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Lahcen Kers, Magistrat, Président de section à la Cour des comptes: « Aller au-delà du contrôle de la gestion des finances publiques pour apprécier la réalisation de leurs objectifs de développement »
Le Maroc a engagé depuis plusieurs années un processus de réforme profonde de ses modes de gestion et de contrôle des finances publiques qui s'inscrit dans le cadre de la stratégie de réforme de l'administration publique. Initiée en 2001, cette réforme vise à améliorer les performances de l'administration publique par la modernisation des processus de gestion des ressources budgétaires en replaçant le gestionnaire et le citoyen au coeur des préoccupations de l'action publique, tout en assurant la performance des actions publiques et la qualité des prestations fournies aux usagers. A titre de rappel cette réforme a été conçue autour de deux chantiers majeurs, à savoir : la réforme budgétaire et la réforme des systèmes de contrôle et de comptabilité. Concernant la réforme budgétaire, l'objectif principal recherché consiste en l'instauration de la logique de résultat pour une meilleure performance dans la gestion des finances publique. Elle a été déclinée en trois composantes essentielles : la fongibilité des crédits, la contractualisation entre les administrations centrales et leurs services déconcentrés et la programmation pluriannuelle par l'instauration d'un cadre triennal de dépenses, tendant à optimiser l'allocation des ressources budgétaires, le tout en, en mettant en place des objectifs clairement définis et des indicateurs de mesure de la performance préalablement déterminés. Cette réforme a été mise en place selon une démarche expérimentale et progressive et sous forme d'aménagement juridiques et techniques, souvent à droit constant. Elle devrait aboutir normalement à la refonte de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), en cours de préparation. Pour ce qui est des systèmes de contrôle et de comptabilité relatifs aux opérations de recettes et de dépenses de l'Etat, la réforme vise la simplification des procédures, la clarification des responsabilités des différents intervenants dans la chaîne d'exécution des opérations budgétaires et comptables et l'adoption d'un nouveau cadre comptable de l'Etat. Les principales actions menées à ce niveau ont concerné le rapprochement des structures des comptables publics des contrôleurs (fusion TGR-CGED) avec les conséquences sur l'allégement de la responsabilité des comptables publics et la responsabilisation des ordonnateurs, le renforcement des capacités des gestionnaires, la généralisation du système de gestion intégrée de la dépense (GID), l'amorçage du chantier comptable de l'Etat (adoption de nouvelles normes comptables liées au système de l'exercice et l'intégration de la dimension patrimoniale, publication du bilan d'ouverture, développement du progiciel comptable de l'Etat ...). Ces réformes, qui traduisent la volonté des pouvoirs publics pour atteindre les objectifs de la performance et de transparence au niveau de l'action publique, ont permis d'enclencher une prise de conscience et une meilleure compréhension de leur nécessité et de leur retombées positives. Ainsi, des évolutions positives ont été constatées par la Cour, notamment au niveau de la reddition de comptes, la maîtrise des procédures et de la discipline budgétaire. Par ailleurs, il y a lieu de noter que la Loi de règlement, qui a souffert longtemps du peu d'intérêt manifesté par le gouvernement et le Parlement, a retrouvé une relative importance avec les réformes budgétaires et qui ont permis la réduction significative des délais de présentation du projet de la loi de règlement. Cette dynamique est amenée à se renforcer davantage avec le projet de refonte de la LOLF. Quelle stratégie de la Cour des comptes dans le contexte des réformes? La planification stratégique de la Cour des comptes est fondée sur ses valeurs et ses missions qui sont édictées par la Constitution du Royaume ainsi que le dispositif légal la régissant. Ce cadre permet de structurer l'analyse des réalités institutionnelles, administratives et sociétales auxquelles la Cour est confrontée. Afin de jouer pleinement son rôle d'institution supérieure de contrôle des finances publiques du Royaume, que lui confère la Constitution et agir de manière efficace et positive dans le domaine de la gestion publique, la Cour des comptes agit selon un plan d'action qui s'inscrit dans la continuité, en consolidant les acquis et en oeuvrant pour l'amélioration de ce qui constitue encore des faiblesses ou des adaptations aux réformes qui s'opèrent dans son environnement juridique et institutionnel. De même, la Cour est appelée à se préparer aux nouvelles missions prévues dans la constitution ou celles en cours d'intégration dans des textes importants comme la LOLF, la régionalisation,...etc. Dans ce sillage, la Cour est en phase de finaliser