Après être passé par le Collège Sadiki et le lycée Carnot de Tunis, Raja Farhat fait des études de littérature et théâtre au Piccolo Teatro de Milan avant de poursuivre des études universitaires à Grenoble et Paris-Sorbonne Nouvelle. Fondateur du Théâtre du Sud dans la région des mines de Gafsa, il rejoint le ministère de la Culture pour diriger la Maison de la Culture et la Galerie des arts de Tunis, le Festival International de Carthage, le Centre culturel et le Festival international de Hammamet. Outre le fait qu'il a été commissaire de l'année de la culture tunisienne en France, il remplit la fonction de Directeur général de l'Agence internationale de la Francophonie. Farhat est auteur et réalisateur de théâtre, ayant à son actif des dizaines d'œuvres dont la série « Cités d'Orient » sur les grandes cités de la culture arabe. Au Maroc, Raja Farhat a toujours été régulièrement présent pour des manifestations culturelles. « J'ai beaucoup d'amis au Maroc : Abdellah Stouky, Tayyeb Saddiki, Mohamed Sbaï, Najib Senhaji, compagnon du festival d'Asilah, et bien d'autres. Tous les ans, je passe par Casablanca et par d'autres villes marocaines. Un pays qu'on aime c'est un pays où l'on a plusieurs maisons d'amis, mon passage était toujours culturel, soit une semaine culturelle, pour faire venir un artiste tunisien vers le public marocain ». La tournée de la pièce « Bouguiba dernière prison » sera suivie par la réalisation d'un film documentaire qui « retracera la saga du Roi Lear de Carthage, haute figure politique et intellectuelle du XXème siècle ». Entretien : -Peut-on dire que votre pièce est un hommage à Bourguiba ? -Non, c'est une pièce de théâtre historique et dans l'Histoire, il n'y jamais d'hommage. Ce n'est une pièce de propagande. Pour qui ? On fait de la propagande pour des présidents encore en exercice. Mais là, Bourguiba n'est vraiment plus là ! Sans qu'on puisse parler d'un hommage proprement dit, ce qui est évident, c'est que Bourguiba est pour nous l'homme de la modernité, c'est une personnalité qui a vécu tout le XXème siècle, c'est notre mémoire, c'est l'homme des missions impossibles. Regardez par exemple les images de la seconde guerre mondiale, le défilé de la victoire à Tunis en mai 1943. Ce sont des événements marquants de toute notre Histoire en Afrique du Nord que cet homme a représentés parce qu'il a relié des générations et des générations. -Est-ce que la pièce s'inscrit dans le cadre de la transition tunisienne en cours ? -En réalité, la pièce a été écrite bien avant 2011. Il a fallu faire beaucoup de travail pour réunir un peu toutes les séquences de la vie du personnage, écouter les témoignages, lire les documents, les livres, visionner des films. Tout cela c'est immense, un siècle c'est pas facile à résumer. Et donc le travail étant fait, il a fallu mettre en scène un spectacle qui s'adresse au public actuel après la révolution du 14 janvier 2011 à Tunis. -Les jeunes ne sont pas censés connaître Bourguiba. -C'était ça le défi, faire venir les jeunes, et les jeunes effectivement sont venus. La pièce a été présentée plus de cent fois en Tunisie avec un succès qui nous étonne parce qu'au début c'étaient les vieux qui sont venus, les femmes amoureuses de Bourguiba comme d'habitude, les vieux qui ont milité avec lui pour l'indépendance, c'est un peu comme la vieille génération des nationalistes marocains. Ensuite les jeunes sont venus à leur tour pour constituer actuellement la majorité de notre public. -Ils sont accrochés comment les jeunes par cette pièce ? -Ils sont accrochés par le fait que ce que nous vivons actuellement, rappelle Bourguiba à l'actualité d'une manière toute particulière. -Il y a donc des évocations du temps actuel ? -A coup sûr et le message est très puissant du fait du contexte actuel. Bourguiba luttait contre la décadence des musulmans, il tenait à répondre à la question de savoir pourquoi nous sommes le peuple le plus ignare, le plus retardataire, le plus pauvre de la terre après avoir été à une époque les maîtres du monde. -Quand on entend parler de « dernière prison », on aurait tendance à ne retenir que la notion de victime ? -Bourguiba est d'abord un prisonnier politique, il a fait plus de prison que Mandela par exemple, il avait commencé avec, comme premiers geôliers, les Français dès les années trente du XXème siècle dans le sinistre pénitencier Borj Le bœuf, il a fini avec Benali qui l'a démis de ses fonctions en 1987 et pendant treize longues années, il était tenu en résidence surveillée, avant de décéder au printemps de l'an 2000 après avoir marqué son passage. Et comme on le répète souvent, ce sont les filles, les petites filles de Tunisie, les jeunes étudiantes de Monastir qui ont le plus pleuré Bourguiba parce qu'il représente tellement le droit des femmes à la dignité qu'il s'est identifié à cette cause-là. Quand les islamistes ont pris le pouvoir à Tunis, immédiatement Bourguiba est revenu parce que le message est là, parce que le Code du statut personnel est là comme autant d'acquis sur lesquels on ne peut pas revenir.