Ibrahim Kredya est connu dans la ville de Safi pour ses travaux de recherche prolifiques sur sa ville et son arrière pays. Né en 1951 à Safi, détenteur d'une licence d'histoire en 1976, ancien professeur de lycée, Ibrahim Kredya a publié près d'une centaine d'ouvrages en arabe, de petite dimension certes (entre 70 et 80 pages en moyenne), mais très riches en informations sur différents domaines histoire, culture, sites historiques, mysticisme et zaouia, chasse, poterie et céramique, résistance etc. Créateur de revues et militant associatif, Ibrahim, en réaction contre l'état d'abandon du Château de la Mer tombant lamentablement en ruines, avait lancé une série d'ouvrages pour faire connaitre les sites historiques de Safi. Publiant ses ouvrages à compte d'auteur, et les distribuant lui-même au niveau de la ville de Safi et une librairie à Rabat, l'auteur va à contre-courant de ce qu'il appelle l'exclusion de la ville par « ses propres rejetons d'abord avant de l'être par les étrangers ». Avec d'autres chercheurs il s'avère un représentant typique du chercheur en histoire locale. L'Association Safi pour la Recherche en Patrimoine religieux, Historique et Artistique qu'il préside vient d'organiser en collaboration avec les associations Recherche, Documentation et Edition, Mémoire de Safi et Hawd Asfi, la première rencontre sur la recherche en histoire locale. Entretien : L'Opinion : Comment est née l'idée de cette rencontre autour des recherches en histoire locale? Ibrahim Kredya : L'idée de cette rencontre a trotté dans ma tête depuis quelques années. J'en ai parlé autour de moi à des historiens et chercheurs en histoire dans plusieurs villes marocaines dans la perspective de s'organiser pour mobiliser les efforts autour de ce genre de production historique et permettre des échanges d'expériences et d'informations. Une première concrétisation de l'idée a été la rencontre tenue au Salon du Livre de Casablanca de 2013 sous le thème « Historiens des villes » où prirent part deux chercheurs de Safi Allal Rakouk et moi-même avec la participation de Hassan Amili et Mohamed Bellahsen. Une autre occasion a été le salon du livre régional de Safi en novembre 2013 où j'ai proposé une table-ronde autour de l'écriture de l'histoire locale dans la région de Doukkala-Abda avec la participation de Allal Rakouk, Mostafa Hamza et Abou Kacem Chebri. Cette rencontre n'ayant pas été à la hauteur de nos aspirations, des circonstances nous ont permis de mettre en œuvre une autre rencontre plus importante grâce à l'aide de la wilaya le 21 et 22 juin 2014. Cette date a presque coïncidé avec celle de la première rencontre emblématique sur la production intellectuelle à Safi il y a 26 ans soit le 23 juin 1988. La rencontre s'est déroulée en trois séances. Une première sur la signification de la mémoire questionnements et problématiques avec la participation de Soussi Nacer, Rachid Jarmouni, Hassan Allout, Abdellah Aboumaria. La deuxième séance a traité des types d'études d'histoire locale dans les recherches coloniale et dans les travaux des chercheurs nationaux comme Fkih Kanouni, Sbihi et Abou Hamid avec la participation de Claude Chatron Collier, Abderrahim Attaoui, Allal Rakouk. La troisième séance a traité des expériences de chercheurs en histoire locale qui sont Mustapha Jmahri, Mostafa Hamza, Haj Mhammed Haya, Mohammed Ballaj et moi-même. - Que représente pour vous le domaine de la recherche en histoire locale ? - C'est un genre de recherche qui commence à connaître une embellie au Maroc. Son avantage selon Mohamed Benchrifa c'est que tout en se mouvant dans un espace étroit, on va néanmoins pouvoir contribuer au final à la réalisation de l'écriture de l'histoire du Maroc de manière globale. Les noms pour désigner ce genre de recherche se sont multipliés parmi les chercheurs et amateurs d'histoire entre histoire locale, provinciale, régionale, monographie, micro-histoire etc. Nombre d'universitaires s'intéressent à ce genre de travaux. Il en est résulté une accumulation remarquable. Des observateurs y voient comme un saut qualitatif, un tournant qui va donner une nouvelle dynamique