les finances. Il ressort également de l'étude, a ajouté M. Jettou, que la répartition des fonctionnaires au niveau national "ne répond pas à la logique économique et démographique" en raison de la concentration des fonctionnaires dans certaines régions au détriment d'autres et de la mauvaise gestion dans l'exploitation des fonctionnaires dans certains secteurs comme celui de l'éducation ainsi que du phénomène d'absentéisme constaté dans la fonction publique. "Le secteur de l'éducation a enregistré en 2014 un total de 636.400 jours d'absence (justifiés et non justifiés), soit, l'absence de près de 4.000 enseignants tout au long de l'année scolaire", a encore fait observer M. Jettou. Augmentation de la masse salariale 47% en sept ans Concernant la masse salariale, le premier président de la Cour des comptes a relevé qu'elle a connu une augmentation de 47 pc entre 2008 et 2015, alors que le nombre des fonctionnaires a également enregistré une hausse de 8,5 pc. Ainsi, a-t-il expliqué, le taux annuel de l'augmentation de la masse salariale a atteint 5,6 pc lors de cette période, ajoutant que la masse salariale s'est située à 120 milliards de dirhams en 2015, y compris les contributions de l'Etat dans les régimes de la retraite et dans les organismes de prévoyance sociale. Selon lui, la réforme des politiques de recrutement, de formation, d'évaluation et de promotion ne peut être envisagée séparément de la réforme du régime des salaires et doit être menée en relation avec les statuts qui n'ont pas connu à leur tour de réforme depuis 1973. 43 arrêts et jugements en matière de discipline budgétaire et financière en 2014 Les juridictions financières ont rendu, au cours de l'année 2014 et conformément aux attributions judiciaires qui leur sont dévolues par la loi, 43 arrêts et jugements en matière de discipline budgétaire et financière, a indiqué le Premier président de la Cour des comptes, Driss Jettou. Au cours de cette année, le Parquet général a lancé la procédure de poursuite devant les juridictions financières à l'encontre de 46 responsables et auxiliaires, a noté M. Jettou soulignant que la Cour a procédé en 2015 à la publication de modèles d'arrêts relatifs à cette compétence. En matière des comptes des comptables publics, M. Jettou a précisé que 1194 arrêts et jugements ont été rendus, rappelant que cette compétence a été marquée par la création, l'année précédente, d'une Chambre compétente au niveau de la Cour des comptes et qui a été dotée des ressources humaines nécessaires lui permettant d'adopter une approche nouvelle basée sur le contrôle intégré "qui ne se limite plus à conduire le contrôle sur la base des comptes du comptable public, mais vise également à s'assurer de l'exécution des opérations sur le terrain". Outre la publication d'un certain nombre d'arrêts portant sur la responsabilité des comptables publics, M. Jettou a souligné que l'action de cette Chambre a permis de localiser certains dysfonctionnements à caractère pénal et qui ont été soumis au ministre de la Justice, outre quelques cas nécessitant des poursuites en matière de discipline financière, et dont la procédure y afférant est toujours en cours. Selon M. Jettou, la Cour des comptes dispose d'une Chambre compétente en matière d'appel aux jugements issus des Cours des comptes régionaux qui ont prononcé 50 arrêts d'appel en 2014 et 2015, tandis que 30 dossiers en cours d'instruction seront traités cette année. S'agissant des chantiers sur lesquels la Cour des comptes devra s'atteler, M. Jettou a évoqué la mise en oeuvre de la loi organique relative à la loi des finances, notamment les dispositions ayant conféré à la Cour des comptes les prérogatives d'approbation des comptes de l'Etat, faisant savoir que la Cour a mis en place des équipes de travail en vue de renforcer les compétences et disposer de références scientifiques et pratiques s'inspirant des expériences pionnières en la matière. A cet égard, la Cour prévoit d'asseoir des partenariats institutionnels dans le cadre du jumelage avec un groupe d'instances de contrôle des finances publics de l'Union européenne, dans le but de mettre sur pied les normes nécessaires et d'adopter la méthodologie appropriée à la réalité des services publics, dont les comptes seront soumis au processus d'approbation, a précisé M. Jettou. Dans l'exercice de l'ensemble de ses prérogatives conformément aux normes en vigueur, la Cour a procédé au développement de ses ressources humaines en les dotant de nouvelles compétences spécialisées en fonction des besoins, a-t-il rappelé, précisant que cette action ambitionne de diversifier les ressources humaines et partant, parvenir à une complémentarité qualitative entre les magistrats en exercice et ceux que la Cour prévoit de recruter.