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Les «petites bonnes» devant la Chambre des Conseillers : Le projet de la controverse
Publié dans L'opinion le 01 - 07 - 2014

C'est un moment crucial du traitement législatif de l'exploitation des filles mineures dans le travail domestique. La Commission Législation et Droits de l'Homme de la Chambre des Conseillers entame aujourd'hui, mardi premier juillet à 11h00, l'examen du projet de Loi 19.12 sur «Les conditions d'emploi et de travail des employés domestiques». Dans ce texte, il question de traiter du travail (!!) des «petites bonnes».
Après plusieurs années d'hésitations à élaborer un texte traitant spécifiquement du travail domestique des enfants, en général, et des «petites bonnes», en particulier, le gouvernement a (re)proposé l'intégration de son interdiction, sans autres dispositions.
Or, à l'origine, ce texte avait pour objet de compléter le Code du travail (2004), qui stipule en son article 4: «Les conditions d'emploi et de travail des employé(e)s de maison qui sont lié(e)s au maître de maison par une relation de travail sont fixées par une loi spéciale. Une loi spéciale qui détermine les relations entre employeur(e)s et salarié(e)s et les conditions de travail dans les secteurs à caractère purement traditionnel».
Le traitement du «travail domestique de l'enfant» dans le projet de Loi 19.12, depuis la première version adoptée par le Conseil de Gouvernement du 12 octobre 2011, avait pour objectif de répondre à la revendication de la société civile d'une loi spécifique sur le travail des «petites bonnes» bien plus large et plus élaborée, dont les principales composantes sont rappelées ici.
Par ailleurs, ce projet entend par travail domestique, le ménage, la cuisine, la prise en charge des enfants, la prise en charge d'un membre de la famille employeuse en raison de son âge, de son incapacité, sa maladie ou son handicap, la conduite de véhicule, les travaux de jardinage et la garde du domicile. Nous sommes, par conséquent, loin du monde de l'enfant au sens de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant ratifiée par la Maroc en 1993.
Le projet de Loi 19.12,
un texte non pertinent
La Chambre des Conseillers à laquelle ce projet a été soumis a saisi, pour avis, le Conseil national des Droits de l'Homme (CNDH) et le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) qui ont émis des avis sur la partie concernant les «travailleurs de maison» adultes, comme l'application des dispositions de la Convention 189 de l'OIT, qui a introduit la notion de «travail décent».
D'après les déclarations des participants, en octobre 2013, aux auditions du CNDH et du CESE et au séminaire organisé par la Chambre des Conseillers et l'UNICEF, le traitement de la question des «petites bonnes» dans un texte concernant «les travailleurs de maison» a été jugée incomplet, voire non pertinent.
L'extrait suivant de l'avis du CNDH de novembre 2013 est édifiant à cet égard:
«La question de l'abolition effective du travail des enfants, doit être abordée, de l'avis du CNDH à la lumière de plusieurs paramètres, notamment, les engagements conventionnels du Maroc dans le cadre de la mise en œuvre des conventions 138 et 182 de l'OIT ainsi que la convention relative aux droits de l'enfant, la mise en œuvre des articles 31 et 32 de la constitution, et les conclusions de plusieurs études sociologiques qui ont révélé la précarité de la situation des travailleurs domestiques au Maroc ainsi que l'extrême vulnérabilité des enfants engagés comme travailleurs domestiques, constat qui a été confirmé récemment par les observations adressées au Maroc par la Commission d'experts pour l'application de la convention (N°182) sur les pires formes de travail des enfants.
« En effet, l'examen du travail des enfants dans le travail domestique, selon ces instruments qui détaillent les droits de tous les enfants âgés de moins de 18 ans, révèle le grand nombre de droits qui sont réellement ou potentiellement enfreints, tels que : le droit à la non-discrimination en raison du sexe et/ou du statut social ; le droit à l'éducation et à la formation ; le droit au repos et aux loisirs ; le droit d'être protégé contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun travail susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement mental, spirituel, moral ou social. Le travail domestique peut représenter un danger à cause des tâches réalisées et des conditions de travail, portant ainsi atteinte à l'intégrité physique et au développement psychologique, social et intellectuel de l'enfant. Sans oublier que la situation d'isolement de l'enfant qui vit dans un environnement peu familier, avec peu ou pas de réseaux de soutien, le rend particulièrement vulnérable aux mauvais traitements physiques et verbaux et aux abus sexuels, comme en témoignent les résultats de plusieurs études sociologiques ainsi que les observations adressées au Maroc par la Commission d'experts pour l'application de la Convention N°182 sur les pires formes de travail des enfants.
