Ibrahim Kredya est connu dans la ville de Safi pour ses travaux de recherche prolifiques sur la ville et son arrière pays. Né en 1951 à Safi, détenteur d'une licence d'histoire en 1976, ancien professeur de lycée, depuis une année à la retraite, Ibrahim Kredya a publié près de 60 ouvrages en arabe, de petite dimension certes, mais très riches en informations sur différents secteurs histoire, culture, sites historiques, mystique et zaouia, chasse, poterie et céramique, résistance etc. Créateur de revues et militant associatif, Ibrahim en réaction contre l'état d'abandon du Château de la Mer tombant lamentablement en ruines, a lancé une série d'ouvrages pour faire connaitre les sites historiques de Safi. Publiant ses ouvrages à compte d'auteur, et les distribuant lui-même au niveau de la ville de Safi et une librairie à Rabat, l'auteur va à contre-courant de ce qu'il appelle l'exclusion de la ville par « ses propres rejetons d'abord avant de l'être par les étrangers ». A coup sûr son entreprise a réussi dans la mesure où il a trouvé des lecteurs. Rachid qui tient la librairie située en face du Château de la Mer est formel : « Si Brahim a beaucoup de lecteurs, les Safiots sont assoiffés de tout ce qui s'écrit sur leur ville et Si Brahim publie toujours des ouvrages qui font découvrir et la ville et les personnalités qui ont marqué son histoire » dit-il. L'auteur vient d'achever l'écriture d'un nouveau livre axé sur la médina historique et espère qu'il trouvera une aide pour l'éditer. Entretien : -Comment vous avez commencé à écrire sur Safi et quelles étaient les conditions qui vous ont poussé vers cette aventure passionnante et difficile en même temps ? -J'ai commencé mes recherches sur l'histoire de la ville de Safi depuis 1986 lorsque je suis revenu dans ma ville natale Safi après une absence qui a duré dix ans pendant lesquelles, Dieu seul le sait, je me languissais de ma ville que j'aime d'un amour presque païen, je doute que quelqu'un parmi les Safiots l'aime autant compte tenu de mon apport pour elle sur le compte de ma santé, mon temps et mes modestes moyens financiers. Je l'aime tellement que j'ai tendance à voir toutes choses belles en elle, même si des choses peuvent paraître laides aux yeux d'autrui. Ce qui me poussait à écrire sur l'histoire de cette ville de manière si prolifique c'est le souci d'atténuer la marginalisation qu'elle subissait et cela de la part de ses propres habitants avant que cette méconnaissance injuste n'émane des autres. D'un autre côté c'est pour mettre fin à toutes ces rumeurs qui circulaient à son propos dont je n'ose même pas parler visant à l'affubler d'une image dégradée. C'est pourquoi j'ai cherché une façon qui me permettrait de rendre service à ma patrie, la doter d'une sorte de réhabilitation et lui prodiguer une place de choix qui lui revient de droit parmi les grandes cités. Pour cela une seul alternative : la recherche de son histoire et sa civilisation sous toutes les coutures. En troisième lieu j'aspirais à mettre en œuvre un projet scientifique important sur le moyen et long terme visant à réaliser des études d'histoire autour de la ville de Safi, sa civilisation et ses savants ainsi que son arrière pays rural, mettant ainsi les fondations pour des études plus poussées susceptibles d'être parrainées ultérieurement par une institution scientifique. C'était à un moment où se profilaient à l'horizon des signes de volonté de création d'une Université de Safi. Hélas l'espoir d'une institution universitaire safiote pour la recherche a été floué. Dans mon entreprise ce qui m'avait encouragé c'était l'expérience que j'avais acquise dans l'écriture d'histoire depuis 1985 abordant différents thèmes, effort qui s'était soldé à l'époque par l'écriture de cinq livres. -Quel genre de problèmes avez-vous rencontré pendant vos travaux de recherche en ce qui concerne les documents sources ou autres ? -Les études d'histoire monographique limitée à un espace géographique local, pour un thème précis et en une étape historique donnée, expose le chercheur à des difficultés sans nombre et constituent de