Question : Votre victoire électorale présidentielle avait déclenché une énorme vague d'espoir. Aujourd'hui, cet espoir s'est transformé en désillusion. Comment expliquez-vous cet état de choses ? Macky Sall : Je serais beaucoup plus positif dans mon jugement. Certes, l'impatience est une réalité. Elle peut être observée dans tous les pays du monde ! Toutes les nations vivent des moments difficiles. La situation économique est compliquée partout, y compris dans les grands pays industrialisés. Vous pouvez imaginer que la situation soit encore plus tendue pour un pays en développement et sans ressources naturelles. Et pourtant, je peux vous dire que nous travaillons chaque jour à réduire les difficultés de la population. Nous agissons pour soulager les souffrances, en particulier celles des plus vulnérables. Notre politique se concrétise avant tout dans la protection de nos populations. Avec cet objectif à l'esprit, les prix n'ont pas été augmentés depuis le 2 Avril 2012 (date de l'élection du président). Vous, bien sûr, pouvez être conscients des pressions de l'inflation sur l'économie. Pourtant, nous l'avons contenue dans ses moindres proportions.. Nous pouvons même dire que lorsqu'il s'agit de prix à la consommation, les prix des biens essentiels ont diminué, de sorte que nous sommes effectivement en déflation. C'est désormais absolument concret chez nous. A cela, nous avons également pris des mesures en faveur des salariés en réduisant l'impôt sur le revenu. Cette initiative est une autre façon de stimuler la consommation. En tant que telle, cette réduction d'impôt a été populaire parmi la grande majorité des syndicats et des travailleurs ! je fais allusion à des résultats palpables et incontestables. Pour obtenir une image plus complète, nous devons aussi tenir compte de la baisse des loyers, ainsi que tous les efforts déployés pour étaler notre filet de sécurité sociale. Question : Et pourtant, l'homme ou la femme sénégalaise dans la rue ne ressent pas d'avantages ... Au contraire, je pense que votre impression optimiste ne reflète pas la réalité dans laquelle la majorité des Sénégalais vit. Macky Sall : Bien sûr, il y a des problèmes; tout le monde le dit ! Il ne serait pas utile de faire semblant que tout va bien, que nous vivons dans un Eldorado. Ce n'est pas la position que je prends ici, mais il faut reconnaître qu'il y a des améliorations.Un certain nombre de mesures a été pris pour aider les agriculteurs, les éleveurs et les paysans. Nous avons également mis en place des soins de santé universels gratuits. Nous avons également subventionnés le renouvellement des semences. Naturellement, tout ne peut pas réussir dans seulement un ou deux ans, mais on ne peut pas dire que la situation s'est détériorée. Question : Tout le monde sait que le Sénégal a besoin de réformes profondes. Le pays est-il vraiment réformable ? Macky Sall : Il y a un paradoxe dans cet empressement à demander des réformes, quand- dans le même temps- il y a un refus de rompre avec le statu quo. Lorsque vous décidez de conduire une politique d'austérité et de réduire les dépenses publiques dans les secteurs non productifs, vous êtes en danger de conflit d'intérêts. Par conséquent, vous créez de la friction ! Nous essayons de déterminer quelle est la vitesse appropriée pour dévoiler les réformes, en gardant à l'esprit la nécessité de préserver le climat social. Nous nous dirigeons vers ce que nous avons convenu avec la majorité du peuple sénégalais, à savoir ‘ « le Plan urgent du Sénégal », ou ce que d'autres appellent : « Le cadre de développement du Sénégal », qui est approuvé par la communauté internationale. Évidemment, le financement de ce cadre dépend également de la mise en œuvre de ces réformes; de sorte que nous nous sommes lancés dans ce sens ! Par exemple, nous avons effectué un audit du secteur public et obtenu des résultats concrets. Nous avons récupéré plus de 6 milliards de francs (12 M $) qui avaient été attribués fictivement. Nous avons également procédé à une vérification des subventions. Nous avons, aujourd'hui, le contrôle de la fonction publique. Dans le secteur industriel, nous avons appliqué la formule audit appelée « paie-surveillance», pour surveiller et contrôler les dépenses, ce qui augmente le rendement du capital. Aujourd'hui, les applications d'investissement ont considérablement augmenté. Et, pour la première fois, 62% du budget d'investissement