«Tenant compte de ces éléments, le CNDH considère que la nature et les conditions dans lesquelles s'exerce le travail domestique, au moins dans le contexte marocain, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l'enfant, au sens du paragraphe (d) de l'article 3 de la convention 182 de l'OIT sur les pires formes de travail des enfants.
«Ce raisonnement s'inscrit en complémentarité avec les dispositions du 1er paragraphe de l'article 3 de la convention 138 de l'OIT qui stipule que l'âge minimum d'admission à tout type d'emploi ou de travail qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles il s'exerce, est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des adolescents ne devra pas être inférieur à dix-huit ans.
«Partant de ces éléments juridiques, le CNDH, qui rappelle l'objectif de l'abolition effective du travail des enfants, prévu à l'article 3 de la convention 189, recommande de fixer l'âge minimum d'admission au travail domestique à 18 ans».
Des chiffres alarmants
Il n'existe pas de statistiques exhaustives et précises sur le travail des «petites bonnes» dans notre pays. Généralement, les chiffres publiés par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) à l'occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants traitent des enfants âgés(e)s de 15 ans et moins. Ils ne concernent ni la totalité des enfants au sens de la Convention internationale des Droits de l'Enfant (CDE), ni des «petites bonnes» de manière spécifique.
Selon les estimations de l'étude commanditée, en 2010, par le Collectif «petites bonnes», elles seraient entre 60 000 et 80 000 filles âgées de moins de 15 ans exploitées comme «petites bonnes». Contraintes à travailler parce que leur survie et celle de leur famille en dépendent, elles supportent des conditions de travail et de vie dégradantes, ne correspondant ni à leur âge ni à leurs capacités physiques et psychiques.
De plus, il s'agit d'une pratique d'exploitation de filles mineures, dont une grande majorité est âgée de 8 à 15 ans, qui se passe à l'intérieur des maisons, dans le secret et la duplicité
collective.
L'examen des données recueillies sur ces «petites bonnes» ont montré que :
* 30% n'ont jamais été scolarisées,
* 49% sont en abandon scolaire,
* 38% sont âgées de 8 à 12 ans (âge du premier cycle de l'enseignement fondamental).
* 62% sont âgées de 13 à 15 ans (âge du second cycle de l'enseignement fondamental).
* 21% sont encore scolarisées et travaillent par intermittence (vacances scolaires).
Les données relevées sur les familles émettrices confirment la corrélation entre leur situation socioéconomique et cette pratique sociale très répandue :
* 47% sont pauvres,
* 28% sont très pauvres,
* 16% sont sans revenus irréguliers,
* 9% ont des revenus réguliers,
* 94% des mères et 72% des pères sont analphabètes.
Les Familles récipiendaires :
* 54% sont dans la catégorie dite «classe moyenne»,
* 20% sont dans la catégorie dite «classe aisée»,
* 53% des mères et 68% des pères ont suivi des études supérieures,
* 23% ont des revenus irréguliers,
* Seuls 5% ont suivi des études primaires ou sont analphabètes.
Une réalité dramatique
Pratique répandue et bénéficiant du silence de la loi, l'exploitation dans le travail domestique touche des fillettes généralement issues de régions rurales et périurbaines caractérisées par la marginalisation et la précarité. Elle constitue «une des pires formes du travail de l'enfant». Car derrière des portes closes, ces petites filles sont soumises au bon vouloir et parfois aux pires sévices de leurs employeur(e)s :
* Dépourvues de l'affection et de la protection parentale directe,
* Eloignées/privées de l'éducation et de l'instruction,
* Victimes de malnutrition et dénutrition,
* Sujettes à toutes formes de violences et d'abus physiques, psychologiques et sexuels,
- Très mal payées ou voir pas du tout, etc.
