A moins d'un mois de la désignation du successeur de Joseph Blatter, les cinq candidats à la présidence de la Fifa, de peur de s'aliéner certains électeurs, ne répondent pas aux véritables enjeux, selon des experts qui jugent l'élection très ouverte, pour la première fois depuis longtemps. Le 26 février, qui succédera à Sepp Blatter, président démissionnaire et suspendu ? Deux favoris se détachent: l'Italo-Suisse Gianni Infantino, secrétaire général de la puissante UEFA, et le Cheikh bahreïni Salman, patron de la Confédération asiatique, qui vient de signer un accord de coopération avec la Confédération africaine (CAF). Trois outsiders ont plus de mal à exister, le Prince jordanien Ali, candidat malheureux en mai face à Blatter, le Français Jérôme Champagne, ancien secrétaire général adjoint de la Fifa, et l'homme d'affaires sud-africain Tokyo Sexwale. «Aucun candidat ne s'attaque aux vrais problèmes» Si la plupart des postulants ont présenté des programmes détaillés, Infantino ayant même dévoilé lundi à Wembley le plan des 90 premiers jours de sa présidence, «les candidats ne peuvent aller trop loin de peur d'aliéner certains grands électeurs, comme pour les candidats à la présidence française ou américaine», analyse Jean-Loup Chappelet, professeur de management public à l'Université de Lausanne et spécialiste des organisations sportives. «Il est bien de faire connaître son programme mais il s'agit aussi d'élire une personnalité capable de mettre en oeuvre des réformes rapidement et qui est crédible», juge encore M. Chappelet, pour qui «un bon dossier est nécessaire, mais pas suffisant, comme pour une ville candidate aux jeux Olympiques». L'Anglais Patrick Nally, l'un des pionniers du marketing sportif, est plus radical: «Malheureusement aucun des candidats ne s'attaque aux vrais problèmes (de la Fifa) et ne répond aux vraies questions. (...) C'est une campagne ennuyeuse et très décevante, sans aucun leader charismatique», juge-t-il encore, estimant que les candidats «livrent ce que les fédérations membres veulent entendre et évitent à tout prix la controverse». Parmi les propositions, des réformes de la gouvernance, largement inspirées des recommandations de la commission des réformes de la Fifa, la poursuite ou l'accroissement des aides au développement du foot et «un engagement à plus de transparence, ce qui ne peut être qu'une bonne chose», souligne le juriste britannique Sean Cottrell. Autre mesure phare, défendue par Infantino mais repoussée notamment par Champagne, le passage à un Mondial à 40 équipes, contre 32 aujourd'hui. «L'augmentation du nombre d'équipes est une vieille revendication des fédérations, rappelle M. Chappelet. Qui risque de réduire le nombre de candidatures dans la mesure où il faut plus de stades, à moins de l'organiser sur plusieurs pays comme l'Euro-2020. Mais il faut d'autres réformes, que l'on peut qualifier de gouvernance ou pas». Une élection «très ouverte» Pour M. Nally, la répartition des voix et le poids élevé des confédérations asiatique et africaine ont «un impact sur l'approche des candidats, la plupart continuant à faire des promesses de riches plutôt que de s'attaquer aux vrais et inquiétants défis auxquels la Fifa doit faire face pour survivre». A l'origine du premier grand contrat de parrainage entre Coca Cola et la Fifa en 1974, M. Nally estime encore que «les réformes devront venir des partenaires extérieurs». «Il y a une grosse différence entre identifier un problème et proposer une solution», renchérit M. Cottrell. Mais avant même de se pencher sur l'après-élection, les experts plaident aussi pour une campagne plus équitable, avec un meilleur contrôle des dépenses, voire un retrait temporaire de leur mandat pour les candidats en poste, ce qui s'appliquerait à Infantino et Salman. «Ce serait une bonne réforme à édicter par la commission d'éthique, estime M. Chappelet, qui souligne cependant que «même en Suisse le financement des partis et des élections n'est pas transparent». «La transparence devrait être la priorité dans une telle élection», insiste M. Cottrell. Pour autant, en l'absence forcée de Blatter, réélu quatre fois depuis 1998, M. Chappelet juge cette élection «très ouverte, pour la première fois depuis longtemps». «Si le cheikh Salman arrive à convaincre Infantino de collaborer sur un ticket commun, c'est dans la poche pour eux, pronostique Patrick Nally. Si Infantino veut y aller seul, cela se réduira à un duel face à Salman.»