Ex-lieutenant de Joseph Blatter, président inamovible de la FIFA, Jérôme Champagne est pour l'instant le seul candidat déclaré à la tête de la Fédération. Le Français assure qu'il ne roule pas contre Platini pour le compte de son ex-patron. Attablé à la terrasse d'un restaurant bon marché situé sur les berges du lac de Zurich, Jérôme Champagne se lance dans un long exposé sur la « multipolarité du football » tout en égrenant ses souvenirs chamarrés de diplomate. « J'ai visité près de 150 pays », répète inlassablement ce Francilien de 55 ans, « drogué de ballon rond » et entré au Quai d'Orsay en 1983. Successivement en poste à Oman, à Cuba et à Los Angeles, ce fils de professeur d'éducation physique et sportive issu de la « classe moyenne » s'apprête à rallier le Brésil, un pays qu'il connaît comme sa poche pour avoir été numéro trois au consulat de France à Brasilia de 1995 à 1997. Les 10 et 11 juin, ce polyglotte, capable de converser en cinq langues, se rendra à Sao Paulo, où se réunissent les 209 délégués nationaux qui constituent le congrès de la Fédération internationale de football (FIFA). A la veille de l'ouverture de la Coupe du monde, il prêtera une oreille attentive au discours du Suisse Joseph Blatter, 78 ans, qui dirige l'institution depuis 1998. Alors que le Valaisan devrait annoncer officiellement son intention de briguer un cinquième mandat de quatre ans, Jérôme Champagne multipliera les rencontres avec les patrons des fédérations nationales dans le cadre de sa propre campagne. Car depuis le 20 janvier, celui qui œuvra durant onze années (1999-2010) aux côtés de « Sepp » Blatter comme conseiller diplomatique puis vice-secrétaire général et directeur des relations internationales de la FIFA est le premier candidat à s'être officiellement déclaré dans l'optique du scrutin présidentiel qui aura lieu en mai 2015. Quatre mois avant que le Congrès n'élise le nouveau patron du football mondial, Jérôme Champagne devra réunir les parrainages d'au moins cinq dirigeants de fédérations nationales. « Je suis resté conseiller des fédérations du Kosovo, de la Palestine et de Chypre-Nord, détaille cet ex-féru de voile et socio du FC Barcelone. Les membres du congrès qui voteront savent qui je suis.Je ne dirai pas qui me soutient aujourd'hui, car je ne veux mettre aucune fédération dans l'embarras. » A Londres, lors de sa déclaration de candidature, l'ex-cadre de la FIFA a toutefois pris le soin de dévoiler le patronyme de l'un de ses illustres alliés. Le roi Pelé en personne a pris la plume pour soutenir officiellement « Jérôme Champagne et sa vision ». Les deux hommes sont amis depuis le passage du diplomate à Brasilia. L'ex-buteur de la Seleçao était alors ministre fédéral des sports de son pays. « C'est quelqu'un qui a tenu mes enfants dans ses bras lorsqu'ils étaient petits, sourit le candidat. Ceux qui pensent que le soutien de Pelé ne veut rien dire font partie de ceux qui le sous-estiment. On m'a demandé combien j'avais payé Pelé pour avoir son soutien. J'ai ri en disant que cela ne s'achetait pas. C'est beaucoup de responsabilités. Si je dis des conneries, on va dire à Pelé : "Vous soutenez quelqu'un qui dit des conneries." Si je suis élu et que j'en fais, cela sera pareil. » Nanti de ce parrainage, Jérôme Champagne a effectué plusieurs déplacements de campagne en Afrique du Sud, Inde, Hongrie et Tunisie. Depuis janvier 2012, il envoie aux patrons des fédérations nationales et aux journalistes des lettres thématiques afin de décliner son programme. « Je veux restaurer l'image de la FIFA », assure-t-il. C'est peu de dire que l'institution est discréditée par une kyrielle d'affaires et d'allégations de corruption depuis plusieurs années. Dernière en date : le Qatari Mohamed Ben Hammam est accusé d'avoir versé 5 millions de dollars (3,7 millions d'euros) de pots-de-vin à des membres éminents de la FIFA dans le cadre du vote d'attribution du Mondial 2022 à son pays, le 2 décembre 2010. Ecarté de la course à la présidence lors du scrutin de mai 2011, l'ancien rival de Sepp Blatter et ex-patron de la Confédération asiatique de football a été radié à vie du monde du football, en décembre 2012. L'ex-vice-président de la FIFA aurait tenté d'acheter les voix de plusieurs membres du comité exécutif (Comex) – le gouvernement de la fédération internationale à l'époque chargé d'attribuer les Mondiaux –, dont celle du Trinidadien Jack Warner, ex-patron de la Confédération de football d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf), démissionnaire du Comex en 2011. « Parfois, les critiques qui ont été faites à la FIFA sont justes, mais elles sont très souvent injustes. On accuse la FIFA de tout ce qu'ont fait certains membres de cette pyramide qui sont là parce qu'ils