«La majorité des 20 filles interrogées ont déclaré qu'elles étaient à la fois physiquement et verbalement maltraitées par leurs employeurs. Quinze ont commencé à travailler avant 12 ans. Certaines ont déclaré que leurs employeurs les ont battues avec leurs mains, des ceintures, des bâtons en bois, chaussures, ou des tuyaux en plastique. Trois décrivent le harcèlement sexuel ou l'agression sexuelle par des membres masculins de la famille de l'employeur1».
Les exemples notoires répertoriés de maltraitance et d'homicides illustrent parfaitement le danger du travail des «petites bonnes» au Maroc.
Des dispositions légales non appliquées et non adaptées
En plus de textes existants depuis les années 60 du siècle dernier, différentes initiatives visant la protection de l'enfant ont été lancées, parallèlement à l'adoption d'autres textes législatifs dans un objectif d'harmonisation de la législation avec les instruments internationaux :
- Loi 04.00 sur l'obligation de l'enseignement fondamental ;
- Loi 24.03 modifiant le code pénal / statut des mineurs ;
- Code de travail, qui interdit le travail des enfants âgés de moins de 15 ans et impose autorisation pour les 15-18 ans ;
- Plan d'Action Nationale pour l'Enfance 2006-2015, baptisé «Un Maroc digne de ses enfants» ;
- Initiation des Unités de Protection de l'Enfance dans quelques grandes villes ;
- Observatoire National des Droits de l'Enfant (ONDE) chargé du suivi et de la mise en œuvre de la Convention des Droits de l'Enfant ;
- Initiative ‘'INQAD 2007'' de lutte contre le travail des « petites filles domestiques » ;
- Cellules de suivi du travail des enfants par le Ministère de l'Emploi au sein de la Direction
du Travail ;
- Programme «Tayssir» de transferts monétaires conditionnels dans le secteur de l'éducation visant l'encouragement des familles à scolariser leurs enfants ;
Cependant, ces instruments développés et partiellement mis en œuvre de manière éclatée ont montré leur limite dans la protection des enfants exploités comme domestiques, comme
pour d'autres groupes d'enfants. Parmi les importantes explications à cet échec patent, l'absence d'une politique intégrée et multi-ministérielle et d'une loi qui encadre l'interdiction du travail des moins de 18 ans, et plus particulièrement dans ce champ clos qu'est la maison récipiendaire, comme réclamé dans les revendications du Collectif «petites bonnes».
Revendications de la société civile
Pour e Collectif associatif «Pour l'éradication du travail des petites bonnes», l'éradication du travail des «petites bonnes», qui constitue la finalité de l'action de la société civile marocaine, doit être abordée à deux niveaux : Les actions préventives et les actions correctives.
Aussi, le Collectif en appelle au Gouvernement et aux instances élues de prendre en compte les revendications suivantes pour la révision de la politique publique en la matière :
1. Adopter une loi spécifique qui sanctionne l'emploi des filles mineures dans le travail domestique assortie de dispositions claires de mise en œuvre.
2. Définir le rôle de l'Etat et les modalités et les moyens de protection des filles susceptibles d'être victimes du travail domestique.
3. Définir le rôle des différents organes de l'Etat dans la réparation des effets de l'exploitation dans le travail domestique : protection, accompagnement et réinsertion des «petites bonnes» retirées du travail.
4. Définir le rôle des acteurs associatifs et le mode de leur intervention dans le processus de prévention contre l'exploitation des «petites bonnes» et dans la protection, l'accompagnement et la réinsertion des filles retirées du travail.
5. Préciser les sanctions, les modalités et les moyens de leur exécution vis-à-vis de tous les
acteurs liés à la problématique des «petites bonnes», chacun suivant leur niveau d'implication.
6. Harmoniser et coordonner les politiques publiques d'éradication du travail des «petites bonnes», à l'échelle nationale et locale, pour optimiser les programmes et constituer un système de veille efficace.
Source: Association INSAF
1. Novembre 2012 - Human Rights Watch
- Lonely servitude child domestic
labor in Morocco


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