Confronté à un début de ras-le-bol de la population et aux frappes répétées de la coalition internationale, l'État islamique peine à recruter des locaux pour défendre ses positions. Ce n'est pas le moindre des paradoxes. Daech attire de plus en plus de djihadistes étrangers en Syrie, alors qu'en Irak voisin sur lequel s'étend également son califat autoproclamé, l'État islamique (EI) a aujourd'hui du mal à recruter des locaux pour défendre ses positions. «À cause des frappes répétées de la coalition internationale et des conditions de vie difficiles dans les zones que les djihadistes contrôlent, la population prend de plus en plus ses distances avec l'organisation terroriste», souligne depuis le nord de l'Irak un expert militaire occidental, joint au téléphone. Pour contrer cette défiance, Daech impose désormais la conscription forcée chez les jeunes, avant de les envoyer au front contre les forces de sécurité irakiennes et les combattants kurdes. Face aux réticences de leurs familles, Daech n'hésite pas à multiplier les pressions à Mossoul, Hawija ou près de Kirkouk. Tous ceux qui ne veulent pas s'enrôler doivent payer un impôt et ceux qui n'en ont pas les moyens sont emprisonnés. «À Mossoul, la population n'a pas le droit de sortir de la ville, observe l'expert militaire. Si certains le font quand même, des membres de leurs familles sont pris en otage et si les individus partis ne sont pas rentrés au bout d'un délai de quelques jours ou d'une semaine, Daech menace alors de tuer les otages.» Début décembre, les djihadistes ont distribué des tracts dans Mossoul, décrivant l'expansion future du califat: «Le sang des combattants qui se répand chaque jour est une taxe pour le califat. Bientôt tout le monde reconnaîtra notre État en Syrie et en Irak. Vous verrez combien l'islam est reconnaissant du sang qui a été versé», pouvait-on lire sur ce tract aux accents de fanfaronnade, tant les convois logistiques de Daech sont affaiblis par les bombardements de la coalition internationale. Dans la province de Salahhadine, l'EI recourt aux kidnappings de masse pour forcer les familles à accepter que leurs fils s'enrôlent dans ses rangs ou pour simplement intimider la population lorsque, par exemple, Daech découvre qu'un de ses drapeaux a été brûlé dans un village. Non loin de Kirkouk, les djihadistes détiennent des dizaines de familles déplacées en raison des violences. Les jeunes sont séparés des femmes et des personnes âgées afin que celles-ci ne puissent pas les dissuader de rallier Daech. Des adolescents ont ainsi été envoyés sur la ligne de front à l'ouest de Mossoul, après avoir été formés au maniement des armes, rapporte un responsable kurde dans la ville de Zoumar, cité dans la presse irakienne. Mais selon l'expert militaire occidental, ce recrutement forcé ne ramène souvent que des combattants peu motivés auprès de Daech. Ces difficultés ont poussé l'EI à transférer des hommes d'un point à un autre du califat, malgré les risques que cela représente pour leur sécurité. Ce fut le cas fin décembre lorsque 800 Tchétchènes, Afghans et Syriens ont été déplacés avec leurs familles vers la ville de Tal Affar à environ 50 km à l'ouest de Mossoul, théâtre alors de violents combats. Ces écueils expliqueraient également pourquoi Daech est prêt à troquer des prisonniers avec le gouvernement irakien pour récupérer certains de ses hauts gradés, récemment capturés par les forces gouvernementales. En échange, l'EI accepterait de relâcher des centaines de soldats, policiers et des civils retenus dans des prisons secrètes à Mossoul, Falloujah et en Syrie. «Cet empressement inhabituel souligne la crise de recrutement au sein de Daech», selon l'analyste Fouad Ali à Bagdad. Confronté à un début de ras-le-bol de la population, l'EI n'a eu d'autre choix que de changer de stratégie, en s'appuyant moins désormais sur les tribus sunnites. C'est notamment le cas dans la ville de Ramadi que les djihadistes n'arrivent pas à conquérir totalement, après avoir lancé un assaut sans l'assistance de combattants locaux, mais précédé par des semaines de terreur. L'été dernier, l'avancée de Daech au nord et à l'ouest de l'Irak était en partie due au soutien des milices tribales sunnites qui l'avaient rejoint dans la campagne contre le gouvernement dirigé alors par Nouri al-Maliki. Mais depuis, la donne a changé. Les centaines de frappes américaines ont éliminé de nombreux djihadistes, dont les mouvements sont désormais assez bien détectés. «Les Américains ont des moyens d'avoir tous les jours des images satellites des zones qui les intéressent, souligne l'expert militaire occidental. Ils ont des écoutes permanentes des réseaux djihadistes, même si ces derniers se servent de moins en moins du téléphone et des postes radios qu'ils avaient récupérés à l'armée irakienne.» Autant de pressions qui n'encouragent guère le recrutement spontané auprès de Daech, même si toutes les régions contrôlées par les djihadistes ne sont pas concernées par cette crise de recrutement.