Le Maroc culturel est marqué par une diversité d'expression plastique qui puise ses sources dans un patrimoine collectif tridimensionnel : celui de l'héritage préhistorique, africain et amazigh, celui de l'art islamique et celui de l'art orientaliste et académique. C'est ainsi que l'émergence de la peinture marocaine en tant qu'une mémoire visuelle n'est pas un phénomène hyper isolé, mais relève souvent de l'image fascinante que se fait le Maroc pluriel de lui-même à travers ses artistes créateurs et générateurs de sens et de valeurs : chaque artiste est inscrit dans une mémoire, dans une lignée. Cette image reposant sur la recherche et la créativité ne cesse de laisser beaucoup de traces dans l'art contemporain marocain. L'enquête que nous avons menée auprès des galeries, des collectionneurs et des passionnés d'art donnent des précisions fondamentales sur la situation de l'art au Maroc. Les voici : -Certains cautionnent quelques peintres au détriment des autres illustres. D'autres n'ont pas hésité d'introduire la personnalité suprême de notre roi, en associant son image neutre à l'image des peintres en voie de confirmation. Des « critiques d'art et des esthètes » mettent en avant leurs « artistes de prédilection ». Cycle d'amitié oblige. Ce qui semble paradoxal, aberrant et débile. L'enjeu est strictement tendancieux et intentionnel. Ce qui veut dire aussi que nous sommes devant l'arbre qui cache la forêt. C'est dans ce contexte hybride que l'Institut du monde arabe (IMA) à Paris abritera, du 23 septembre 2014 au 11 janvier 2015, un événement exceptionnel, «Le Maroc aux mille couleurs». Ce grand rendez-vous mettra à l'honneur les différentes facettes de la création marocaine. Il s'agit de la plus grande manifestation pluridisciplinaire jamais consacrée en France au Maroc, indique un communiqué de l'IMA, signalant que cet événement mettra à l'honneur plusieurs facettes de la création marocaine notamment les arts plastiques, le design, le cinéma, la bande dessinée, l'architecture, le cinéma, la danse, le théâtre, la littérature, les métiers d'art et les arts de vivre. Cette manifestation de haute exigence artistique sera en même temps un événement populaire. Pour la première fois, la totalité des espaces de l'IMA, de l'auditorium au sous-sol, à la terrasse au 9e étage, en passant par les salles d'exposition et la bibliothèque et même le parvis sur lequel sera implantée une vaste tente caïdale, sera mobilisée pour célébrer dignement le Maroc, indique l'Institut. Le communiqué de l'IMA précise également que «Le Maroc aux mille couleurs» aura naturellement vocation à voyager et à être présenté dans le Royaume et dans d'autres pays du monde arabe et en Europe, note l'Institut, ajoutant que ce moment fort montrera du Maroc ce qu'il y a de meilleur: un pays aux mille couleurs, riche et fascinant, et mettra à l'honneur ses valeurs d'ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue pour la compréhension mutuelle entre toutes les cultures et les civilisations du monde. Le Commissariat général de cette grandiose manifestation a été confié à Jean-Hubert Martin, successivement directeur de la Kunsthalle de Berne, du Musée national d'art moderne du Centre-Pompidou et du Musée national des arts d'Afrique et d'Océanie de Paris. Jean-Hubert Martin, qui a également été le commissaire du pavillon français lors de la 54ème biennale de Venise en 2011, est épaulé par les Marocains Moulim El Aroussi, critique d'art et Mohamed Métalsi, directeur des actions culturelles de l'IMA. Une manifestation « offerte au monde entier » Sur les enjeux de cette manifestation, Jack Lang, président de l'Institut du monde arabe, a confié aux journalistes : « Cette manifestation sera offerte au monde entier. La France a beaucoup de visiteurs du monde entier. Le Maroc sera l'exemple d'un pays du monde arabe qui préserve son identité, ses racines et s'ouvre sur la modernité. D'ailleurs, comme vous le savez sans doute, l'une des originalités de cet événement à l'IMA, c'est qu'il va coïncider avec un autre événement au Musée du Louvre, consacré au Maroc médiéval. Les visiteurs auront la chance de pouvoir découvrir le Maroc des racines et les fleurs contemporaines du Maroc d'aujourd'hui. L'Institut