véritables défis à relever pour découvrir les sources d'informations historiques fiables du fait de l'absence des archives et références écrites ou du fait de la parcimonie de ce qui s'y trouve comme donnée et bribes, ce qui pousse le chercheur à redoubler d'efforts, suivre divers itinéraires et supporter de durs et fatigants voyages pour solliciter des personnes, des bibliothèques personnelles ou publiques en s'appuyant pour s'informer sur des sources nombreuses et diverses comme des correspondances, des témoignages oraux, documents adoulaires et makhzenien, journaux anciens, témoignages d'étrangers de même des proverbes, poésie, documents iconographique. Ces difficultés énormes finissent par épuiser physiquement et matériellement surtout quand on s'entête à vouloir aller jusqu'au bout. Seulement quel bonheur quand les efforts de recherches donnent des résultats ! On en oublie les avanies auxquelles on se serait exposé de la part de quelques énergumènes aux idées étroites qui peuvent vous induire en erreur juste pour vous humilier parce que vous leur quémandez des infos ou des documents. Des histoires de ce type j'en ai subi sans compter. -Est-ce qu'il y a des lecteurs pour les livres d'histoire à Safi ? Quelle a été votre propre expérience dans ce sens ? -Mes lecteurs sont ma seule consolation pour tout ce que je peux endurer comme difficultés et désagréments jusqu'à présent. Ils sont nombreux et mes contacts avec eux sont presque incessants. Ils sont de différentes catégories d'âge et différents niveau d'instruction. Ils sont à Safi ou dans d'autres villes et même à l'étranger. Du fait qu'ils achètent mes livres plusieurs titres sont épuisés et je travaille avec mes modestes moyens pour essayer de les rééditer et les distribuer. De même deux parmi mes lecteurs assidus maîtrisant la langue de Molière ont traduit en français certains de mes ouvrages et l'un d'eux a eu un rôle essentiel dans la publication de l'un de mes livres par une maison d'édition internationale « Les Auteurs du monde » -Quelle est la place de l'ancienne médina dans vos recherches ? Pourquoi ? -J'ai publié jusqu'à présent sur l'histoire de Safi et son arrière pays rural environ 60 livres abordant des thèmes très divers se rapportant à des célébrités dans les sciences islamiques, la mystique, la jurisprudence, le Jihad, le nationalisme, la résistance, la diplomatie, les arts, l'administration makhzénienne et les affaires. De même des livres qui décrivent des mosquées, des zaouia, des médersas, des coutumes, des moussems, l'élevage des chevaux, la chasse, les famines et épidémies, sans oublier le monde maritime et ses empreintes dans l'histoire de Safi. Je fais aussi paraître actuellement une collection de livres qui visent à faire connaître les monuments historiques et les sites naturels à Safi et province. J'en ai publié jusqu'à présent 8. Il s'agit de « petits beaux livres » avec des photos anciennes de collection. J'ai contribué avec une société de production cinématographique à la réalisation d'un film documentaire sur la réserve de la gazelle Dorcas à Sidi Chiker et dans les mois prochains je compte contribuer à la réalisation d'un autre film sur un autre site historique. Par ailleurs j'ai un livre prêt pour être publié sur le thème « L'ancienne médina et ses ruelles ». Dans ce livre j'aborde la médina, ruelle par ruelle, racontant par le menu ce qu'abritait chaque derb comme familles anciennes, les éminentes personnalités qui avaient marqué ces derbs ainsi que les monuments historiques avec des photos et autres croquis rares. J'espère que je trouverai de l'aide pour publier cet ouvrage dans une belle édition qui soit à la hauteur des attentes de ma ville Safi bien-aimée. -Quelles sont les plus importantes informations qui vous ont frappé au cours de vos recherches sur l'histoire de Safi ? -Tout ce que j'ai pu glaner sur l'histoire de Safi et ce n'est qu'une partie infime, peut être considéré comme des perles rares difficiles à découvrir dans d'autres cités. C'est un site marocain qui était habité dès l'époque préhistorique et ce dans le mont Igoud dans l'arrière