Avec ce cas d'une violence rarissime, incompréhensible et surtout gratuite qui a émeut l'opinion publique, qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux et qui s'est invitée au parlement, d'un enseignant qui ironise sur l'incapacité d'une petite élève à inscrire le nombre « 5 » au tableau, c'est toute la problématique de l'humiliation, du rabaissement collectif, de la dépréciation dans le milieu scolaire qui refait surface. Les pédagogues s'accordent pour reconnaître deux grands types d'humiliations, très répandues dans le milieu scolaire. La première concerne l'élève. Elle prend la forme d'un rabaissement scolaire : « C'est nul, médiocre, indigne d'un élève à ce niveau ... » Bref, une forme classique d'humiliation individuelle de l'élève est sa promotion publique au rang de mauvais exemple. Pour une erreur malheureuse, l'élève fait l'objet d'une moquerie, souvent dévastatrice sur le plan psychologique et mental. Cette situation est classiquement présente lors du passage au tableau. De nombreux élèves relatent cette expérience typiquement scolaire, particulièrement favorable aux brimades du professeur. Dans le pire des cas, ce passage au tableau est vécu comme une mise à mort symbolique. Un rabaissement insurmontable pour des jeunes en période de structuration et d'affirmation de leur identité. Cette forme d'humiliation publique est très répandue lors des évaluations. Certains enseignants ont pris l'habitude de rendre aux élèves leurs copies de contrôle, selon un ordre décroissant, de la meilleure à la plus faible, en ajoutant souvent des appréciations allant du « excellent, bravo, applaudissez-le » au « médiocre, minable, huez-le ». Les uns valorisés comme étant les héros d'une intelligence supposée acquise grâce au travail de l'enseignant, des modèles à suivre, les autres dévalorisés, désapprouvés, humiliés, le contre modèle. Le second type d'humiliation concerne la personne de l'élève. Elle prend la forme de l'injure. Des comparaisons avec le monde animalier, des brimades verbales qui touchent l'élève plus que sa compétence et qui donne l'impression d'une personnalisation du conflit entre l'enseignant et l'élève. Cela altère l'image de l'enseignant par manque de respect mutuel. Le ressentiment d'une certaine injustice peut pousser l'élève à éviter la confrontation, c'est le début des absences répétées qui se transforment progressivement en un décrochage irréversible. La vidéo, très répandue dans les réseaux sociaux et qui a fait le buzz d'un enseignant ridiculisant et humiliant une petite fille qui a du mal à écrire le nombre « 5 » au tableau, pose beaucoup d'interrogations sur des pratiques anti pédagogiques, contre productives, voire contraires aux principes universels des droits de l'Homme qui a la peau dure dans notre système éducatif. C'était attendu. Le ministère a mobilisé tous les acteurs au niveau de toutes les académies et délégations pour identifier l'enseignant, auteur et acteur de cette vidéo. Il s'est avéré que l'enseignant exerce dans un secteur scolaire à Kénitra. Un communiqué émanant de la direction chargée de la communication au ministère de l'Education et de la Formation professionnelle précise qu'après identification de l'enseignant, une commission d'enquête a été dépêchée sur les lieux. L'enseignent incriminé a été suspendu de ses fonctions et son cas est transmis au Conseil disciplinaire. C'est clair, l'enseignant accusé d'une double faute, avec circonstances aggravantes, en se comportant d'une façon anti pédagogique devant les difficultés d'une élève, en humiliant publiquement, en classe, cette petite fille d'une façon presque inhumaine, et de surcroît en enregistrant une vidéo de cette scène, va être sanctionné. Mais au-delà de ce cas qu'on espère « isolé », les humiliations sont monnaie courante dans nos écoles. Quelles dispositions va prendre le ministère pour contrecarrer ces pratiques d'un autre âge ? Les circulaires et les vœux pieux de moralisation du système, malgré leur utilité parfois, ont montré leurs limites. Ne faut-il pas repenser les critères d'éligibilité au métier d'enseignant. Ne faut-il pas réformer le système de formation des enseignants ? Parce que l'enseignant incriminé ici est le produit de nos centres de formation. On a vu des campagnes de sensibilisation sur l'égalité des sexes, l'environnement..., a-t-on pensé à des campagnes de sensibilisation sur la moralisation des comportements dans notre système éducatif ? L'enseignant en question qui mérite sans doute sa sanction comme il mérite d'être classé à la tête du podium du grand bêtisier du système éducatif, a eu quand même le « mérite » d'ouvrir nos yeux sur ce qui se passe à l'intérieur de la classe, loin des grands principes d'une réforme, souvent souhaitée, presque toujours mal engagée, et fréquemment inachevée.