ont une fonction continentale et pas une fonction nationale », assure l'ex-diplomate qui prône une réforme institutionnelle qui permettant de « remettre au centre du jeu les fédérations nationales » au détriment des « confédérations qui ont pris le pouvoir du gouvernement de la FIFA ». « Ce sont des Etats dans l'Etat, insiste le candidat. Le président de la FIFA, oublions M. Blatter, vit en cohabitation permanente. C'est comme si Obama avait dû gouverner avec John McCain, qui venait d'être battu, et avec Mitt Romney, qui voudrait tout torpiller pour empêcher sa réélection. » « Le Comex est devenu une sorte de Bourse où les présidents des confédérations s'échangent leurs votes. Je n'ai rien contre elles, mais elles pensent d'abord à leurs intérêts. Quand on est en cohabitation, on détourne parfois les yeux parce qu'on ne peut rien faire. On doit parfois dîner avec le diable avec une longue cuillère », lâche Jérôme Champagne en référence à Ben Hamman, accusé par la presse britannique d'avoir influencé le vote de Michel Platini, le patron de l'UEFA, en faveur du Qatar. De Sepp Blatter, Jérôme Champagne dit apprécier « la vision multipolaire du monde ». « Il veut garder l'universalité du jeu, ou éviter que le foot ne soit pris que par des intérêts uniquement privés, poursuit-il. Il y a très peu de différence entre ce que lui peut dire et ce que je peux dire. Ce n'est pas forcément une surprise puisqu'on a travaillé onze ans ensemble. » Les deux hommes se sont rencontrés, au printemps 1998, alors que le diplomate officiait en tant que chef du protocole du comité d'organisation du Mondial organisé en France. Lors d'un trajet en voiture entre l'aéroport de Roissy et le Stade de France, Jérôme Champagne présente ses idées au dirigeant suisse, qui est alors le secrétaire général de la FIFA et en lice pour remplacer le président Joao Havelange, en place depuis 1974. « Au moment de lui dire au revoir, il me dit : "Jérôme, c'est fait, c'est décidé. Si je gagne, vous viendrez travailler avec moi", se remémore le candidat. Il a tenu parole, et Platini et moi avons commencé le même jour, le 4 janvier 1999, comme conseillers du président. Lui comme conseiller football et moi comme conseiller politico-international. » Cette proximité d'antan nourrit les accusations de ses détracteurs. Pour ces derniers, la candidature Champagne servirait à occuper l'espace en attendant l'entrée en scène de Blatter. « Je ne suis le sous-marin de personne, je ne roule pour personne, rétorque le quinquagénaire. Je défendrai mes idées jusqu'au bout. » Celui qui fut « les yeux et les oreilles » du président de la FIFA souhaite que plusieurs débats télévisés aient lieu entre les différents candidats lors des six congrès continentaux qui précéderont le scrutin. « Je ne suis là ni pour la gloire, ni pour le titre, ni pour le salaire », glisse-t-il. Un autre prétendant pourrait se déclarer dans les prochains mois : Michel Platini, rival numéro un de Blatter. Cette semaine, le patron de l'UEFA a dû se justifier sur sa rencontre avec le sulfureux Ben Hammam quelques jours avant le vote pour l'attribution du Mondial 2022 et un repas à l'Elysée avec le président français Nicolas Sarkozy et Tamim Ben Hamad Al-Thani, actuel émir du Qatar et à l'époque prince héritier. « Qui représente-t-il, à part lui-même ? », a récemment questionné Michel Platini dans les colonnes du Parisien en faisant référence à la candidature de Champagne. Faut-il voir derrière cette flèche enduite de curare une mésentente entre les deux anciens lieutenants de Blatter ? « Je ne déteste pas Michel Platini. Ce qui s'est passé, ce qu'il m'a fait... c'est du passé. J'étais très fier avec M. Blatter de l'aider à devenir président de l'UEFA [en 2007] », répond le diplomate Champagne en lui rappelant sa « dette ». Sur son éviction de la FIFA, en janvier 2010, Jérôme Champagne s'était longtemps abstenu de toute explication. Selon l'intéressé, les querelles avec l'UEFA sur le projet de réforme du « 6 + 5 », en vertu de laquelle un club devait aligner un minimum de six joueurs nationaux dans le onze titulaire, et la volonté de Mohamed Ben Hammam de faire élire ses alliés à la tête des fédérations de Jordanie et du Koweït expliqueraient son départ de l'institution. « Pour affaiblir Blatter, il fallait détruire Champagne, affirme-t-il. Sur ces deux dossiers, j'ai servi de fusible politique. » En attendant que ses concurrents se découvrent officiellement, le diplomate continuera à parcourir le vaste monde pour imposer ses idées.« Les dérives découlent des institutions, j'en suis convaincu, argue-t-il. Il faut lutter contre les déséquilibres économiques et faire les réformes institutionnelles nécessaires. La FIFA est privée de débats depuis trop longtemps. »