«Chouha 75, acte politique irrespectueux de l'humain et de sa dignité», comme l'affirme ci-après Mohammed CHERFAOUI, Ingénieur et Président d'ADMEA Europe, «erreur lamentable», comme le titrait le magazine français «Le Nouvel Observateur» au moment où se déroulait cette tragédie sous les yeux du monde, ou crime contre l'humanité, comme le penserait le simple observateur, l'expulsion d'Algérie, en 1975, de 45 000 familles marocaines dans les conditions dramatiques décrites dans notre document, restera à jamais gravée dans la mémoire des Marocains et interpellera en permanence les consciences sur l'extrême gravité et l'irresponsabilité de cet acte qui ne retrouve de semblable dans l'histoire que dans les faits les plus odieux de l'histoire des guerres et des dictatures qui ont conduit à des déportations massives d'hommes, de femmes et d'enfants et qui ne s'expliquent que par une haine, un désir de vengeance et une propension au crime relevant de la pure folie. L'expulsion collective de 45 000 familles est un acte politique débile que le désir de vengeance inassouvie des gouvernants algériens et leur machine policière et militaire vont parfaire par leur décision, concrétisée par la loi de Finances de 2010, publiée dans le bulletin officiel n°78, en date du 31 décembre 2010 d'annexer les biens immobiliers appartenant aux Marocains expulsés. La tragédie des Marocains expulsés d'Algérie, en 1975, a été reconstituée et discutée à la lumière du droit international et humanitaire à l'occasion du Colloque organisé le 17 mai 2013, à Bruxelles, l'initiative des Sénateurs Fatiha SAIDI, Marie ARENA et Hassan BOUSETTA. Et dont les actes ont été réunis et publiés par le Conseil National de Droits de l'Homme (CNDH). Nous présentons ci-après l'exposé de M. Mohammed CHERFAOUI, Ingénieur et Président d'ADMEA Europe intitulé «1975, l'histoire contrariée : Il était une fois la Déportation des marocains d'Algérie... » (Les intertitres sont de la Rédaction): Le 5 juillet 1962 est un jour mémorable et une harmonie entre les communautés marocaine et algérienne quand un décret va considérer que toutes les personnes d'obédience musulmane disposent des mêmes droits. Cependant, cet événement est considéré comme anodin parmi les marocains et une minorité d'entre eux va ressentir le besoin d'adopter la nationalité algérienne. Une grande majorité va cependant conserver ses papiers marocains et être reconnaissable sous le statut «SNP» (Sans Nom Patronymique). En 1963, la guerre se déclenche entre le Maroc et l'Algérie et va ruiner les relations tissées pendant des décennies. En Algérie, la méfiance et la défiance envers la communauté marocaine croissent et la fragilise face au pouvoir naissant du gouvernement algérien d'Ahmed Ben Bella. La même année déjà, des marocains vont être expulsés. 2. Contexte des expulsions de 1975 Le 6 novembre 1975, le Maroc organise la Marche Verte. En Algérie, on ne parle plus que du Polisario. La tension est palpable et les marocains vivant en Algérie sont mis à l'index. Le 14 novembre 1975, l'accord tripartite conclu entre le Maroc, l'Espagne et la Mauritanie, rend furieux le gouvernement algérien qui, le 8 décembre 1975, décide de déporter manu-militari les marocains d'Algérie. Cette marche noire et la déportation se mettent en place, avec le concours de l'armée, de la police, de la gendarmerie, des douaniers, et la réquisition des compagnies d'autocars. Au niveau politique ce sont le Président de la République Houari Boumediene, Abdelaziz Bouteflika, le ministre des affaires étrangères,Kasdi Marbah, le patron des renseignements militaires, Larbi Belkheir, le dirigeant du FLN, Mohamed Chérif Messaadia, le coordinateur du FLN, Chadli Benjdid, le commandant de la région militaire Ouest-oranais... qui sont à la tête de l'état lors de ces expulsions. La tragédie de décembre 1975 : Histoire d'une déportation cachée La déportation, décidée en plein Aïd-el-Kebir est exécutée sans préavis. Les familles furent prises dans leur foyer, conduites dans des commissariats, transportées puis relâchées à la frontière (en 8 à 48h). Le nombre de familles rassemblées et déportées est estimé à 45.000. Ces expulsions s'accompagnent de maltraitances, de vol, de confiscation de biens et de documents administratifs (titre de séjours, actes de propriété ...) Les habitants d'Oujda font un accueil chaleureux et exemplaire aux expulsés. Les marocains expulsés vivront, de quelques semaines à de nombreuses années, sous des tentes à Oujda. La ville ne pouvant tous les contenir, ils seront déplacés vers d'autres régions du pays. Ils connaîtront les conditions difficiles de la vie dans un camp, l'exclusion, les quolibets tels que «immigrés», «expulsés», «refoulés»... Seul le Croissant Rouge s'intéressera à eux en tant que réfugiés ! La «marocophobie» des dirigeants d'Algérie L'origine de l'expulsion massive est à chercher dans les faits historiques. En 1975, les événements majeurs déclencheurs de la déportation