L'Egypte a expulsé samedi l'ambassadeur de Turquie, tandis qu'Ankara répliquait en déclarant l'ambassadeur d'Egypte «persona non grata», aggravant la crise diplomatique née entre deux poids lourds du Moyen-Orient depuis la destitution du président islamiste Mohamed Morsi. Samedi soir, le Premier ministre turc islamo-conservateur Recep Tayip Erdogan a enfoncé le clou, s'en prenant aux autorités que l'armée a installées en Egypte après l'éviction le 3 juillet de son grand allié Mohamed Morsi. «Je ne respecterai jamais ceux qui sont arrivés au pouvoir par un coup d'Etat», a-t-il dit aux journalistes. Samedi matin, M. Erdogan avait lors d'un rassemblement à Trabzon, dans le nord de la Turquie, fait une nouvelle fois le salut à quatre doigts, reproduisant le signe de ralliement des pro-Morsi. Ses propos interviennent après que le ministère égyptien des Affaires étrangères a convoqué samedi matin l'ambassadeur de Turquie, Huseyin Avni Botsali, lui signifiant qu'il était désormais «persona non grata». Le Caire réagissait à des propos de M. Erdogan, qualifiés «d'ingérence inacceptable dans les affaires internes de l'Egypte» et de «provocation». M. Erdogan avait affirmé jeudi n'avoir «aucun respect pour ceux qui ont amené M. Morsi devant la justice». Il faisait référence au procès ouvert le 4 novembre du seul président jamais élu démocratiquement d'Egypte pour «incitation au meurtre» de manifestants. Dans le même temps, le ministère égyptien des Affaires étrangères a annoncé que son ambassadeur, Abderahman Salah ElDin, rappelé le 15 août d'Ankara, ne retournerait pas à son poste et que désormais seul un chargé d'affaires assurerait la représentation diplomatique égyptienne. Le ministère a en outre accusé la Turquie de «soutenir (...) des organisations cherchant à créer l'instabilité», faisant visiblement référence aux Frères musulmans, dont est issu M. Morsi. Situation «temporaire» Peu après, la Turquie, qui avait promis la «réciprocité», déclarait l'ambassadeur Salah ElDin «persona non grata», réduisant ses relations diplomatiques avec l'Egypte au niveau des chargés d'affaires. Le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu a dénoncé l'expulsion de son diplomate, appelant à ce que «la courtoisie diplomatique soit observée même en temps de crise». Mais le président turc Abdullah Gül a estimé que la situation était «temporaire et conjoncturelle» et dit espérer que «les relations reprendront leur cours» et l'ambassadeur Botsali a affirmé qu'il «(continuerait) à prier pour le bien de l'Egypte» car «il est de la plus grande importance pour la région et pour le monde que l'Egypte reste sur la voie de la démocratie». La tension est vive entre les deux pays depuis que l'armée a destitué M. Morsi, quelques jours après que des millions d'Egyptiens ont manifesté pour réclamer son départ, l'accusant de vouloir islamiser la société et d'accaparer le pouvoir au profit des Frères musulmans. M. Erdogan avait parlé dès le 3 juillet de «coup d'Etat» et dénoncé le 14 août un «très grave massacre» de manifestants «pacifiques», après la dispersion par soldats et policiers de manifestants pro-Morsi au Caire qui a fait, de source officielle, 627 morts. Le 15 août, Ankara et Le Caire annonçaient le rappel de leurs ambassadeurs pour consultations. Le diplomate turc est revenu au Caire début septembre mais son homologue n'est jamais retourné à Ankara. Les deux capitales avaient également annulé des man?uvres navales communes en octobre. D'autre part, des sources judiciaires égyptiennes ont annoncé samedi la prolongation de la détention préventive d'un étudiant turc accusé d'avoir participé à des manifestations violentes au Caire. La répression des islamistes a fait plus d'un millier de morts en Egypte, en majorité des manifestants pro-Morsi, et conduit à plusieurs milliers d'arrestations. D'autres pays ont aussi fait les frais de leurs critiques des nouvelles autorités chapeautées de facto par l'armée. Le Caire avait ainsi rappelé son ambassadeur en Tunisie le 28 septembre, après que le président Moncef Marzouki eut appelé à la libération de M. Morsi, détenu depuis sa destitution. L'ambassadeur Ayman Mousharafa est toutefois revenu en novembre à Tunis. Les relations entre Washington et Le Caire ont également connu un passage à vide après le coup de force des militaires. Après plusieurs atermoiements, Washington a décidé de geler partiellement sa substantielle aide annuelle à l'Egypte (1,5 milliard de dollars, dont 1,3 à l'armée). Depuis, l'Egypte affirme vouloir diversifier ses «options» et a récemment reçu en grande pompe les ministres russes des Affaires étrangères et de la Défense.