Pas moins de quarante-cinq recommandations « pour des élections plus inclusives et plus proches des citoyens » ont été formulées par le CNDH (Conseil national des droits de l'Homme) dans un mémorandum rendu public dernièrement, et qui se réfère dans sa démarche aux conventions internationales relatives aux droits civils et politiques, aux droits des personnes handicapées, aux droits de l'enfant, ainsi qu'aux recommandations du Conseil consultatif des droits de l'Homme (CCDH) présentées dans ses rapports d'observation des élections législatives de 2007 et des élections communales de 2009, et à ses propres recommandations présentées dans ses rapports d'observation du référendum constitutionnel du 1er juillet et des élections législatives du 25 novembre 2011. Le CNDH estime que le défi d'élections inclusives passe par une refonte substantielle du cadre juridique régissant les élections en vue d'atteindre les objectifs à caractère constitutionnel suivants : - La réalisation de la parité entre hommes et femmes qui requiert, entre autres, l'établissement par la loi de dispositions de nature à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives, « tant pour ce qui concerne les candidatures qu'au niveau du scrutin » ; - La généralisation de la participation de la jeunesse au développement social, économique culturel et politique du pays tel qu'énoncé par l'article 33 de la Constitution ; - La réhabilitation et l'intégration dans la vie sociale et civile des personnes en situation de handicap, ainsi que la facilitation de leur jouissance effective des droits et libertés reconnus à tous. En proposant ses recommandations générales portant sur le cadre juridique des élections et de la gouvernance territoriale, le CNDH s'estime légitimement intéressé par le débat public concernant la révision du cadre juridique des échéances électorales prévues au titre de l'année 2015. Ainsi, le CNDH propose-t-il dans son mémorandum d'amender la loi 57.11 relative aux listes électorales générales afin d'inscrire sur les listes électorales, et uniquement au titre des élections communales : - Les membres des Forces armées royales (FAR) de tous grades, en activité de service, les agents de la force publique ainsi que toutes les personnes investies, sous une dénomination et dans une mesure quelconque, d'une fonction ou d'un mandat, même temporaire, rémunéré ou non, et qui concourent, à ce titre, au service de l'administration des collectivités territoriales, des établissements publics ou d'un service public de quelque nature qu'il soit et qui sont autorisées à porter une arme lors de l'exercice de leurs fonctions ; - Tous les étrangers résidant régulièrement au Maroc pendant une période qui ne peut être inférieure à 5 ans. Le CNDH souligne que cette recommandation s'inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre des dispositions de l'article 30 (§4) de la Constitution. Le Conseil recommande que la loi 57.11 précitée prévoie une nouvelle définition du lieu de résidence aux fins uniquement de la législation électorale, en vue de : - Inscrire les résidents des locaux d'habitation temporaire (ex : caravanes, containers et autres types d'habitat précaire) sur les listes électorales des communes où sont situées ces habitations ; - Permettre aux détenus non frappés d'incapacité électorale sur les listes électorales qui le souhaitent de s'inscrire dans les communes où sont situés les établissements pénitentiaires où ils sont placés ; - Permettre aux étudiants qui suivent régulièrement des cours de formation initiale qui le souhaitent de s'inscrire sur les listes électorales des communes où sont situés les établissements au sein desquels ils suivent leurs études. Le CNDH propose, par ailleurs, d'organiser des campagnes de sensibilisation en vue d'inciter les personnes résidant dans les établissements de protection sociale, régis par la loi 14.05 de s'inscrire sur les listes électorales des communes o sont situés ces établissements. Pour permettre ˆ certaines catégories d'électeurs l'exercice effectif de leurs droits électoraux le CNDH propose d'amender la loi 88.14 relative à la révision des listes électorales générales afin de permettre : - La mise en place de bureaux itinérants pour faciliter l'inscription des populations nomades dans les communes prévues par le Décret N¡ 2-08-736 du 2 moharrem 1430 (30 décembre 2008) fixant la liste des communes situées dans les aires de nomadisme ; - L'aménagement de bureaux temporaires au sein des établissements pénitentiaires pour inscrire les détenus non frappés d'incapacité électorale sur les listes électorales ; - Une inscription plus facile des personnes en situation de handicap (assistance, communication adaptée). Le CNDH recommande enfin que le Décret N¡ 14.857 du 18 décembre 2014 pris en application de la loi 88.14 prévoit des délais spéciaux pour l'inscription des électeurs résidant dans des zones montagneuses et difficiles d'accès. Pour une représentation équitable Le CNDH propose d'introduire au niveau de l'article 129 de la loi organique 59.11 relative à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales une disposition qui prévoit au niveau des communes soumises au scrutin uninominal que l'écart de la représentation (le nombre d'habitants pour un élu) entre les circonscriptions ne doit pas dépasser 15% , à l'exception des communes situées dans des zones montagneuses, difficiles d'accès ou à faible densité de population, qui peuvent bénéficier d'une discrimination