Exit l'euphorie populaire. Oubliés l'engouement et l'apothéose au lendemain du triomphe de Macky au scrutin présidentiel. Place au travail. Après avoir exprimé leur voix, les Sénégalais réclament leurs droits. Dans leur cahier de doléances, une multitude de revendications. Durant le second tour de la présidentielle, Macky Sall a axé une bonne partie de sa campagne électorale sur un point : la réduction des prix des denrées de première nécessité. Conscient que le volet social a été un talon d'Achille de la politique du régime de Wade, il a peaufiné une stratégie de renard pour séduire. Chose promise, chose due. Momar Ndao, président de l'Association des consommateurs sénégalais (ASCOSEN) lui rafraîchit la mémoire. « Le nouveau président doit respecter les promesses qu'il a faites lors de la campagne électorale à savoir la réduction des prix des denrées de première nécessité comme l'huile, le sucre et le riz ». Mieux, cette vague de diminution doit aussi concerner « les autres produits tels que le lait, le gaz butane de même que le pain. Il devra aussi s'atteler à diminuer les coûts de santé à travers son projet sur la couverture médicale universelle », ajoute-t-il. Qui dit consommation, dit pouvoir d'achat. Et qui dit pouvoir d'achat, pense à l'économie, surtout une économie qui repose sur des piliers solides. Les évènements post-élections qui ont émaillé le landerneau politique sénégalais ont probablement dissuadé des bailleurs. Il urge donc pour le nouveau régime de « consolider la stabilité politique et sociale pour motiver les investisseurs étrangers. Il faut bâtir un Etat moderne qui va veiller à la sécurité juridique et sociale des entreprises », confie Mor Talla Kane, directeur exécutif de la Confédération nationale des entrepreneurs du Sénégal (CNES). Attirer les investissements c'est bon, mais intégrer les entreprises nationales dans le circuit ne serait pas non plus une mauvaise chose. « Le patriotisme économique doit aussi être renforcé. Il faut encourager l'expertise locale dans les grands domaines comme le secteur des BTP où elle est un peu en rade. Cela passe d'abord par la formation des ressources humaines de qualité. La collaboration privé-public et opérateurs économiques sénégalais et étrangers devrait être encouragée », suggère-t-il. Le secteur secondaire, et singulièrement l'agriculture, demeure l'un des poumons économiques du Sénégal. Environ 70 % de Sénégalais évoluent dans le secteur qui est confronté à plusieurs handicaps comme le retard dans la distribution des semences aux paysans. Pour rectifier le tir, Benoît Sambou, ministre de l'Agriculture et de l'équipement rural, doit « favoriser l'octroi d'intrants nécessaires aux agriculteurs pour booster la culture de l'arachide, écouler les productions rizicoles qui souffrent de problèmes de commercialisation, et redynamiser l'élevage. Le nouveau régime doit aussi encourager l'exploitation du phosphate, de l'or de Sabadola et le secteur cotonnier », constate Mane Touré Niang, journaliste économique à Radio Futurs Médias (RFM). Elle propose en outre la délocalisation des activités économiques à travers une « décentralisation des unités de production dans les autres régions ». Santé pour tous ! Pour bien manger, il faut avoir une bonne santé. Les nutritionnistes ne me démentiront pas. Les malades non plus. Au Sénégal, le secteur de la santé ressemble à un grand corps malade. Mais il existe des médicaments pour son rétablissement. « L'Etat doit octroyer au secteur 15 % du budget national, favoriser une accessibilité financière et géographique aux plus démunis et augmenter les subventions pour les hôpitaux pour épurer leurs dettes. Il doit aussi revoir le recrutement du personnel en privilégiant l'excellence. », prescrit Mballo Dia Thiam, secrétaire général du Syndicat unitaire des travailleurs de la santé et de l'action sociale (SUTSAS-SAS), Et la couverture médicale universelle promise par Macky ? « Elle est réalisable. Mais cela nécessite la participation des grosses fortunes du pays et une bonne collecte des impôts ». Il ne sert à rien d'être en bonne santé tout en sachant que notre intégrité physique et morale est menacée. Que nos droits sont bafoués. Or « durant le régime de l'alternance, le Sénégal a été un orphelin des droits de l'Homme. Il n'y a pas eu de politique réelle à ce niveau. On a constaté une impunité flagrante, une justice instrumentalisée et des atteintes graves de vies humaines », se rappelle Me Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits de l'Homme (LSDH). A l'entendre, rien ne doit plus être comme avant. « Nous attendons de lui une refondation des valeurs démocratiques et des droits humains. La justice doit être le rempart des libertés. Le président Macky doit mettre fin à la politique d'impunité et mettre à la disposition de la justice, toute personne citée dans les atteintes aux droits de l'Homme, fusse-t-elle des forces de l'ordre ou des proches de son régime ». Plusieurs personnes comme Mamadou Ndiaye, Mamadou Diop et Malick Bâ ont perdu la vie à la veille des joutes électorales, au cours des manifestations anti-Wade. Aujourd'hui, leurs familles rompent le silence. Ils ont déposé des plaintes pour réclamer justice. Me Ndiaye expose la même plaidoirie. « Les familles des victimes ont déposé leurs plaintes. On doit laisser la justice faire son travail. Les responsables doivent être ciblés et les coupables punis ». Il n'exclut pas « une justice transitionnelle », à condition que celle-ci soit