du monde arabe est un pont entre le monde arabe et les autres pays, à travers différentes initiatives. Nous préparons pour septembre prochain, comme en lever de rideau, un symposium des différentes initiatives de la société qui surgissent un peu partout dans le monde arabe. On parle souvent du monde arabe, en raison des violences qui sont commises en Syrie ou dans d'autres régions. De ce fait, on donne une fausse image du monde arabe. En réalité, le monde arabe change très profondément et très positivement, nous voulons le monter tel qu'il est à travers colloques et rencontres et ce symposium aura lieu au mois de septembre. Sa Majesté le Roi Mohammed VI, m'a accueilli avec beaucoup de chaleur. L'audience qu'il m'a accordée a été source de richesse, de réflexion et d'information. J'ai eu l'occasion d'évoquer la Constitution marocaine avec Sa Majesté qui est, je crois, le principal inspirateur de ce beau texte. C'est cette constitution démocratique par excellence qui demeure la plate-forme de notre manifestation dédiée au Maroc dans sa diversité et sa pluralité. ». Sans entrer ici dans une spéculation proprement subjective, disons que le circuit de l'art contemporain au Maroc (Galeries publiques, galeries privés, mécénat, ventes aux enchères, achats directs, circuit des antiquaires, musées, fondations, festivals et biennales, actions associatives et syndicales... ) nous révèle les noms les plus présentatifs des racines, ce qui valorise davantage l'image du Maroc qui se veut, comme disait Jack Lang, l'exemple d'un pays du monde arabe qui préserve son identité, ses racines et s'ouvre sur la modernité. A ce titre, il faut vanter les exploits de quelques immortels (la liste n'est pas exhaustive) dont les œuvres vivantes vont donner aux visiteurs la chance de pouvoir découvrir le Maroc des racines et les fleurs contemporaines du Maroc d'aujourd'hui pour le célébrer dignement: *Ahmed Cherkaoui, l'avant-garde de la peinture marocaine, c'est l'auteur de la modernité créatrice de l'époque et le pionnier de l'école du signe et de la calligraphie qui a transfiguré ce qui inspire et capte le regard, en se référant à la mémoire de l'art populaire marocain. Ses tableaux sont souvent construits d'un motif symbolique de base (monogramme), ce qui met en évidence sa vision scripturaire du monde où la couleur vient donner forme au signe(le plus coté, ses toiles sont introuvables). *Jilali Gharbaoui, partisan de l'école gestuelle dans ses tendances les plus introspectives. Il a apporté une attention particulière à la pureté du geste vertigineuse voire dépressive. *Chaibia, le nom mythique de la peinture moderne pleine de jouvence, de fraîcheur et de plaisir onirique. Ses œuvres côtoient celles de Miro, Picasso et Modigliani pour ne citer que ceux-là. Aussi, dès 1971, Chaïbia figure dans le Larousse de l'art dans le monde ; et en 1977, elle entre dans le dictionnaire de référence Bézénit. Seule représentante féminine de l'art pictural du XXème siècle à la côtoyer dans les catalogues : Sonia Delaunay. *Ahmed Yacoubi, remarqué à Fès par Paul Bowles, aussi doté d'un talent de couleur. Il a transcrit ses imageries graphiquement avec tant de précision. *Louardighi, encouragé par André Malraux, est un imagier fasciné par l'acte de faire parler la nature, en mettant en toile le souvenir d'un paradis perdu d'une manière féerique. *Meriem Meziane, avec son retour à la terre et aux racines. Sa peinture semble un voyage passionnant dans le passé. *Mohamed Ben Ali Rbati qui a peint à la gouache des dizaines de tableaux revisitant avec peintre anglais Sir John Lafort. C'est le Maroc revu de l'intérieure selon une vision purement ethnologique. *Ben Allal, un conteur imagier encouragé par Azéma qui a su communiquer sa passion et son émotion, en donnant une grande importance au détail typique de la vie quotidienne et en travaillant sur la mise en scène narrative. *Mekki Meghara, qui après un travail figuratif, s'endigage par une expression informelle lyrique et par la suite matiériste. Un peintre de la silhouette par aplats contrastés qui donne une illusion optique. *Mohamed Kacimi, peintre intellectuel et auteur d'une dynamique matière –forme-couleur. Il a radicalisé la couleur pour mettre en toile