pays, c'est une histoire ancienne dont on ignore les origines lointaines. Safi fut depuis toujours parmi les plus importants ports du Maroc et avait eu un rôle dans les découvertes géographiques et les aventure maritime depuis le périple d'Hannon jusqu'à Ra II en 1970 en passant par Christophe Colomb. La ville fut le premier accès maritime pour la dynastie saadienne et capitale de Moulay Hicham dans le Haouz. Elle fut un centre de spiritualité et de sciences au même niveau que Fès et Marrakech jouissant d'un immense rayonnement particulièrement aux époques des Almohades et des Mérinides. Elle avait son poids pour le soufisme de part le nombre important des mausolées de saints, c'est à partir d'elle que s'était constituées les voies mystiques Majaria, jazoulia, ghnimia. Elle fut le foyer du jihad contre les Portugais et de résistance contre le Protectorat français. On n'oublie pas que quatre personnalités safiotes avaient signé le Manifeste de l'Indépendance du 11 janvier 1944. Ce fut aussi la ville de la coexistence confessionnelle par excellence au point qu'elle ne connut à aucune époque de son histoire de quartier juif mellah pour séparer les communautés juive et musulmane. -Comment vous voyez les transformations intervenues dans la ville à l'époque moderne depuis qu'elle était nommée la capitale mondiale de la sardine à nos jours ? Votre point de vue personnel. -Jusqu'aux années soixante, Safi était en effet la capitale mondiale de la sardine grâce aux quantités considérables prises dans ses eaux territoriales sans compter le nombre important des unités industrielles de conserveries de poisson qui avaient dépassé les 80 unités s'étendant sur cinq kilomètres au sud de la ville. La richesse en poissons de Safi était désignée par les étrangers sous l'expression « l'or écaillé » Actuellement Safi connait un développement à tous les niveaux mais comparativement avec d'autres villes cela reste insuffisant et pas convaincant compte tenu des potentialités économiques et touristiques dont elle jouit. La ville souffre de pauvreté et d'exclusion. Malgré le fait qu'elle détient des moyens et des ressources, elle souffre de carences énormes en équipements et infrastructures de base pour l'amélioration de la qualité des services sociaux et tout ce qui accompagne cela comme contrôle, suivi et bonne gouvernance et elle a besoin d'investissements importants et planification globale qui prenne en considération tous les secteurs d'activité pour les soutenir et les développer. -En visitant Safi on observe que la partie de la ville la plus animée est l'axe qui traverse la médina intra muros de Bab Chaaba à l'avenue Rbat (charii choufouni) en passant par le Château de Mer. -La ville de Safi possède deux médinas anciennes historiques, l'une entourée de remparts avec une rue principale appelée rue du Souk et elle connait une grande activité commerciale incessante avec des commerces et des kissarias et l'autre médina qu'on appelle le quartier Rbat et son avenue centrale est l'avenue Rbat qui connait aussi une grande animation commerciale. Cette avenue mène vers le ribat de la zaouiya du Cheikh Abi Mohammed Saleh le cheikh de la zaouya des pèlerins d'où le nom de cette avenue. J'ai publié trois livres autour du Ribat et le saint patron de la ville Abi Mohammed Saleh. Parmi les caractéristiques de la zaouiya c'est qu'elle est parmi les premières zaouiya marocaines à avoir vu le jour au Maroc. Il s'agit la zouiya qui promeut un soufisme collectif où disciples et adeptes obéissent à un cheikh unique et une seule voie soufie. La zaouiya avait remis au jour l'un des cinq piliers de l'islam, le pèlerinage à la Mecque, après que la dynastie almohade à un moment donné avait ordonné par fatwa de ne plus l'observer du fait de l'insécurité des routes. Abi Mohammed Saleh a créé un itinéraire de pèlerinage avec des étapes au long des routes où le pèlerin faisait des haltes avec gîte, sécurité et même des cours d'enseignement religieux qui étaient prodigués tout au long du voyage. ---------------------------- Propos recueillis et traduits de l'arabe parSaïd AFOULOUS