global proviennent du fonds consolidé du revenu ( budget consolidé d'Investissements ( BCI ) ). Question : Pourquoi un investisseur vient au Sénégal au moment où la mise en œuvre des réformes reste lente et la résistance à ces réformes est très forte ? Macky Sall : Non, les réformes ne sont pas au ralenti. Je réfute totalement cette idée. L'Indice Ibrahim 2014 de la gouvernance africaine (IIGA) vient de classer le Sénégal 9ème sur les 52 pays d'Afrique ! Ce n'est pas un mince exploit! En termes de démocratie et de réforme des systèmes de gestion et de gouvernance, nous avons réussi à monter haut dans l'échelle de l'indice: nous nous sommes classés 10ème l'an dernier. Autre remarque : notre saut est qualitatif en termes de réformes de l'environnement des affaires, et de réduction de la bureaucratie pour faciliter l'accès des investisseurs à la terre et à la propriété. Dans l'industrie agro-alimentaire, nous avons pris des mesures incommensurables, des mesures que personne d'autre dans la majorité des pays africains n'a osé prendre : Les divulgations d'actifs des fonctionnaires publics sont devenus une réalité: le projet de loi a été adopté, le décret sera bientôt finalisé et publié. Je dirai ceci pour souligner la bonne gouvernance des dépenses publiques optimales. Oui, sûrement, nous avons fait des progrès indéniables. Il y a encore beaucoup à faire, je suis d'accord avec vous ... Nous ne pouvons pas changer fondamentalement un pays en deux ans. Donnez-lui le temps! Question : Durant vos deux ans et demi en tant que président, vous avez changé votre cabinet à trois reprises. Votre nouvelle équipe correspond-elle à votre rythme et à votre désir de dynamiser l'action gouvernementale ? Macky Sall : Bien oui, les remaniements ministériels font partie de la vie institutionnelle. Sinon, vous ne pourriez pas juger des actions d'un gouvernement. Je pense que, après deux remaniements, nous avons un profil de cabinet plus cohérent et fort satisfaisant, de manière plus complète. Donc, je suis absolument satisfait de cette nouvelle équipe. Ceux qui ont quitté avaient fait tout ce qu'ils pouvaient, mais quelque part au cours du processus, et pour diverses raisons, la nécessité de changer une personne ou un autre s'est faite sentir, dans la mesure où c'est le Président de la République qui conçoit la politique de son cabinet. Le changement de personnes ne définit pas la politique. Question : Vous incarnez la vision que vous avez de longue date et développé avant votre élection, mais dans le domaine de la bonne gouvernance et la transparence, où sont les améliorations ? Par exemple, nous avons vu que dans la lutte contre la corruption, les erreurs ont été faites dans la préparation des dossiers, en particulier celui de Karim Wade ... ? Macky Sall : J'aurais été plus heureux si vous aviez choisi un exemple précis où une telle erreur avait été reconnue. Nous ne voulons pas être manipulés. Je sais que je parle avec un journaliste, donc je suppose que vous avez toutes les informations. Dire qu'il y a eu de la précipitation est un jugement précipité ! En réalité, c'est tout le contraire qui s'est produit. Les vérifications que j'ai commandées sur ces questions n'ont pas encore été publiées. Tout ce qui se fait actuellement et défini à partir de précédents résultats d'audits que nous a laissés l'ancien gouvernement. Ils sont le résultat du travail effectué quand je n'étais pas encore président. Certes, les procédures judiciaires n'ont pas toujours été suivies. Nous avons remis les fichiers sur le système de justice en temps voulu. Il n'y avait aucune précipitation et aucune chasse aux sorcières. Question : Aujourd'hui, quelles sont vos plus grandes préoccupations et vos défis ? Macky Sall : La question la plus urgente est de conduire le Sénégal vers le développement. Et pour ce faire, j'ai défini un cadre économique, qui est le Plan Urgent du Sénégal, qui s'appuie sur des piliers stratégiques très bien définis. Le premier repose sur la transformation des systèmes de production économique et il tourne autour de secteurs porteurs de croissance et stimulateurs comme l'agriculture – un secteur cardinal -, l'infrastructure, le développement de partenariats publics-privés, le secteur de l'énergie et des infrastructures de transport (routes, chemin de fer...). Nous pourrons appeler ce 1er pilier dans le Plan urgent pour le Sénégal : « la transformation du système de