aux travaux d'histoire du Maroc en touchant à des éléments d'informations détaillées et en colmatant des brèches, des lacunes. Cette accumulation requiert, d'un moment à l'autre, un temps d'arrêt histoire d'évaluer ce qui a été réalisé d'où cette rencontre. Cette rencontre est la première du genre au Maroc et c'est heureux que l'initiative émane de la ville de Safi qui, à mon avis, vient en tête pour la production de ce genre de travaux de recherche d'histoire locale qui ont débuté depuis 1989 et dont le rythme s'est accéléré depuis l'année 2000. Mais malgré cette avancée remarquée dans ce genre de recherche historique, la ville de Safi vit un paradoxe pour le moins amusant avec la faculté pluridisciplinaire fondée en 2003 comportant nombre de disciplines de savoir sauf l'histoire ! - Comment expliquer que Safi soit leader, comme vous dites, dans la recherche en histoire locale ? - Il y a plusieurs raisons. D'abord plusieurs associations dynamiques s'intéressent depuis des années à la sauvegarde du patrimoine abdi avec ses diverses composantes. Elles font sortir régulièrement des publications comme c'est le cas des associations Hawad Asfi qui avait sorti l'ouvrage sur la Coline des potiers, Assif pour la Protection Culturelle et Architecturale, l'Association Safi pour la Recherche dans le Patrimoine Religieux, Historique et Artistique, l'Association de Recherche, de Documentation et d'Edition. Deuxième raison c'est que Safi compte un grand nombre de chercheurs qui s'intéressent au domaine de l'histoire locale dont des enseignants universitaires. Troisième raison c'est la nature très féconde de l'histoire de Safi qui est très enracinée dans l'histoire et la civilisation marocaine et fut une grande capitale maritime du Maroc dans le passé, elle thésaurise de ce fait des filons inépuisables pour les chercheurs dans plusieurs domaines culture, sciences, religion, histoire, soufisme, résistance, nationalisme, diplomatie, explorations maritimes, poteries et céramique, musique andalouse, aïta, les arts culinaires. La ville a constitué un exemple exceptionnel de coexistence et de tolérance entre les communautés musulmane, juive et chrétienne à travers les époques. Tout cela donne lieu à des strates qui attirent les chercheurs. On se rappellera notamment l'historien Ahmed Ben Mohammed Sbihi Slaoui (1882-1944) qui pendant la période de trois ans où il fut Nadir des Habous à Safi de 1918 à 1921 a écrit quatre ouvrages d'histoire sur la ville. Ces travaux pionniers vont inspirer au fkih Kanouni de s'intéresser à l'histoire de Safi laissant de nombreux ouvrages dont l'Association pour la Recherche, Documentation et Edition prépare des éditions critiques en vue de les publier. - Comment cela se passe-t-il aujourd'hui pour la médina après le lancement des travaux de réhabilitation et de restauration ? - Pour ne pas être pessimiste je peux dire que la réhabilitation de l'ancienne médina de Safi requiert beaucoup plus d'effort et de travaux. On a l'impression de temps en temps que les travaux se poursuivent, bien qu'à un rythme désorganisé et non équilibré, parfois avec une lenteur extrême. Des fois les travaux reprennent à un rythme plus rapide juste à l'occasion de festivité. Malgré cela l'espoir reste porté sur la société civile, les acteurs associatifs grâce aux idées et projets qu'ils peuvent initier, car on observe réellement un intérêt grandissant pour la médina de la part des associations au niveau de l'architecture et de l'esthétique et aussi au niveau du travail social. Sur le terrain on sent de manière constante l'activité d'associations avec l'encouragement de la Délégation de la Culture et l'appui des autorités de la province et de la wilaya et ce à travers l'ouverture de chantiers de restauration, peinture des murs et leur ornementation comme ce fut le cas à Derb Lbhar et Derb Samaâ. Aussi à travers les campagnes de sensibilisation des habitants sur l'intérêt de sauvegarde du patrimoine historique et du maintien de la propreté de l'espace sans oublier ce qui est apporté de temps en temps comme aide sociale aux habitants de la vieille ville qui sont dans le besoin.