géographique positive. Le CNDH recommande par ailleurs de : - Réviser l'article 74 de la loi organique 59.11 pour assurer une représentation équitable de la population au niveau des conseils régionaux, sachant que les écarts prévus actuellement par la loi organique en vigueur varient entre 1 siège pour 7575,75 habitants dans les régions dont le nombre d'habitants est égal ou inférieur à 250 000, et 1 siège pour 60 000 habitants dans les régions dont le nombre d'habitants est égal ou supérieur à 4 500 000 ; - Réviser l'article 103 de la loi organique 59.11 pour assurer une représentation équitable de la population au niveau des conseils préfectoraux et provinciaux sachant que les écarts prévus actuellement par la loi organique en vigueur varient entre 1 siège pour 13 636,36 habitants dans les provinces et les préfectures dont le nombre d'habitants est égal ou inférieur à 150 000, et 1 siège pour 32 258 habitants dans les provinces et les préfectures dont le nombre d'habitants est Žgal ou supérieur à un million ; - Réviser les articles 127 et 128 de la loi organique 59.11 pour assurer une représentation équitable de la population au niveau des communes sachant que les écarts prévus actuellement par la loi organique en vigueur varient entre 1 siège pour 681,81 habitants dans les communes dont le nombre d'habitants est égal ou supérieur à 7 500 et 1 siège pour 9 258 habitants dans les communes dont le nombre d'habitants est supérieur à 400 000 et inférieur à 750 000. Accès des femmes aux mandats électifs Le CNDH propose d'amender la loi organique 59.11 afin de : - Prévoir l'alternance femme/homme ou homme/femme dans le classement des listes présentées au titre des élections des membres des conseils régionaux, des membres des conseils préfectoraux et provinciaux, ainsi que les membres des conseils des communes soumises au scrutin de liste ; - Augmenter le nombre de sièges réservés aux femmes dans les communes soumises au scrutin uninominal. En complémentarité avec ses propositions relatives ˆ la loi organique 59.11, le CNDH propose de prévoir dans les trois projets de lois organiques relatifs aux collectivités territoriales un mécanisme permettant l'accès des femmes à la présidence des conseils de ces collectivités. Représentation politique des jeunes Le CNDH recommande de réfléchir sur les mécanismes les plus appropriés en vue d'assurer la représentation politique des jeunes au sein des conseils des collectivités territoriales. Il préconise particulièrement de prévoir des mesures financières incitatives au profit des partis politiques sur la base de nombre des jeunes Žlus de moins de 30 ans. Pour une loi d'observation à la hauteur des exigences constitutionnelles et des standards internationaux En sa qualité d'institution habilitée à observer les élections et à coordonner l'accréditation des observateurs, le CNDH propose d'amender la loi 30.11 fixant les conditions et les modalités de l'observation indépendante et neutre des élections afin de : - Elargir le champ d'application de la loi 30.11 aux opérations référendaires ; - Inclure les organisations internationales inter-gouvernementales parmi les organes habilités à exercer la mission de l'observation indépendante et neutre des élections et des référendums ; - Prévoir que les membres représentant les autorités gouvernementales chargées de la Justice, de l'Intérieur, des Affaires étrangères et de la Communication sigent au sein de la Commission d'accréditation à titre consultatif ; - Permettre à toute instance dont la demande d'accréditation est rejetée de recourir contre la décision de rejet au Tribunal administratif de Rabat ; - Permettre à tout observateur dont la carte spéciale d'accréditation aura été retirée de recourir contre la décision de retrait au Tribunal administratif territorialement compétent ; - Consacrer le droit des observateurs à une assurance couvrant les risques qu'ils encourent à l'occasion de l'exercice de leur mission ; - Prévoir un statut spécifique pour les interprètes accompagnant les observateurs internationaux. Dans le même cadre, le CNDH recommande de faciliter la procédure d'accréditation en : - Donnant la possibilité aux postulants le choix entre le dépôt physique ou électronique du dossier de candidature ; - Scindant le processus d'accréditation en deux étapes : l'accréditation de l'instance et l'accréditation des observateurs mandatés par l'instance accréditée ; - Permettant à la Commission nationale d'accréditation de délivrer une accréditation qui peut couvrir plusieurs opérations électorales successives rapprochées dans le temps. Accès équitable aux médias audiovisuels publics Vu la diversité du corps électoral, le CNDH propose à ce que le futur cadre juridique et réglementaire relatif à l'accès médias audiovisuels publics au titre des élections prévues en 2015 d'assurer, par les médias audiovisuels publics, la traduction de toutes les prestations audiovisuelles électorales dans le langage des signes. Pour des campagnes électorales plus transparentes et respectueuses de la diversité des opinions Le CNDH propose que la loi prévoie l'obligation pour le mandataire de liste, dans les communes soumises au scrutin de liste et dans les autres collectivités territoriales d'ouvrir un compte bancaire unique pour les dépenses afférentes à la campagne électorale et de désigner un mandataire financier chargé de la gestion financière de la campagne électorale. Le CNDH propose par ailleurs que l'autorité gouvernementale chargée de