les signes et les traces. *Hamri, découvert par le peintre américain Brion Gyrin, est un imagier nostalgique qui a pu concevoir des tableaux époustouflants de couleur, d'aspects anecdotiques et de rêveries visuelles. *Mohamed Drissi, peintre, graveur et sculpture qui a consacré ses œuvres à des scènes expressionnistes et aux états d'âme, tout en portant une vision tragique du monde. *Abas Saladi, une figure mythique qui nous a légué un répertoire imaginal et fantasmagorique puisant dans un autre fond anecdotique et légendaire.. *Amine Demnati, peintre de l'instant qui dure et chantre de la lumière fugace aux reflets changeants. Il figure dans plusieurs collections privées nationales et internationales. *Boujemaa Lakhdar, l'artiste polyvalent qui a interrogé le soufisme, l'écriture magique, les sciences occultes et la poésie rurale. L'auteur d'un univers ambigu magico mystique portant sur les signes et les symboles qui sont gravés, peints, incrustés ou ciselés .le seul marocain qui a exposé en 1989 à l'événement du Centre George Pompidou « les magiciens de la terre ». *Larbi Belkadi, l'artiste qui a assuré l'équilibre de la couleur, de la forme, du mouvement. Un espace où l'abstraction drape la nouvelle figuration. *Mohamed Nabili : ses œuvres donnent une idée de la diversité de son inspiration et de ses styles... Elles puisent dans l'imaginaire de l'enfant via des supports et des matériaux différents. *Miloud Labied : Autodidacte, il a pu se faire une place dans le paysage plastique marocain grâce à sa force et son incroyable volonté. Après une courte période de peinture dite «naïve», Labied s'oriente vers l'expressionnisme abstrait. Pour une haute exigence artistique Il faut que le commissaire général Jean-Hubert Martin (qui cherche la haute exigence artistique) sache que les œuvres de ces immortels appartient à la génération des fondateurs de la modernité au Maroc par excellence, et ce aux cotés de quelques artistes vivants, tous styles et générations confondus. Au Maroc d'aujourd'hui, la situation des arts plastiques est à mise à niveau. Les artistes ont personnalisé leur parcours et ont fait acte de présence potentielle sur la scène créative aussi bien au Maroc qu'à l'Etranger. Les immortels ont marqué activement la scène internationale par leurs œuvres inédites et originales. A coté de réels acquis dus aux efforts déployés par les artistes. Il faut signaler également l'activité du Ministère de la culture, des galeries, des fondations, des salles de vente. Tous les acteurs concernés interviewés s'accordent à dire que l'exposition de l'IMA doit œuvrer pour l'image crédible du Maroc au niveau des arts plastiques, et ce via un choix bien étudié des artistes qui donnent à voir et se donnent à voir dans la société : musées, salons, expositions, événements. Loin de cercle vicieux et restreint de la commission de sélection désignée qui est censé de revoir ses paramètres et sa grille d'évaluation pour présenter le Maroc aux milles couleurs et non un certain Maroc monochrome. Les artistes décédés sont encore vivants au point de vue à la fois esthétique et éthique. Les artistes défunts qu'on a répertoriés (d'après un sondage d'opinion) représentent par excellence une quête personnalisée, qui ne cesse de concilier le passé e le présent, l'identité et la différence...C'est une génération ayant une place privilégiée dans la société. On trouve anormal dans la première liste communiquée par l'IMA le fait de mettre en avant quelques noms (sous prétexte qu'ils représentent la génération des fondateurs de la modernité au Maroc selon la commission désignée) pour donner une image réductive de l'art marocain contemporain. Il y a des grands peintres et plasticiens qu'on ne parle même pas. Il faut un peu de « conscience historique » dans ce genre de choix pour arriver à voir une image digne de la mémoire collective de notre pays. C'est anormal et illogique de tabler sur des noms (réseau interpersonnel qui ne montrera pas du Maroc ce qu'il y a de meilleur dans les arts plastiques) et d'oublier les ténors de l'art marocain contemporain. Indifférence susceptible de porter atteinte à la crédibilité de l'image artistique du Maroc en réduisant au minimum sa diversité et sa multiplicité.