sa vision pour les amendements qu'elle compte apporter au code des juridictions financières en tenant compte de toutes ces dynamiques. En matière juridictionnelle, notamment en ce qui concerne l'apurement et le jugement des comptes des comptables publics, il est à préciser que la particularité de cette attribution en termes d'assujettis, de modalités d'exercice, de sanctions...etc. a suscité beaucoup de débat à la fois d'ordre procédural que de finalités. Les procédures juridictionnelles devant la Cour et les Cours régionales des comptes souffrent des limites liées à leur compatibilité avec les exigences du procès équitable, tel qu'il est rappelé par la nouvelle Constitution (Art. 23). A cet égard, la Cour vise à revoir ses procédures pour plus d'efficacité, notamment en ce qui concerne : - La publicité des audiences en se conformant aux dispositions constitutionnelles ; - Le caractère contradictoire de la procédure qui est basée actuellement sur la règle du double arrêt, une spécificité de cette procédure, peut être évoqué comme atteinte à l'impartialité de la formation qui juge deux fois. Avec la publicité des audiences, les droits de la défense sont garantis ; - L'impartialité des procès et l'égalité des armes, essentiellement au niveau des procédures relatives à la discipline budgétaire et financière ; - L'amélioration des délais de jugement afin d'améliorer le dispositif d'apurement et de jugement des comptes publics. Concernant l'impact recherché à travers ses attributions juridictionnelles, la Cour des comptes est en phase de faire de l'apurement et le jugement des comptes un moyen pour améliorer le contrôle interne, l'instauration d'une discipline budgétaire et financière et la mise en jeu éventuelle des responsabilités. Pour atteindre un tel objectif, il est primordial de revoir la configuration comptable en accélérant les processus en cours visant l'instauration des systèmes budgétaires et comptables axés sur les résultats. La qualité des comptables principaux, le contenu des comptes produits à la Cour et leur consolidation constituent également des chantiers identifiés par la Cour et la Trésorerie Générale du Royaume pour améliorer la finalité de ces attributions. Au niveau de l'audit, le choix des missions de contrôle continue à être opéré conformément aux dispositions actuelles du code des juridictions financières selon un mécanisme collégial prévu par le code des juridictions financières (le comité des programmes). Les nouvelles orientations ont pour objectif prioritaire de maximiser l'incidence des contrôles de la Cour, tout en adoptant une approche positive et constructive qui va au-delà de l'organisme publique comme sujet du contrôle pour toucher les projets, les programmes et les politiques publics. Pour y parvenir, la Cour entend: - Recentrer ses interventions sur des organismes publics en charge des missions gérant des domaines à risques et/ou présentant un intérêt particulier en termes d'objectifs de développement économique et social du pays; - Mener des investigations touchant aux thématiques transversales et réaliser de nouveaux produits, qui viendraient s'ajouter aux rapports annuels et particuliers ; - Prévoir une gamme plus large des missions de contrôles de l'emploi des fonds publics en n'excluant aucun organisme qui gère ou bénéficie des deniers publics (Collectivités territoriales, Associations, GIE, GIP, transferts, subventions, aides,...) ; - Continuer à formuler des observations pertinentes et fiables, ainsi que des recommandations d'améliorations utiles, et en assurer le suivi; - Poursuivre l'amélioration de l'intervention de la Cour en matière d'examen du projet de la loi de règlement dans le cadre de l'assistance au Parlement, notamment par l'enrichissement du contenu du rapport sur l'exécution de la loi de finances ; - Développer les relations institutionnelles avec ses partenaires pour créer des synergies en matière de contrôle, d'accès aux bases de données et d'assistance (Parlement, Ministère des finances, HCP, BAM...). En perspective des réformes, le rôle de la Cour des comptes est crucial Les attributions de la Cour des comptes en matière d'assistance aux pouvoir publics ont été introduites pour la première fois par la Constitution de 1996. Concernant le Parlement, la Loi 62-99 relative au code des juridictions financières a limité l'assistance de la Cour à l'examen du projet de la loi de règlement par l'établissement de la déclaration générale de conformité des comptes des comptables avec le compte général du royaume ainsi que le rapport sur l'exécution de la loi de finances. Pour l'assistance au gouvernement, le même code a prévu un article unique par le biais duquel, le chef du gouvernement peut demander à la Cour d'inscrire dans ses programmes des missions d'évaluation de programmes et de projets publics ou de contrôle de la gestion de l'un des organismes soumis à son contrôle, un mécanisme qui n'a jamais été actionné. La réforme