l'Intérieur adresse à l'occasion de chaque opération électorale une circulaire aux représentants de l'administration territoriale, qui rappelle l'application du Dahir N°1-58-377 du 15 novembre 1958 (relatif aux rassemblements publics) aux rassemblements qui appellent à la non participation aux élections. Pour le renforcement de la démocratie participative dans les projets des lois organiques relatifs aux collectivités territoriales Le CNDH rappelle la complémentarité entre la démocratie représentative et la démocratie participative instaurée par la Constitution et recommande particulièrement de : - Préciser, dans le projet de loi organique N°113-14 relatif aux communes, les principes qui doivent régir la mise en place et la composition des instances de concertation prévues par l'article 119 de ce projet ainsi que de l'instance de l'égalité, de la parité et de l'approche genre prévue à l'article 120 du même projet ; - Préciser, dans le projet de loi organique N°112-14 relatif aux conseils préfectoraux et provinciaux, les principes qui doivent régir la mise en place et la composition des instances de concertation prévues par l'article 110 de ce projet ainsi que de l'instance de l'égalité, de la parité et de l'approche genre prévue à l'article 111 du même projet ; - Préciser dans le projet de loi organique N°111-14 relatif aux conseils régionaux les principes qui doivent régir la mise en place et la composition des mécanismes de concertation prévus par l'article 116 de ce projet ainsi que des 3 instances prévues par l'article 117 du même projet à savoir : l'Instance consultative de l'égalité des chances et de l'approche genre, l'Instance consultative chargée des questions de la jeunesse et l'instance consultative chargée des questions économiques ; - Prévoir, dans le projet de loi organique 111-14 relatif aux régions, la participation, à titre consultatif des mécanismes régionaux des instances de protection et de promotion des droits de l'Homme prévues aux articles 161, 162 et 164 de la Constitution, aux travaux des commissions permanentes des conseils régionaux. - Prévoir dans le projet de loi organique N°113 relatif aux communes, un mécanisme permettant la participation des enfants de la tranche d'âge (16-18) aux affaires les concernant conformément à la Convention relative aux droits de l'enfant, soit à titre individuel ou à travers leurs associations. Le CNDH propose d'étudier la possibilité de mettre en place des « conseils des enfants » en tant qu'instances de concertation au niveau de chaque collectivité territoriale. Pour permettre aux citoyens, aux citoyennes et aux associations d'exercer effectivement le droit de pétition, prévu par l'article 139 de la Constitution, le CNDH, recommande de supprimer dans les trois projets de loi relatifs aux collectivités territoriales : - La condition d'inscription sur les listes électorales pour exercer le droit de pétition ; - La condition « d'intérêt général commun » vu qu'il accorde aux bureaux des conseils des collectivités territoriales un pouvoir discrétionnaire exorbitant qui peut augmenter les risques d'irrecevabilité des pétitions. Le CNDH recommande, par ailleurs de : - Simplifier la procédure de dépôt de pétition ; - Réduire les délais de réponse sur la recevabilité des pétitions. Pour la prise en compte de l'approche genre, l'approche basée sur les droits de l'Homme et le concept inclusif dans les processus d'élaboration des politiques publiques territoriales Le CNDH recommande que les projets des lois organiques prévoient : - Des dispositions consacrant le principe d'élaboration des programmes de développement de ces collectivités sur la base de l'approche genre et de l'approche basée sur les droits de l'Homme, ainsi que des dispositions consacrant les principes de budgétisation sensible au genre ; - De prévoir des dispositions qui assurent la cohérence entre la planification territoriale, la budgétisation et les mécanismes d'évaluation et d'audit ; - Des dispositions permettant la prise en compte de la diversité culturelle et linguistique au niveau territorial dans l'élaboration des politiques publiques des collectivités territoriales ; - Les modalités d'élaboration de ces plans sur une base participative, sachant que les procédures détaillées seront définies par voie réglementaire. Pour une représentation professionnelle plus équitable et plus inclusive Dans la perspective de l'organisation des élections professionnelles prévues en mai 2015, le CNDH rappelle que le renforcement de la représentation des femmes au niveau de la catégorie des représentants des salariés à la Chambre des conseillers, demeure tributaire de leur représentation au niveau du collège électoral national de cette catégorie. Il recommande à cet égard de prévoir des mécanismes d'action affirmative en vue de renforcer la représentation professionnelle des femmes aux niveaux : - Des délégués des personnels dans les entreprises ; - Des représentants du personnel aux commissions du statut et du personnel des entreprises minières ; - Des représentants des fonctionnaires au sein des commissions administratives paritaires. Le CNDH recommande enfin d'accorder aux marins le droit d'élire leurs représentants professionnels, en introduisant des dispositions adéquates dans ce sens dans le Code du commerce maritime ou le cas échéant dans le Code du travail. Le CNDH rappelle à cet égard que les employeurs dans le secteur maritime sont représentés au niveau des chambres professionnelles.