L'acquittement des policiers qui ont tué deux hommes noirs non armés, Eric Garner et Michael Brown, a provoqué une vague d'indignation dans le pays. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour dénoncer les bavures policières à l'encontre des Afro-Américains et une grande marche s'est tenu à Washington samedi dernier avec pour mot d'ordre « Justice pour tous ! » Tout un pays semble découvrir une réalité pourtant très banale : le racisme et la brutalité des forces de l'ordre. Un policier blanc étrangle un jeune Afro-Américain, le jette par terre, et constate qu'il est mort asphyxié. C'est une des scènes les plus violentes du film Do the Right Thing, de Spike Lee. Le réalisateur montre la brutalité policière à Brooklyn, un des quartiers de New York. Tourné en 1989, il reste toujours d'actualité, 25 après ; en juillet dernier, l'Afro-Américain Eric Garner a été tué de la même façon. Pour Paul Schor, historien et spécialiste des Etats-Unis, le simple fait d'être noir est perçu comme une menace par la police. « La police identifie les hommes noirs comme potentiellement plus dangereux que d'autres. Et du coup, ils vont se comporter d'une manière qui, à la fin, est plus dangereuse pour la personne en face. » Les Afro-Américains, principales victimes des bavures Toutes les statistiques le prouvent : les victimes des violences policières sont majoritairement des Noirs. Si on prend le seul cas de New York, entre 2000 et 2011, plus de 6 600 Noirs ont été tués par la police, contre 1 500 Blancs. Ce sont des chiffres officiels qui ne distinguent pas les bavures de la légitime défense. Selon le maire démocrate de New York, Bill de Blasio, ces bavures prennent leurs racines dans « des siècles de racisme » dans le pays. Dans une interview à la chaîne ABC, Bill de Blasio, qui est blanc et dont l'épouse et les enfants sont noirs, raconte d'ailleurs qu'il a éduqué son fils en l'avertissant des « dangers » potentiels en cas d'interaction avec la police. Autre problème : les policiers sont rarement poursuivis pour leurs bavures. On l'a vu encore récemment : ceux qui ont tué Michael Brown à Ferguson et Eric Garner à New York ont été acquittés par un grand jury. Dans les deux cas, les jurés ont accordé aux policiers le droit à la légitime défense. Pour les familles de victimes, c'est inacceptable. Elles demandent à ce que les policiers soient poursuivis. D'une manière générale, l'impunité est lourde de conséquences, explique l'avocate Andrea Ritchie, qui défend les minorités à New York. Les Afro-Américains ont le sentiment que leurs vies « ne valent rien ». Ils perçoivent les acquittements presque comme une « licence pour tuer ». « Vous n'êtes pas des James Bond, vous êtes au service de la population », a martelé l'oncle de Tamir Rice, un enfant noir de 12 ans tué par un policier à Cleveland le 22 novembre 2014. Le souvenir de l'affaire Rodney King D'où le mot d'ordre pour la grande manifestation prévue ce samedi 13 décembre à Washington : « Justice pour tous ! » Cette marche est organisée par le révérend Al Sharpton, grande figure de la lutte pour les droits civiques et très engagé dans l'affaire de Ferguson. Il espère que le ministère de la Justice « poursuivra son enquête fédérale et qu'on aura un procès fédéral ». Al Sharpton rappelle l'affaire de Rodney King, un Noir violemment battu par des policiers à Los Angeles en 1991. Leur acquittement un an plus tard avait provoqué des émeutes. C'est finalement un tribunal fédéral qui avait mis en prison les policiers. « C'est moi qui ai organisé à l'époque ces manifestations, explique Al Sharpton. Ces policiers sont toujours derrière les barreaux. Donc, on est déjà passé par là et nous aimerions que l'affaire de Michael Brown se termine de la même façon. » Des réformes difficiles à mettre en œuvre Al Sharpton veut également faire pression sur le Congrès et l'inciter à changer la législation qui protège les policiers. Mais il ne faut pas oublier que le système américain est fédéral, et qu'il est donc difficile pour les autorités fédérales d'imposer des réformes. Selon Paul Schor, les changements devraient plutôt venir d'en bas. « Peut-être que le rapport accablant sur le comportement de la police à Cleveland aura des conséquences », estime ce spécialiste des questions raciales. Et de rappeler qu'un maire « a beaucoup plus de pouvoir qu'un président pour réformer le travail de la police », alors que Bill de Blasio a promis de revoir la formation des policiers. « Si ces expériences s'avèrent positives, elles pourraient constituer un modèle pour d'autres villes », estime Paul Schor. Reste à changer les mentalités, sûrement la tâche la plus difficile. Dans le quotidien The New York Times, un ancien officier afro-américain raconte le premier conseil qu'on lui avait donné en tant jeune recrue : « Il vaut mieux se trouver face à un grand jury que d'être porté dans un cercueil. »