Vladimir Poutine a signé mardi le traité de rattachement de la Crimée à la Fédération russe en ignorant les protestations de Kiev et les sanctions des pays occidentaux, auxquels il a toutefois assuré ne pas avoir l'intention d'annexer d'autres régions ukrainiennes. Dans un discours aux forts accents patriotiques, régulièrement interrompu par des applaudissements nourris des parlementaires, il a qualifié la Crimée de partie intégrante de la Russie et accusé l'Occident de recourir à une logique de Guerre froide en cherchant à empêcher l'annexion de la péninsule. Au son de l'hymne national russe, il a ensuite paraphé avec les dirigeants criméens un traité intégrant la Crimée à la Russie. Le texte doit encore être ratifié par le Parlement, ce qui devrait être fait dans les prochains jours. Peu après la signature du traité, des soldats russes auraient pris d'assaut une base ukrainienne à Simféropol, où un soldat ukrainien a été tué par balles, selon un porte-parole de l'armée à Kiev. Le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, a aussitôt accusé Moscou de s'être rendu coupable d'un «crime de guerre» et a jugé que le conflit était passé «d'un niveau politique à un niveau militaire». L'annexion de la Crimée a aussi provoqué de nouvelles condamnations en Occident. Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, et le vice-président américain, Joe Biden, ont dénoncé au cours d'une conférence de presse commune une décision «inacceptable», tandis que Londres a annoncé la suspension de sa coopération militaire avec Moscou; Tokyo a rompu les discussions sur la promotion des investissements. Alors que la France envisage de suspendre la vente de deux navires porte-hélicoptères Mistral à la Russie, le président François Hollande a espéré «une réponse européenne forte et concertée» à l'issue du Conseil européen des 20 et 21 mars. MOSCOU IRONISE SUR LES SANCTIONS Les membres du G7 se réuniront également la semaine prochaine en marge du sommet sur la sécurité nucléaire à La Haye. Moscou a ironisé mardi sur les sanctions ciblées adoptées jusqu'à présent par l'Union européenne et les Etats-Unis, qui ne suscitent que des «sarcasmes», selon un conseiller de Vladimir Poutine, tout en promettant d'y répliquer. Dans son discours, le président russe a vilipendé l'»hypocrisie» des pays occidentaux qui ont soutenu l'indépendance du Kosovo de la Serbie mais ont refusé, selon lui, le même droit à la Crimée. «Vous ne pouvez pas dire d'une même chose qu'elle est blanche un jour et noire le lendemain», a-t-il dit. Le président russe a aussi accusé les Occidentaux d'avoir «dépassé les bornes» et agi de manière «irresponsable» en Ukraine, où ils ont soutenu le mouvement de contestation ayant abouti à la destitution du président pro-russe Viktor Ianoukovitch, le 22 février dernier. Il a livré une charge féroce contre les «prétendues» nouvelles autorités ukrainiennes, accusées d'ouvrir la voie aux «néo-nazis». «Ils ont eu recours à la terreur, aux meurtres, aux pogroms», a-t-il dit en les qualifiant de «nationalistes, de néo-nazis, de russophobes et d'antisémites». LA RUSSIE S'EST SENTIE «VOLÉE» Vladimir Poutine a dans le même temps cajolé la Chine, qu'il a remerciée pour son soutien - quand bien même Pékin n'a pas mis son veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Il a aussi affirmé que le peuple allemand soutiendrait la «réunification» russe comme il a soutenu la réunification de son propre pays après la chute du mur de Berlin. Les autorités allemandes ont peu après accusé le président russe d'avoir «menti» à la chancelière Angela Merkel sur ses intentions à l'égard de la Crimée. Vladimir Poutine a justifié sa décision par le fait que la Crimée est historiquement un territoire russe. Rappelant que «l'impossible s'est produit» avec la dislocation de l'URSS et la séparation de l'Ukraine et de la Russie au début des années 1990, Vladimir Poutine a déclaré: «Lorsque la Crimée est soudainement devenue une partie d'un autre pays, (...) la Russie a éprouvé le sentiment que non seulement quelque chose lui avait été volé mais qu'elle avait été dévalisée.» «Dans les coeurs et les esprits, la Crimée a toujours été et restera une partie indissociable de la Russie», a-t-il ajouté dans ce discours de 47 minutes, qui, outre les fréquents applaudissements, a arraché des larmes à certaines femmes dans l'auditoire. «La Crimée et Sébastopol reviennent à la maison, dans leur port d'attache, en Russie», a plus tard déclaré Vladimir Poutine devant une foule de partisans en liesse réunis sur la place Rouge à Moscou. «Gloire à la Russie!», a-t-il conclu. PAS D'AUTRES PROJETS D'ANNEXION A Sébastopol, qui héberge la flotte russe de la mer Noire, comme dans la capitale régionale Simféropol, où le discours du président russe était retransmis en direct à la télévision, la signature du traité a également suscité des scènes de joie chez les habitants qui, à 97%, ont dit «oui» au rattachement dimanche. Elle a en revanche accentué l'inquiétude des Tatars, la minorité musulmane de la péninsule. () Avant le discours de Vladimir Poutine, le Premier ministre par intérim ukrainien, Arseni Iatseniouk, avait cherché à apaiser Moscou en assurant que l'Ukraine n'a aucune intention d'intégrer l'Otan et que les milices ultranationalistes responsables de violences contre la population russophone seraient désarmées. () Si le président russe ne s'est pas laissé fléchir sur la Crimée, il a en revanche assuré que Moscou ne chercherait pas à s'emparer d'autres territoires d'Ukraine, dont la partie orientale est peuplée en grande partie de russophones. «Ne croyez pas ceux qui cherchent à vous effrayer avec la Russie et qui hurlent que d'autres régions vont suivre l'exemple de la Crimée», a-t-il dit. «Nous ne souhaitons pas une partition de l'Ukraine, nous n'en avons pas besoin.» Ces propos, jugés rassurants par les investisseurs, ont fait bondir le cours des actions russes et permis au rouble de réduire ses pertes.