constitutionnelle de 2011 ne s'est pas contentée de reconnaître cette fonction d'assistance à la Cour, mais elle a élargi son champ de compétence pour inclure, outre le parlement et le gouvernement, les instances judiciaires. En plus de cet élargissement, la Constitution semble avoir privilégié le parlement dans cette assistance, puisque son article 148 a donné du contenu à cette relation en stipulant que cette dernière « assiste le Parlement dans les domaines de contrôle des finances publiques. Elle répond aux questions et consultations en rapport avec les fonctions de législation, de contrôle et d'évaluation, exercées par le Parlement et relatives aux finances publiques ». En revanche, pour les deux autres pouvoirs, la constitution n'a fait que retenir le principe de l'assistance sans détailler son contenu. Ces dispositions se prêtent donc à une lecture critique du positionnement institutionnel de la Cour des comptes. La mission d'assistance, notamment celle du Parlement dans le contrôle de l'action du gouvernement risque de rompre l'équidistance que devrait observer la Cour dans ses rapports institutionnels avec les trois pouvoirs. Sans vouloir remettre en question ce débat, la Constitution étant la garante de l'indépendance de la Cour des comptes (art. 147), celle-ci ne peut être considérée comme auxiliaire d'aucun des trois pouvoirs. Il conviendrait plutôt de parler « d'auxiliaire de la démocratie ». A cet égard, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 22 août 2013, statuant sur le nouveau règlement intérieur de la Chambre des représentants, a rappelé le principe d'indépendance de la Cour des comptes et a rejeté la proposition de créer une commission parlementaire spécialisée dans le contrôle des dépenses publiques qui devait fonctionner exclusivement sur la base des questions et consultations à demander à la Cour des comptes. En tout état de cause, l'innovation constitutionnelle et les prolongements juridiques qui seront donnés à ces nouvelles dispositions aussi bien au niveau du règlement intérieur du parlement, de la loi organique relative aux lois de finances que le code des juridictions financières, augure d'un élargissement des domaines de l'assistance que va apporter la Cour des comptes, notamment vis-à-vis du Parlement et qui vont imposer de nouvelles approches à suivre par la Cour, notammenten ce qui concerne l'évaluation des politiques publiques. Une nouvelle mission en perspective : L'évaluation des politiques publiques Selon les dispositions de l'article 70 de la Constitution, le Parlement est chargé de l'évaluation des politiques publiques. Dans ce domaine, l'article 148 prévoit, la possibilité pour le parlement de recourir à l'assistance de la cour des comptes. Dans la pratique, il faut dire que la fonction d'évaluateur n'est pas une nouveauté pour la Cour. En effet, l'article 75 du code des juridictions financières, dans son dernier alinéa, stipule que « elle (la Cour) peut effectuer des missions d'évaluation des projets publics afin d'établir sur la base des réalisations, dans quelle mesure les objectifs assignés à chaque projet ont été atteints, au regard des moyens mis en oeuvre ». De même, l'article 96 du même code évoque la possibilité d'inscrire dans le programme d'intervention de la Cour, à la requête du chef du Gouvernement, des missions d'évaluation de programmes et de projets publics. On peut dire que l'évaluation de manière générale et celle touchant les politiques publiques en particulier, peuvent être considérées comme un aboutissement logique de l'évolution du contrôle supérieur des finances publiques dans notre pays. Il y a lieu de préciser, toutefois, que la notion d'évaluation des politiques publiques n'a pas été définie par la constitution, ni par aucun autre texte juridique, ce qui risque de rendre complexe l'appréhension de ce type de mission aussi bien par le Parlement que par la Cour. A cet égard, un encadrement juridique de cette notion au niveau de la LOLF est primordial afin d'éviter la confusion, voire les débordements éventuels des missions de ce genre. La Cour compte donc conforter sa position dans ce domaine qui constitue un chantier complexe où l'organisation, les méthodes de travail et les compétences doivent être repensées pour aller au-delà du contrôle de la gestion des finances publiques pour apprécier la réalisation des objectifs et leurs impacts sur le développement assignés aux budgets publics. Cette nouvelle approche imposera à la Cour en plus d'être « un gardien de la bonne finance » de devenir aussi « un aiguillon de la bonne politique ». De ce qui précède, on peut dire que la nouvelle constitution, en consolidant les acquis de la Cour des comptes en matière de contrôle supérieur des finances publiques et en élargissant ses missions, notamment celles liées à l'assistance et l'évaluation, reconnaît implicitement la fonction de conseil à la Cour des comptes qui a tendance à se développer davantage.