production nationale". Mais un cadre, quelle que soit son ambition, est sans valeur s'il ne comprend pas une dimension humaine. Question : Précisément, comment allez-vous avancez vers cette «révolution culturelle», ou plutôt, cette «révolution des mentalités", et imposer cette nouvelle vision ? Macky Sall : Nous y sommes sans réserve. Ce n'est plus une question de déclarations ou de projections. Nous sommes déjà sur ce chantier grâce à la mise en application des termes du PUS. Et je peux vous dire que dans la ligne, avec le 1er pilier qui concerne l'agriculture, nous avons fait des choix fondamentaux : atteindre l'auto-suffisance en riz dès 2017 est l'un d'entre eux. Bien sûr, je suis conscient que c'est très ambitieux. Aujourd'hui, nous produisons 400.000 tonnes de riz. Nous devrons atteindre 1,6 million de tonnes. Et dans cet esprit, nous allouons les ressources appropriées dans le budget. Pour la première fois, le nouveau budget pour l'exercice 2015, qui a été examiné le 10 octobre 2014, a conduit à une réunion extraordinaire du Conseil des ministres pour permettre aux ministres d'apprécier la philosophie qui sous-tend l'examen du budget. Tout d'abord, il s'agit de la réalisation de projets de croissance stimulateurs qui représentent des choix que nous avons fixés dans le ‘‘Plan urgent du Sénégal'' et de la détermination de la forme que nous aimerions donner à notre plan de développement. Concrètement, en ce qui concerne l'agriculture, nous mettons en place de nouvelles terres, jusqu'à 60.000 hectares. Je vais bientôt aller en personne dans la vallée du fleuve du Sénégal pour voir moi-même ce qui a été réalisé en 2014... Notre coopération avec l'Inde sera au cœur de la «révolution verte». À ma demande, le Sénégal a déjà investi environ 65 milliards de CFA (127 millions de dollars) sur deux ans, pour augmenter les zones de production et de les moderniser. Je pourrais en dire autant de l'énergie. Question : En effet, l'énergie est une question essentielle qui pèse lourdement sur le fonctionnement de l'économie: Comment abordez-vous une telle question critique ?
Macky Sall : Énergie ... Je suis en fait très heureux d'en parler. C'est un domaine que je connais bien en tant qu'ancien ministre de l'Énergie et en tant que géologue de formation, ayant travaillé dans ce secteur. C'est une opportunité qui court à travers toute l'Afrique; et une question que le Sénégal n'a pas esquivée. Nous avions un vieux système soutenu par des générateurs utilisant des turbines à gaz vielles de 25 à 30 ans ou du carburant diesel. Ces générateurs - dont la plupart utilisait des turbines à gaz et dont d'autres fonctionnaient avec du carburant - étaient très chers. La solution était de se tourner vers l'hydro-électricité. Nous avons opté pour un mix énergétique, afin de ne pas dépendre d'une seule source d'énergie. Si nous étions dépendants des produits pétroliers, avec toutes leurs variations erratiques, nous serions aujourd'hui avec un grand désavantage. Donc, ce mélange de sources d'énergie permet une plus grande diversification des produits. Ainsi, nous avons introduit le charbon qui répond mieux aux normes environnementales d'aujourd'hui. Nous avons travaillé avec les organisations responsables du développement du bassin du fleuve du Sénégal dans une tentative d'augmenter sa capacité hydraulique. Nous avons également travaillé sur un projet régional pour l'énergie solaire avec la Mauritanie. Et c'est la combinaison de toutes ces sources qui assureront que d'ici la fin de 2015, nous allons mettre au moins 500 mégawatts sur le marché. Lorsque j'ai été élu, je n'ai trouvé que 490 mégawatts. Nous allons ajouter 500 nouveaux mégawatts. Et dans cet élan, plusieurs projets sont en cours d'exécution. Voici une autre amélioration tangible : des investissements ont été réalisés par le secteur privé. Cela signifie qu'il y a de la confiance dans le pays et dans sa politique énergétique. Il s'agit de producteurs indépendants et pour cela nous avons instauré un cadre réglementaire et législatif pour le secteur de l'énergie. Nous sommes sur la bonne voie, même si tout ne peut pas être atteint immédiatement. Il serait de la pure démagogie que de prétendre le contraire. L'autre priorité aux yeux du peuple sénégalais est celle de l'emploi. Nous y reviendrons. Entretien réalisé par Hichem Ben Yaïche Traduit de l'anglais par Abdellatif Mouhtadi A partir de The New African Avril 2015