basée « sur la recherche de la vérité ». Le nouveau ministre de la Justice Aminata Touré a promis de mettre fin à l'impunité. Eriger la transparence Le nouveau Président sénégal, Macky Sall (d.), accompagné de son Premier ministre, Abdoul Mbaye (c.) et le ministre d'Etat Amath Dansoko, le 12 avril à Dakar, à la sortie de la première réunion du conseil des ministres. Faire la vérité sur la gestion du régime libéral, c'est ce que recommande le Forum civil, le représentant de l'ONG Transparency International au Sénégal. En principe, cet exercice ne devrait pas être un mystère pour le nouveau locataire du palais car « en tant que maire de Fatick, Macky Sall avait participé à notre programme de certification locale dédiée à la gouvernance transparente dans les collectivités locales. », se souvient Mouhamadou Mbodji, coordonnateur du Forum civil. En vertu de son engagement, il doit dépoussiérer plusieurs dossiers qui seraient accablants pour l'ancien régime. « Le président Macky Sall doit procéder à l'audit de plusieurs programmes qui ont été initiés par le régime précédent ; l'Agence nationale pour l'organisation de la coopération islamique (ANOCI), le financement de la construction de l'aéroport international Blaise Diagne de Dias (AIBD), l'organisation du Festival mondial des arts nègres, etc », ajoute-il. Le Sénégal fait partie des mauvaises élèves dans l'école de la transparence. Dans le rapport sur la bonne gouvernance publié en 2011 par Transparency International, Dakar passe de la 72e à la 112e place. Pis, plus de 700 milliards de FCFA auraient été placées dans les pays du Golfe. Suffisant, selon Mbodji, pour « jeter la lumière sur les scandales de corruption, le détournement des biens publics, l'enrichissement illicite car les populations doivent être informées sur l'utilisation des deniers publics. » Réformer la justice C'est l'un des défis majeurs de Macky Sall. La validation de la candidature controversée de Wade par le Conseil constitutionnel a suscité une levée des boucliers. Beaucoup de juristes suggèrent aujourd'hui de profondes modifications en son sein. Le Professeur Ababacar Gueye, Docteur en droit, délivre les siennes. Primo, « revoir le mode de recrutement des membres du Conseil constitutionnel. Ces nominations ne doivent plus seulement émaner du président de la République. D'autres personnalistes, comme le président de l'Assemblée nationale, doivent intervenir dans le choix. Le nombre des magistrats (qui est actuellement de cinq) doit être élargi à sept ». Secondo, « diversifier les membres de cette instance en y intégrant d'autres spécialistes du droit. En outre, les compétences du Conseil doivent aussi être élargies. En plus des compétences d'attribution, ils doivent avoir des compétences générales pour mieux interpréter les dispositifs de la charte fondamentale ». L'immixtion de l'exécutif dans le judiciaire durant le magistère d'Abdoulaye Wade a été décriée. Pour ne pas revivre les mêmes scenarii, Ababacar Gueye plaide pour une séparation stricte des pouvoirs. « On doit couper le cordon ombilical entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif pour permettre aux magistrats d'être indépendants dans leur travail ». Assainir la presse La justice, la presse sénégalaise s'y est frottée à maintes reprises avant l'arrivée de Macky. Plusieurs journalistes ont visité les locaux de la Division des investigations criminelles (DIC). Certains ont croupi dans les geôles. Les plus chanceux ont recouvré la liberté provisoire. Pour autant, la dépénalisation des délits de presse ne doit pas être légiférée. A en croire Alassane Samba Diop, directeur de la Radio Futurs médias, « Les journalistes, vu leur rôle sensible et la noblesse du métier, doivent être responsables en respectant les règles d'ethnie et de déontologie du métier ». Les dérives de la presse sont souvent le résultat d'un déficit de formation de certains journalistes. D'où l'urgence de voter « le nouveau code de la presse qui dort dans les tiroirs de l'Assemblée nationale sera enfin voté. L'abrogation de ce texte va assainir le milieu de la presse car il définit le journaliste comme celui qui a obtenu un diplôme de journaliste reconnu dans un établissement reconnu par l'Etat ». D'après lui, le texte va assainir le secteur des médias car « on constate qu'aujourd'hui les rédactions comptent beaucoup de personnes formées sur le tard ». Sauver l'école Cette formation, soulevée par Alassane Samba Diop, est dispensée par les enseignants. Mais depuis le début de l'année universitaire, ces formateurs et leurs collègues du secondaire observent régulièrement des mouvements de grèves. L'école sénégalaise va de mal en pis. Les potaches et étudiants sont en otage. Toutefois, il n'y a pas de péril en la demeure si l'Etat définit une politique éducative claire, rassure Seydi Ababacar Sadikh Ndiaye, secrétaire général du Syndicat autonome des enseignants du supérieur (SAES). D'abord « augmenter le budget alloué aux universités et achever les constructions pédagogiques ». Ensuite « construire une deuxième université à Dakar et recruter des professeurs-assistants ». Enfin et surtout « organiser des Assises générales sur l'éducation nationale et faire des projections sur les dix prochaines années ». Les dossiers s'amoncellent. Après les promesses, l'heure est aux actes. Les Sénégalais espèrent que leurs doléances ne tomberont pas dans l'oreille d'un sourd. C'est au pied du mur qu'on juge l'œuvre d'un maçon. Macky et son sérail son avertis !