Sur le plan de la demande, l'imprévisibilité du climat d'investissement de la région, le coût élevé de l'activité commerciale et la rigidité de la réglementation du travail découragent la croissance et la création d'emplois par le secteur privé et encouragent les activités informelles (Subrahmanyam, 2011 : 7-9). Indépendamment de leur classement dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale (Banque mondiale, 2013a), tous les pays de la région ont des points communs. Les lenteurs administratives, la corruption et le coût prohibitif de certaines procédures liées à la création d'entreprises, comme l'obtention de permis de construire ou l'enregistrement de biens, poussent les petites entreprises à opérer dans le secteur informel et à rester petites pour éviter d'être découvertes. Le coût élevé de l'impôt des sociétés ayant des employés, les politiques restrictives en matière de recrutement et de licenciement et le niveau élevé des salaires minimums sont autant de raisons pour lesquelles les employeurs se gardent d'embaucher des travailleurs ou le font "sous la table", à un coût inférieur au salaire minimum. À cause de la rigidité des politiques de licenciement, les entreprises hésitent à embaucher des jeunes, en particulier les nouveaux venus n'ayant pas d'expérience professionnelle. La Tunisie occupe le dernier rang de la base de données Doing Business 2013 dans la catégorie de l'embauche "Employing Workers", en raison de la rigidité des règles de licenciement des travailleurs (Banque mondiale, 2013a). Étant donné que les salaires minimums en Afrique du Nord sont déterminés par voie de négociations collectives, ils ont tendance à être artificiellement élevés. En outre, ils ne sont pas rattachés à la productivité des travailleurs. C'est pourquoi beaucoup d'entrepreneurs les considèrent comme un facteur dissuasif à l'embauche formelle. De même, les coûts élevés de la sécurité sociale et des cotisations de retraite encouragent les employeurs à éviter de les payer, soit en recrutant moins de travailleurs, soit en ayant recours aux temporaires ou à l'embauche illégale (Dyer, 2005 : 24). La propension des entreprises à éviter les frais de main d'oeuvre crée un cycle de précarité du travail qui s'auto-perpétue. Le faible accès au crédit limite les possibilités d'auto-emploi et la création de nouvelles entreprises dynamiques. L'accès au financement constitue un obstacle majeur à l'activité commerciale, de l'avis de 19 % des entreprises marocaines, de 18 % des entreprises tunisiennes et de 16 % des entreprises algériennes (Forum économique mondial, 2010). La faiblesse des droits des créanciers, des normes en matière d'audit et d'établissement de rapports, ainsi que des lois d'exécution de contrats, fait de l'octroi de prêts une activité risquée en Afrique du Nord. C'est pourquoi les banques et les créanciers préfèrent prêter à des gouvernements ou sociétés « sûrs », plutôt qu'à des PME « présentant des risques » (Allen et al, 2011 : 3 ; Banque mondiale, 2011a). Les exigences de garantie sont élevées pour protéger les banques : 131 % du montant du prêt en Égypte, 171 % au Maroc, 185 % en Algérie et près de 200 % en Tunisie (Banque mondiale, 2007 ; Hengel et al, 2008 ; BAD et al. 2011). Puisque la majorité des petites entreprises ne peut se permettre d'emprunter à de telles conditions, les entrepreneurs sont obligés d'avoir recours aux capitaux privés. En général, cette option n'est pas à la portée des jeunes, surtout les jeunes femmes, qui manquent souvent de biens pouvant être utilisés comme garantie. L'accès limité au financement, combiné au coût élevé des activités commerciales formelles, a entraîné la prolifération de petites entreprises non enregistrées qui ne créent pas beaucoup d'emplois et sont peu susceptibles de s'agrandir (Subrahmanyam, 2011). Plus de 90 % des entreprises nord-africaines sont des micro entreprises employant moins de cinq personnes (BAD, 2013). Le manque de diversification et de perfectionnement de l'économie empêche les pays de la région de générer un nombre suffisant d'emplois qualifiés dans le secteur privé pour absorber le nombre croissant de jeunes qui arrivent sur le marché du travail chaque année (BAD, 2012a). Par ailleurs, tous les pays d'Afrique du Nord n'ont pas les mêmes capacités de création d'emplois qualifiés. Il est évident que des économies sous diversifiées ou mal diversifiées comme celles de l'Algérie et de la Libye ont énormément de mal à générer des emplois qualifiés hors du secteur pétrolier pour les jeunes instruits. Cependant, même des économies plus diversifiées comme celles du Maroc et de la Tunisie sont en butte à des difficultés semblables, à cause du manque de perfectionnement du secteur des services et du secteur industriel. Au cours des 20 dernières années, ces pays ont enregistré un déclin du secteur manufacturier par rapport aux autres, à cause du manque de développement de certains secteurs (comme l'électronique) qui ont stimulé une croissance rapide et favorisé une augmentation de la valeur ajoutée dans d'autres régions. Ainsi, en Égypte, les exportations de haute technologie constituaient moins de 1 % de toutes les exportations de produits manufacturés entre 2008 et 2011 (Banque mondiale, 2013b). Parallèlement, comme la plupart des emplois créés dans le secteur des services (qui connaît une croissance rapide) se caractérisent par une faible productivité et de bas salaires, la composition générale des emplois a basculé vers des emplois moins qualifiés. Dans cette dynamique, le gouvernement reste le principal pourvoyeur d'emplois qualifiés et bien rémunérés pour les jeunes Nord- Africains instruits, ce qui explique pourquoi ces derniers continuent de se bousculer pour occuper ces postes (Stampini et Verdier- Chouchane, 2011). L'inégalité des investissements publics pendant une longue période a causé de profondes inégalités qui ne cessent de se creuser entre zones côtières et zones intérieures et entre zones urbaines et zones rurales dans tous les pays d'Afrique du Nord. En Tunisie, par exemple, la politique industrielle menée par le gouvernement entre 1973 et 2006 a favorisé un développement plus rapide des zones côtières du nord et de l'est du pays, par rapport aux régions intérieures du sud et de l'ouest (Erdle, 2011). Les zones côtières ont reçu l'écrasante majorité (65 %) des investissements publics entre 2000 et 2005, tandis que l'intérieur du pays n'a reçu aucune aide publique (Page, 2012 : 33). Ce développement différencié a suscité une fuite des cerveaux caractérisée par des migrations de jeunes instruits de l'intérieur du pays vers la côte, ce qui a compromis le potentiel de développement à long terme du secteur privé dans les zones intérieures (Erdle, 2011). La Tunisie n'est pas un cas isolé : des tendances similaires de développement régional inégal peuvent être observées dans d'autres pays d'Afrique du Nord.