des 45.000 familles marocaines, sont la Marche Verte et surtout l'accord tripartite, sans oublier l'impact de la guerre des sables de 1963 et le nationalisme exacerbé des dirigeants de l'époque. Cela pose toute la question de la protection des civils lorsque deux Etats sont en conflit. La «marocophobie» des dirigeants d'Algérie en 1975 était-elle une forme d'idéologie ou une conséquence logique du nationalisme exacerbé ou tout simplement une autre forme d'expression du pouvoir totalitaire Les historiens pourront répondre à ces interrogations. Notons par ailleurs qu'en mars 1975 démarre la guerre civile au Liban et que le monde arabe est préoccupé par ces événements au Moyen-Orient. Les principales caractéristiques de cette déportation peuvent être résumées comme suit : - Exécution rapide de la déportation ; - Confiscation de tous les biens des marocains expulsés ; - Confiscation des papiers administratifs ; - Séparation des couples mixtes algéro-marocains ; - Isolation des marocains des avocats et des ONG ; - Encadrement des déportations par l'armée et la police ; - Interdiction de la vente des biens des marocains ; - Déportation de tous les membres de la famille ayant la nationalité marocaine ; - Déportation massive dans un laps de temps très court ; - Contrôle des médias pour ne pas informer le peuple algérien. Ils ont tout perdu, il ne leur reste que la mémoire écrite Pour les marocains d'Algérie, qui ont tout perdu lors des événements de 1975, la mémoire écrite de ce moment d'Histoire est ce qui leur reste aujourd'hui. L'Histoire peut donc être un enjeu et le moyen de savoir ce qui s'est réellement passé en 1975. Aujourd'hui l'Algérie abrite 80.000 marocains, alors qu'on en comptait 430.000 qui y vivaient jusqu'en 1975. En 2005, trente ans après, les Marocains d'Algérie s'organisent au sein d'associations au Maroc, en France, en Belgique, en Espagne... Les principales revendications des associations sont les suivantes : 1. Reconnaissance officielle par les autorités algériennes de la déportation de 1975 ; 2. Restitution de tous les biens confisqués par l'Etat algérien ; 3. Compensation morale et matérielle pour les préjudices subis ; 4. L'intégration dans l'Histoire algérienne du rôle joué par la communauté marocaine dans l'indépendance de l'Algérie ; 5. Création d'une structure (type CORCAS) par l'Etat marocain afin de prendre en compte leur situation particulière. Les interrogations ? L'histoire des marocains d'Algérie soulève de nombreuses questions : 1. Le dossier des marocains d'Algérie a été classé avant d'être instruit. Pourquoi ? 2. Les rancoeurs tenaces sont enfouies au lieu d'être dissipées. Que faire ? 3. Face à l'oubli, la mémoire est à réveiller pour essayer de comprendre. Comment ? 4. La réintégration de cette communauté au sein du Maroc a-t-elle été réussie ? Pour reconstruire l'avenir il faudrait assurer : 1. Le droit à l'Histoire et à la mémoire : l'analyse de l'histoire contrariée entre l'Algérie et le Maroc et de son appropriation. 2. L'ouverture de la frontière pour assurer la libre circulation des hommes, des idées et des produits est fondamentale à toute perspective d'évolution positive de réconciliation ; 3. Créer les éléments de confiance par la mise en place de lois et de Conventions qui garantissent les droits des citoyens ; 4. Le gouvernement marocain, ses décideurs politiques, institutionnels et la société civile doivent partager ce fardeau de l'histoire avec les victimes car il est trop lourd pour leurs seules épaules. C'est un devoir de solidarité que de les accompagner dans leurs démarches et leur assurer soutien politique, social, moral et logistique ! 5. Il appartient aux dirigeants algériens d'assumer aujourd'hui cette partie intégrante de leur histoire. Il serait tout à l'honneur du gouvernement algérien d'aller à la rencontre des familles qui ont été les victimes de la CHOUHA 75, un acte politique irrespectueux de l'humain et de sa dignité ; 6. Créer des cercles de réflexions en Algérie et au Maroc et lancer des études universitaires sur les facteurs favorisant le rapprochement et sur les raisons du conflit entre l'Algérie et le Maroc depuis les indépendances. La solution à long terme est la réconciliation pérenne, garante de la paix, de la coopération et de la stabilité pour les peuples et les Etats du Maghreb. A ce titre je cite Laroui : « Pour que le Maghrébin se réconcilie avec son temps et son terroir, il faut d'abord qu'il se réconcilie avec lui-même et surtout avec son frère, et le seul gouvernement légitime et d'avenir est celui qui y travaillera de toute son énergie et avec l'autorité qu'il se sera, par cette visée même, acquise». J'ai intitulé cette présentation «l'Histoire contrariée» et je conclus ainsi : Cette histoire est en voie d'être prise en compte ne serait-ce que par ce colloque qui donne une nouvelle impulsion au processus irréversible engagé depuis 2005 et doit mener à «la vérité connue et reconnue par tous».